53e congrès (3/4). La Cgt veut passer un cap dans la prise en compte de la place des femmes

Comment créer un environnement militant plus propice à l’implication des femmes ? Le traitement des violences sexuelles et sexistes, qui a suscité de nombreux amendements et réflexions, est un préalable.

Édition 028 de mi-avril 2023 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Les femmes représentent 50% du salariat mais 38% des syndiqués CGT. ©Photopqr/Le Progrès/Maxppp

Comment faire pour donner à toutes les moyens de s’investir ? Dans le débat sur la place des femmes dans la Cgt, la question des violences sexuelles et sexistes a émergé d’emblée. En plénière, elles sont plusieurs à exprimer ce qui leur semble être un préalable nécessaire  : si le fait de militer à la Cgt implique de passer du temps avec un agresseur, les femmes ne peuvent pas se sentir en sécurité. Maya Vair-Piova, de la fédération Santé-Action sociale de Toulouse, résume ainsi l’enjeu  : «  Pour garantir l’égalité, il faut condamner sans ambiguïté les violences. La saisie de la justice ne peut pas être la seule réponse.  » Elle plaide donc en faveur de la «  présomption de sincérité  ». Plutôt que de considérer qu’un potentiel agresseur est innocent («  présomption d’innocence  ») en attendant une décision de justice, la «  présomption de sincérité  » consiste à considérer que la victime potentielle dit vrai et à éloigner d’elle l’agresseur supposé.

Une déléguée qui travaille dans le spectacle vivant commence ainsi son intervention  : «  Quelle est la proportion de femmes présentes qui ont eu à subir harcèlement, agression, violences, menaces, intimidation  ?  » Elle explique que, si elle n’a jamais eu à endurer «  ce genre d’actes  » dans son milieu professionnel, c’est «  en arrivant à la Cgt  » qu’elle a eu à l’«  expérimenter.  » Elle appelle à la cohérence  : «  On exige l’exemplarité de nos employeurs. Pourquoi pas celle de la Cgt  ? On ne peut pas faire un syndicat de classe et de masse si 50  % des travailleurs en sont exclus.  »

Au moins une femme par délégation

Pour tendre vers la parité des délégués, des critères avaient été imposés  : chaque délégation devait être composée d’au moins une femme. Delphine Bonsergent, de la fédération Santé-Action sociale d’Ille-et-Vilaine, trouve très «  dérangeant  » d’être choisie «  au seul motif  » qu’elle est une femme. Pour elle, le réel problème est le manque de crèches, de services publics qui permettent aux militantes d’avoir le temps et la disponibilité nécessaire pour s’investir dans le syndicat  : «  Quand tout cela sera réglé, la parité sera évidente.  » Un délégué perplexe ne comprend pas pourquoi des amendements ont été déposés pour faire le lien entre patriarcat et capitalisme. Il ne voit pas non plus l’intérêt de l’écriture inclusive.

Huit articles sur les 556 que compte le document d’orientation sont consacrés aux «  femmes dans la Cgt  ». Ils figurent dans le thème 2, intitulé «  Pour la reconquête de nos forces organisées et de notre audience électorale  », entre le chapitre sur «  l’activité en direction des privé.e.s d’emploi et précaires  » et celui sur «  les jeunes dans la Cgt  ».

Le texte rappelle que l’implantation syndicale Cgt est plus importante «  dans les secteurs d’activité majoritairement masculins que dans des secteurs féminisés comme les employés (77  % de femmes), les cadres (42  % de femmes) et les professions intermédiaires (52  %)  ». C’est donc son «  implantation sectorielle  » qui expliquerait le fait que la Cgt ait «  une majorité d’hommes parmi les syndiqué·e·s  ». Suite à des propositions d’amendements, cet article s’enrichit d’une incitation à l’action  : «  La Cgt doit prendre toute sa place dans les secteurs à prédominance féminine.  » Le document d’orientation prône la revalorisation des métiers fortement féminisés du soin et du lien, et appelle à un «  alignement par le haut des salaires entre femmes et hommes à travail de valeur égale  ».

