L’enseignement supérieur offert sur un plateau aux appétits du privé
L’État poursuit son désengagement des universités et encourage le développement d’établissements privés. Sans contrôler leur qualité ni leur coût, prohibitif.
L’État poursuit son désengagement des universités et encourage le développement d’établissements privés. Sans contrôler leur qualité ni leur coût, prohibitif.
« On ne pourra pas durablement rester dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants […], un modèle beaucoup plus financé par l’argent public que partout dans le monde » : Emmanuel Macron, s’exprimant mi-janvier devant les présidents d’université, justifiait ainsi sa volonté d’aller « jusqu’au bout des réformes commencées il y a une dizaine d’années ». Le désengagement de l’État, amorcé dès 2007 par la loi Libertés et responsabilités des universités (Lru), dite loi d’autonomie des universités, a en effet franchi un nouveau palier en 2018 avec la loi Orientation et réussite des étudiants (Ore), qui instaure la plateforme Parcoursup. Les vœux des lycéens sont désormais conditionnés, et les places dans la plupart des cursus limitées, actant le fait que pour le président, le service public d’enseignement supérieur n’a plus vocation à offrir les études de leur choix à tous les jeunes.
En 2020, la Loi de programmation pour la recherche 2021-2030 enfonce le clou : les universités devront se contenter de dotations de l’État souvent presque totalement absorbées par leur masse salariale, et trouver d’autres financements en répondant à des appels à projets, tout en réduisant leurs activités si elles manquent de partenariats avec les entreprises. Elles pourront aussi développer des cursus diplômants plus rémunérateurs dans le cadre de la formation professionnelle. C’est déjà le cas avec le Diplôme d’université (bac + 2 voire bac + 3), le Bachelor universitaire de technologie ou la Licence professionnelle (bac + 3), le Master ou le Diplôme d’ingénieur (bac + 5), y compris hors du cadre de la Validation des acquis de l’expérience. Et, pourquoi pas – le sujet ne semble plus tabou –, elles pourront aussi augmenter les droits d’inscription des étudiants…
« Autonomes », les universités sont surtout appauvries et désormais incapables d’accueillir tous les jeunes qui le souhaitent
Les arguments d’Emmanuel Macron se discutent : dans de nombreux pays, l’enseignement supérieur continue de bénéficier d’un financement conséquent de l’État, et les jeunes peuvent y étudier sans travailler ni s’endetter pour des années. Au Danemark, en Suède, en Norvège, en Islande, en Autriche, et dans de nombreux pays de l’Union européenne, l’inscription à l’université est gratuite, qu’on soit ou non ressortissant de l’Union, et des allocations et bourses, souvent plus substantielles qu’en France, permettent aux étudiants de se loger décemment et de se nourrir sans aller à la soupe populaire, comme cela s’est vu dans notre pays pendant ces deux années de pandémie. La création d’une allocation d’autonomie est d’ailleurs une priorité pour les deux principales organisations étudiantes, l’Unef et la Fage.
Sauf que la France n’a pas misé sur sa jeunesse, ni sur la justice sociale. De 2010 à 2020, le nombre d’étudiants est passé à 2,7 millions (+ 20 %), mais le budget de l’Enseignement supérieur en euros constants n’a augmenté que de 9,7 %. Comme le souligne une récente note du Conseil d’analyse économique, non seulement les universités sont sous-dotées et certaines extrêmement fragilisées, mais l’État n’investit pas autant pour un étudiant à l’université (11 500 euros en moyenne en 2019, contre 12 440 en 2010) que pour un élève en BTS (14 000) ou en classe préparatoire (16 000).
Les universités qui ne font pas partie de pôles d’excellence (80 % du total pour seulement 20 % des financements) font ce qu’elles peuvent. Elles embauchent ponctuellement des contractuels pour soulager des enseignants exténués, qui même s’ils sont doctorants ou déjà diplômés, restent mal payés et sans perspectives, et finiront par s’expatrier ou trouver un emploi ailleurs. Elles suppriment des enseignements, allègent les cursus et entassent les étudiants, y compris dans les cours de travaux dirigés. Paupérisées, elles offrent des conditions d’études dégradées.
L’enseignement supérieur, un marché désormais lucratif, mais socialement discriminant
Qu’à cela ne tienne, les établissements d’enseignement supérieur privés poussent comme des champignons ! En vingt ans, les inscriptions y ont doublé. À la rentrée 2020, ils accueillaient 21 % des étudiants (592 000) d’après le ministère de l’Enseignement supérieur, qui a intégré à Parcoursup quelque 5 000 formations postbac privées, sans conditions. Il y en a pour tous les goûts : gestion, commerce, management, informatique, graphisme, digital, animation, art, média. Les contenus et débouchés ne sont pas toujours très clairs, mais ces formations offrent un plan B aux dizaines de milliers de lycéens qui n’obtiennent pas la formation universitaire de leur choix sur la plateforme. À condition de pouvoir payer, les droits d’inscription dépassant parfois les 10 000 euros (contre 170 euros à l’université). Il suffit de fréquenter n’importe quel salon postbac pour constater que le marché s’avère d’ores et déjà concurrentiel, fourmillant de groupes associés à des entreprises, à des fonds et à des réseaux d’écoles tendant à s’internationaliser.
Opportunistes, ils promettent des conditions d’études idéales, des diplômes professionnalisants et une employabilité immédiate, sans garantie. Le Cneser, chargé d’habiliter les formations et les diplômes, a dû céder au forcing gouvernemental pour que ces établissements soient reconnus, sans que soient contrôlés le contenu et la qualité des enseignements, ce que la Ferc-Sup Cgt et les représentants Cgt au Cneser condamnent. Le visa de l’État permet ainsi à ces établissements de toucher les financements liés à l’apprentissage ou à la formation professionnelle. Pour 2022, 20 % d’entre eux se sont aussi partagé 94 millions d’euros de subventions publiques (+ 10 % par rapport à 2021).
Emmanuel Macron opte clairement pour la marchandisation de l’enseignement supérieur. Le modèle anglo-saxon libéral n’est pourtant pas le plus démocratique, ni le plus égalitaire. Pour le président-candidat, une partie de la jeunesse devra se contenter d’universités de seconde zone ou de formations courtes et professionnalisantes, si possible pilotées par les entreprises, pour une employabilité immédiate en réponse à leurs besoins : elles ont, en 2021, touché 2,7 milliards, soit 8 000 euros par an pour chaque apprenti intégré à leurs effectifs. Vous avez dit autonomie et émancipation ?
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