Chronique juridique -  La discrimination d’un agent public fondée sur son handicap

Saisie par un agent des services hospitaliers qui rencontrait des difficultés à recevoir une affectation compatible avec son handicap et s’estimait ainsi faire l’objet d’une discrimination, la Défenseure des droits rappelle les obligations d’aménagement du poste du travailleur handicapé. Elle précise, en outre, à qui revient la charge de la preuve en matière de discrimination (1).

Édition 018 de fin octobre 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 4 minutes

Saisie par un agent des services hospitaliers qui rencontrait des difficultés à recevoir une affectation compatible avec son handicap et s’estimait ainsi faire l’objet d’une discrimination, la Défenseure des droits rappelle les obligations d’aménagement du poste du travailleur handicapé. Elle précise, en outre, à qui revient la charge de la preuve en matière de discrimination (1).

1) Les faits exposés par le requérant

En l’espèce, la Défenseure des droits avait été saisie par un agent des services hospitaliers qualifié qui rencontrait des difficultés à recevoir une affectation compatible avec son handicap.

Le requérant exerçait auparavant les fonctions d’agent d’hôtellerie et de restauration au sein d’un hôpital public. À l’épuisement de ses droits à congé statutaire, il avait été placé en disponibilité d’office pour raisons de santé.

En effet, depuis 2020, la médecine du travail le reconnaissait inapte aux fonctions d’agent d’hôtellerie et de restauration, mais apte à d’autres fonctions ne nécessitant pas le port de lourdes charges ni de déplacements trop fréquents.

Le service des ressources humaines du groupement hospitalier lui avait proposé plusieurs postes mais aucun n’était compatible avec ses restrictions médicales, selon les avis défavorables émis par la médecine du travail.

C’est dans ce contexte qu’estimant faire l’objet d’une discrimination fondée sur son handicap, le requérant avait saisi la Défenseure des droits.

2) Les recommandations de la Défenseure des droits

Au terme d’une instruction menée auprès de l’employeur mis en cause, la Défenseure des droits a considéré que ses arguments n’étaient pas suffisamment étayés pour écarter la présomption de discrimination à l’égard du réclamant. En effet, l’employeur se bornait à expliquer qu’aucun poste correspondant au grade et aux compétences du réclamant n’était vacant au sein du groupement hospitalier, sans apporter aucun élément de preuve.

La Défenseure des droits a rappelé que le respect de l’obligation d’aménagement raisonnable du poste du travailleur handicapé s’apprécie notamment au regard de la taille et des ressources financières de l’organisme employeur. Or, en l’espèce, la charge résultant pour celui-ci de la recherche d’un poste adapté n’apparaissait pas disproportionnée, eu égard à l’importante dimension du groupement hospitalier.

Constatant l’inertie de l’employeur dans la recherche d’affectation compatible avec le handicap du réclamant, la Défenseure des droits a estimé que ce dernier faisait l’objet d’une discrimination prohibée par la loi  ; notamment par l’article L. 131-1 du Code général de la fonction publique (2). Elle a donc recommandé à l’employeur public de rechercher sans délai une affectation compatible avec ses restrictions médicales.

3) Une décision en grande partie fondée sur la jurisprudence de la Cjue

Par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (Cjue) datée du 11 avril 2013, cette juridiction avait été amenée à préciser la notion de «  handicap  » et à en déduire les actions des pouvoirs publics destinées à proscrire toute forme de discrimination à l’égard des personnes reconnues atteintes d’un handicap.

La Cjue précise, tout d’abord, que la notion de «  handicap  » doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme curable ou incurable dès lors que cette maladie entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs, et si cette limitation est de longue durée.

Elle précise que la notion de «  handicap  » n’implique pas nécessairement l’exclusion totale du travail ni de la vie professionnelle, contrairement à ce que soutiennent (souvent) les employeurs. En outre, le constat d’un handicap ne dépend pas de la nature des mesures d’aménagement que doit prendre l’employeur, telle que l’utilisation d’équipements spéciaux. Et il appartient à chaque juridiction nationale d’apprécier, si, en l’espèce, les travailleurs étaient des personnes handicapées.

Par la suite, la Cjue rappelle que la directive concernant l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (4) impose à l’employeur de prendre les mesures d’aménagement appropriées et raisonnables, notamment pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser. Selon la Cjue, la réduction du temps de travail peut être considérée comme une mesure d’aménagement appropriée dans le cas où cette réduction permet au travailleur de pouvoir continuer à exercer son emploi. Il incombe au juge national d’apprécier si, en l’espèce, la réduction du temps de travail en tant que mesure d’aménagement représente une charge disproportionnée pour les employeurs.

La Cjue constate que la directive s’oppose à la disposition nationale lorsque les absences du salarié sont la conséquence de l’omission par l’employeur d’adoption de mesures d’aménagement appropriées et raisonnables afin de permettre à la personne handicapée de travailler.

Enfin, elle estime que cette disposition est susceptible de désavantager les travailleurs handicapés et ainsi d’entraîner une différence de traitement indirectement fondée sur le handicap. Il incombe, alors, au juge national d’examiner si le législateur, en poursuivant les objectifs légitimes de la promotion de l’embauche des personnes malades, d’une part, et d’un équilibre raisonnable entre les intérêts opposés de l’employé et de l’employeur en ce qui concerne les absences pour cause de maladie, d’autre part, a omis de tenir compte des éléments pertinents qui concernent, en particulier, les travailleurs handicapés.

Edoardo Marquès

  1. Décision n° 2022-149 du 2 août 2022, relative aux difficultés rencontrées par un agent des services hospitaliers qualifié pour recevoir une affectation compatible avec son handicap.
  2. Art. L. 131-1 du Cgfp  : «  Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les agents publics en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sous réserve des dispositions des articles L. 131-5, L. 131-6 et L. 131-7.  ».
  3. Arrêt relatif au fait qu’une maladie curable ou incurable entraînant un limitation physique, mentale ou psychique peut être assimilée à un handicap  : Ring et Skouboe et Werge (Cjue, 11 avril 2013, affaires C-335/11 et C-337/11).
  4. Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
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