53e congrès (2/4). La place réaffirmée des Ictam pour lutter dans et avec la Cgt

Le document d’orientation rappelle que les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise (Ictam) syndiqués à la Cgt en partagent les valeurs et les revendications. Avec leurs spécificités, ils et elles aussi construisent la Cgt.

Édition 028 de mi-avril 2023 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Les délégués ont témoigné de la présence des Ictam dans les luttes, qui s’en trouvent renforcées. DR

«  La Cgt se doit d’être l’organisation syndicale de tous, à partir des spécificités liées à l’organisation des modes de production, de la division du travail et de la diversité du salariat. Le développement pérenne d’une activité spécifique est une des réponses pour que la Cgt soit le syndicat de tout le salariat.  » L’article 256 du document d’orientation introduit une sous partie du thème 2 – «  Pour la reconquête de nos forces organisées et de notre audience électorale  » – sur la prise en compte «  du spécifique et de la diversité  », réaffirmant la place légitime des Ictam au sein de la Cgt. Leur présence augmente au sein du salariat (art. 257) et «  leur situation particulière, eu égard au niveau d’autonomie, de qualification, de responsabilité sociale et de retombées significatives de leur travail sur d’autres catégories professionnelles implique de travailler à leur prise en compte de manière spécifique  » (art. 259).

Par conséquent, le document d’orientation estime qu’«  il faut passer un cap  » (art. 260) «  en prenant appui sur les 77 000 syndiqués Cgt relevant de ces catégories et sur notre Ugict  ». Le document initial préconisait ainsi de «  favoriser la mise en place d’un référent Ictam dans chaque organisation  » (art. 262) «  en permettant aux Ictam de développer une activité spécifique à partir des besoins exprimés par leurs collègues, dans une convergence d’intérêts et d’ambition revendicative avec le reste du salariat  » (art.263).

La Cgt a vocation à accueillir toutes et tous les travailleurs

Ces quelques articles ont fait l’objet de peu d’amendements, et les rajouts ont de toute évidence précisé, enrichi et renforcé la légitimité des Ictam à s’organiser et à lutter dans et avec la Cgt. Ainsi, l’article 256 rappelle que la Cgt est le syndicat de tous et toutes. Le 262 est plus longuement explicité, l’objectif fixé étant de favoriser «  la mise en place d’une organisation spécifique et à défaut d’un·e référent·e Ictam dans chaque organisation  ». Le 263 préfère formuler qu’il s’agira non pas de «  permettre  » mais d’«  encourager le développement par les Ictam d’une activité spécifique, à partir des besoins exprimés par leurs collègues, dans une convergence d’intérêts et d’ambition revendicative avec le reste du salariat, et de constituer des listes sur les 2e et 3e collège  ».

Le 264, sur le déploiement des formations proposées aux syndicats Cgt, «  Les Ictam dans la Cgt, pourquoi, comment  ?  » et «  Gagner les élections dans les collèges 2 et 3  » fait pour sa part l’objet d’un rajout, l’article 264 bis, qui engage aussi à «  lutter systématiquement contre la discrimination du patronat envers les Ictam syndiqué.e.s à la Cgt  ».

Les vécus et le rapport au travail se dégradent aussi pour les Ictam

Pour rappel, l’Ugict – Ugic pendant ses deux premières années –, a été créée par la Cgt… il y a tout juste 60 ans, en 1963  ! Il semble que la capacité de la Cgt à accueillir en son sein des salariés, y compris des cadres, ne fasse plus vraiment débat pour une grande majorité des syndiqués. Certes, pour un Ictam, décider de se syndiquer à la Cgt peut toujours être perçu comme un engagement atypique… Mais c’est désormais surtout le point de vue des directions, d’autant plus tentées de leur faire payer leur choix de ne pas se comporter comme des alliés, voire de dociles courroies de transmission.

De fait, l’évolution du salariat, sa montée en qualification, mais aussi la dégradation générale des conditions de travail, le déclassement, la perte d’autonomie et de sens au travail, y compris chez les salariés les plus qualifiés, attestent que tout en ayant des vécus au travail particuliers, du fait de leur place dans les organisations, les Ictam ne sont en rien épargnés par les multiples maux du monde du travail. Ils et elles ont tout autant besoin que les autres salariés de s’organiser pour résister à l’isolement, de se battre et d’être solidaires des autres catégories de travailleurs.

Présents dans les luttes, et parfois même à l’initiative

Certains délégués au congrès ont pu en témoigner. Les Ictam sont présents dans les luttes et les renforcent, d’autres en sont même à l’initiative, d’autant plus quand ils sont majoritaires dans leurs entreprises. Ils s’engagent avec la Cgt jusqu’à candidater sur des listes aux collèges 2 et 3 des élections représentatives du personnel, et y gagnent des postes d’élus. Cela rend la Cgt plus visible et plus forte, plus légitime encore pour parler au nom de tous les salariés.

Ainsi, un intervenant des professions portuaires se félicite que l’époque soit révolue où «  quand on passait chef d’équipe, c’est un peu comme si on était devenu con, du jour au lendemain, on ne pouvait plus rester à la Cgt  ». Mais depuis la création des Cse, «  on mesure l’importance d’être présents dans tous les collèges, et nos collègues Ictam aussi veulent être acteurs et décideurs, et n’ont aucun problème à se syndiquer et à s’afficher sur des listes Cgt  : on a fait des adhérents y compris chez des cadres supérieurs  !  »

Les Ictam ne sont pas qu’une force d’appoint pour gagner en représentativité. Ils sont dans la Cgt, participent à plein à l’élévation et à l’élargissement du rapport de force. Dans de nombreuses entreprises, les salariés des collèges 2 et 3 sont très majoritaires, et ce sont eux qui mènent les luttes et gagnent. Benjamin Briant, de l’Institut géographique national (Ign), signale que la Cgt est passée première organisation aux élections du 8 décembre, avec plus de 60  % des suffrages, grâce à la mobilisation et à l’activité des Ictam, majoritaires dans l’établissement.