Féminiser les responsabilités syndicales

Pour être crédible dans ses revendications, la Cgt doit être exemplaire en interne. «  Alors que les femmes constituent 50  % du salariat, au sein de la Cgt elles ne représentent que 38  % des syndiqué.e.s, 31  % des militant.e.s de nos instances et 25  % des responsables d’organisations  » rappelle le document d’orientation. Si la direction confédérale est à parité depuis plus de vingt-cinq ans, ce n’est souvent pas le cas à d’autres niveaux de la Cgt. Ainsi, parmi les délégués du congrès, les femmes étaient encore moins nombreuses que les hommes. L’imposition de critères reste nécessaire aujourd’hui pour tendre vers la parité.

Un amendement introduit la précision suivante  : «  La Cgt a pour ambition d’avoir autant de femmes que d’hommes syndiqués et d’en faire un bilan lors de son prochain congrès.  » Pour favoriser l’implication des femmes, différentes mesures sont nécessaires. Pour lutter contre la difficile conciliation entre «  vie professionnelle, militante et familiale  », liée à l’inégale répartition du travail domestique entre hommes et femmes, il s’agit tout d’abord de procéder à des «  changements  » sur le «  plan matériel  », comme «  programmer les activités et réunions syndicales, prendre en charge les gardes d’enfants  ».

En effet, les femmes assurent toujours les trois quarts du travail domestique. Courses, ménage, organisation familiale… Aujourd’hui, en France, dans les couples de sexes différents avec enfants, les hommes travaillent en moyenne 51 heures par semaine, les femmes 54. Mais, dans ces 54 heures, les deux tiers sont du travail domestique gratuit. Pour les hommes, la proportion s’inverse  : deux tiers de leur travail est rémunéré et un tiers ne l’est pas.

Pour des référents et des référentes dans chaque fédération et union départementale

Pour créer un environnement militant propice à l’implication des femmes, le document d’orientation entend «  poursuivre et amplifier la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. En effet, nous ne pouvons pas renvoyer à la seule justice le soin de faire respecter nos valeurs.  ». En mettant «  au même niveau  » «  présomption d’innocence  » et «  présomption de sincérité  », ce texte franchit un pas supplémentaire par rapport à la Charte Égalité femmes-hommes adoptée en 2007 par le comité confédéral national (Ccn) et annexée en 2013 aux statuts confédéraux, qui stipulait que «  toute décision judiciaire condamnant un·e adhérent·e, quel que soit son niveau de responsabilité, donne lieu à la suspension du ou des mandats exercés au nom de la Cgt  ».

Le document d’orientation appelle à «  favoriser la mise en place, dans les fédérations et les unions départementales, de référent·es sur les questions de violences faites aux femmes  », systématiser la formation des premiers dirigeants et développer les formations sur la prévention et l’aide à l’accompagnement des victimes.

Laëtitia Larquier, des Cheminots de Limoges, résume ainsi  : «  Nous devons veiller à ce que la Cgt, par le comportement de ses membres et de ses militant·es, soit exemplaire pour que cette problématique ne soit plus un frein à la syndicalisation, notamment celle des femmes. Nous devons, par conséquent, démandater systématiquement tout individu qui par ses agissements bafoue les valeurs portées par la Cgt, sans attendre de décisions ou procédures judiciaires.  »

Un texte d’orientation en écriture inclusive

Enfin, la commission du document d’orientation a reçu de nombreux amendements demandant que l’ensemble du texte soit rédigé en écriture inclusive  ; elle a décidé d’intégrer cette forme de rédaction. Le texte final sera donc féminisé après son adoption par les délégués du congrès, avant d’être envoyé dans les syndicats.

Le congrès a finalement, pour la première fois, porté une femme à sa tête, Sophie Binet, connue pour son engagement féministe et pilote de la commission Femmes-mixité de la CGT. Le témoignage de Christine Delliaux, des Privés d’emploi et précaires de la Meuse et «  maman isolée de huit enfants  », qui explique que «  l’engagement syndical  » lui a permis de se «  reconstruire  » malgré « la répression des organismes sociaux  » et les obstacles trop nombreux pour retrouver un emploi, permet d’entrevoir l’étendue des possibles.

Lucie Tourette

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