«  Nous devons nous montrer ambitieux face aux transformations sociologiques du salariat. Les ingénieurs et cadres aussi souffrent de pressions, que ce soit l’exigence incessante de reporting, le temps de travail interminable, la perte d’autonomie ou le manque de reconnaissance. Nous organisons des “cafés cadres” pour en discuter, et dernièrement, deux collègues rejoignaient la Cgt chaque semaine en moyenne, tous ingénieurs ou cadres. Nous avons grand besoin d’une campagne de syndicalisation et de soutenir l’Ugict  : cela ne réduit pas les forces, mais les additionne  !  »

Emmanuel Lequertier, de Naval Group à Cherbourg, décrit la même dynamique. La Cgt y est devenue première organisation syndicale et a gagné trois élus chez les Ict.

Une jeune déléguée de Thalès raconte que, depuis 2020, une centaine de jeunes diplômés ont été embauchés sur son site, tous Ict, et qu’une vingtaine d’entre eux a adhéré à la Cgt «  grâce à un travail de terrain et à la prise en compte de leurs spécificités  ». Aux dernières élections au Cse, la Cgt y a rassemblé, tous collèges confondus, 52,5  % des suffrages. Hugo Coldebœuf, de la Banque de France (25 à 40  % de cadres selon les sites, pour un quart des contractuels) témoigne pour sa part d’une progression de 12 points de la Cgt, avec 44  % des suffrages  : «  Nous sommes les seuls présents dans toutes les catégories professionnelles, les seuls à pouvoir tenir un rapport de force, à faire des propositions, à être crédibles. Nous n’hésitons pas, avec la fédération des Finances, à travailler avec d’autres, comme Attac ou les Amis de la terre, pour que l’argent soit investi dans la transition écologique et pas dans la spéculation. Un travail en commun et une ouverture sur l’extérieur précieux pour rassembler et peser.  »

Télétravail, flex-office, forfaits jours etc, le travail change, les revendications s’ajoutent

Laïla Chatraoui, d’Orange, où les ingénieurs et informaticiens sont majoritaires, rappelle quant à elle qu’un Ictam sur deux n’a pas de contact avec la Cgt du fait de son isolement ou de son éloignement avec son lieu de travail : « Comment faire alors pour les organiser collectivement, leur permettre de parler librement, de réfléchir sur eux-mêmes et de transformer leurs aspirations en revendications ? Ils ont des droits à défendre et à gagner concernant le télétravail, le flex-office, le forfait jour, le droit à la déconnexion, les qualifications, les salaires ».

Elle signale la création en septembre d’une section au siège de la Poste, qui s’est entre autres traduite par l’adhésion d’une dizaine de cadres supérieurs. Ils et elles se réunissent une fois par semaine sur leur pause déjeuner. Et d’autres syndicats s’organisent dans des start-up filiales de la Poste comme Isoskele, composée uniquement d’ingénieurs informaticiens, ou Start People, entreprise d’intérim sur différents secteurs liés à la La Poste. Des actions pour des promotions, des augmentations de salaires ou des embauches, pour l’amélioration des conditions de travail, le maintien de services, ont permis aux Ict de s’investir  : «  Dans notre champ fédéral Fapt, nous avons fait 103 adhésions de cadres depuis le début de l’année, C’est historique  !  »

Au niveau interprofessionnel aussi, les Ictam constituent une force pour «  investir le travail et le transformer  » à partir de pratiques ou de réflexions propres, pour le droit de refus et d’intervention dans les décisions ou le management. Ils et elles revendiquent aussi le droit à l’expression et à la proposition, au travers d’outils comme le «  radar environnemental  » – qui permet l’évaluation des pratiques des entreprises, élaboré au sein de l’Ugict mais disponible pour toute l’organisation, et présenté en marge du congrès par Fabienne Tatot, secrétaire nationale de l’Ugict, qui le pilote.

En première ligne pour observer les nouvelles façons de travailler, les Ictam le sont souvent aussi pour constater l’évolution du rapport au travail, en particulier chez les jeunes diplômés. Participant à une table ronde malheureusement écourtée faute de temps, Agathe Le Berder, membre du bureau de l’Ugict et animatrice de son collectif Jeunes diplômés, explique qu’ils et elles ont des attentes et des sensibilités fortes, par exemple du point de vue de l’égalité femmes-hommes, des enjeux climatiques, et plus globalement, sont prêts à se mobiliser pour donner du sens à leur travail.

Le collectif permet également d’expérimenter de nouvelles modalités de mise en réseau, de communication, d’actions et de mobilisations de tous ordres, dans lesquelles l’ensemble des syndiqués sont amenés à s’inscrire. « Depuis mi-janvier, nous avons enregistré une centaine d’adhésions de jeunes Ict de moins de 35 ans, signale-t-elle. Nous devons désormais les mettre en relation avec les syndicats, les structures locales et les fédérations dont ils dépendent. » Accueillir les Ictam, jeunes ou moins jeunes, va clairement au-delà des enjeux de représentativité électorale, mais relève tout simplement de l’ambition de représenter toute la diversité des travailleurs, et de faire grandir et durer le syndicalisme Cgt.

Valérie Géraud