L’Autorité environnementale dénonce une transition écologique au point mort

Consultée sur les grands projets d’aménagement, l’instance constate que les normes et objectifs environnementaux restent négligés, y compris par l’Etat.

Édition 012 de mi-juin 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 4 minutes

Options - Le journal de l'Ugict-CGT
Plusieurs projets de Zac sont en cours, y compris sur des zones inondables, comme à Méridia, près de Nice. ©PHOTOPQR/NICE MATIN
Consultée sur les grands projets d’aménagement, l’instance constate que les normes et objectifs environnementaux restent négligés, y compris par l’Etat.

« La transition écologique n’est pas amorcée en France  ». C’est le constat implacable dressé par l’Autorité environnementale (AE) dans son rapport annuel rendu public le 5 mai. L’instance, créée en 2009, est composée de cinq députés, auxquels se joignent des ingénieurs, inspecteurs généraux, personnalités qualifiées, chacun s’engageant à faire preuve de transparence et  d’indépendance dans l’exercice de ses fonctions. L’AE est chargée de rendre des avis (non contraignants) sur la conformité des grands projets en cours de validation ou de renouvellement avec les nouvelles normes et les objectifs environnementaux officiels. Elle en a examiné plus de 166 en 2021  : grands programmes d’aménagement, infrastructures de transports, constructions sur les littoraux, projets industriels, équipements commerciaux ou touristiques, publics ou privés.

L’Autorité environnementale déplore en préalable que malgré une augmentation des dossiers à examiner et une réduction de ses moyens, les délais pour statuer aient été réduits de trois à deux mois, ce qu’elle estime «  préoccupant pour la démocratie environnementale  ». De plus, si les dossiers sont «  méthodologiquement bien construits  », ils s’avèrent complexes – la construction d’une ligne de TGV par exemple – mais pas ambitieux pour autant, et même immobilistes voire, pour certains, régressifs quant à la prise en compte des impacts sur l’environnement ou la biodiversité.

Les dérogations contournant le droit sont particulièrement nombreuses, ce qui laisse les membres de l’AE dubitatifs quant à la volonté des acteurs économiques et politiques d’aller de l’avant : «  La crise sanitaire et climatique aurait pu conduire à revoir des modèles à bout de souffle, (pourtant) les mêmes programmes, les mêmes financements, les mêmes projets, qui auront, pour la plupart d’entre eux, des conséquences irréversibles, sont invariablement présentés  ».

La planète va mal … ne changeons rien  !

Rien n’y fait. Sans contrainte, pas de changement de paradigme envisageable par les décideurs. Pas de sobriété énergétique, ni au présent, ni en perspective :  « Un impensé de nombreux dossiers », où l’impact carbone n’est pas plus évoqué que les énergies renouvelables. Pas de prévention concernant la vulnérabilité des zones humides ou la biodiversité -faune et flore comprises- sur les territoires censés accueillir une autoroute, la gestion des déchets générés par une installation chimique, industrielle, ou sur des terres soumises à l’agriculture intensive. Aucune prise en compte de l’article de la loi « Climat et résilience » visant à empêcher toute nouvelle artificialisation des terres : pourquoi anticiper sur une mesure dont l’application est fixée à …2050 ? L’AE s’inquiète aussi de la qualité de l’air, particulièrement autour de certaines centrales nucléaires, qui rejettent des quantités trop importantes d’azote, nitrate, chlore et organochlorés.

L’eau fait l’objet de remarques alarmantes dans un tiers des avis. Le manque de réflexion et de prévention sur les risques pesant sur les réserves (souterraines, fluviales) et la qualité de l’eau est général. Par exemple, certains bassins (Loire-Bretagne, Adour-Garonne) pourtant éprouvés par des pollutions importantes et un épuisement de leurs nappes phréatiques, ont pourtant obtenu des dérogations pour une utilisation maximale des réserves et pour des épandages de pesticides et engrais, alors que leurs terres en sont déjà saturées. La situation aux Antilles, résultat de décennies d’utilisation du chlordécone, s’avère encore plus catastrophique.

L’État, grand pourvoyeur de dérogations et de promesses 

De plus, certains schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux ne prennent pas plus en compte les risques d’inondation ou de submersion par la mer, y compris sur les littoraux ! En fait, la transition écologique reste en marge, comme élément presque «  cosmétique  » des dossiers. C’est le cas des plans de végétalisation de certains centres urbains, certes pas inutiles, mais qui n’entrainent pas forcément un bouleversement du rapport à l’environnement. D’ailleurs, les avis témoignent que certains projets de transports en commun urbains ne prévoient de place ni pour les piétons ni pour les vélos ! Plusieurs projets de Zac sont également en cours, y compris sur des zones potentiellement inondables (Méridia dans les Alpes Maritimes) ou présentant un intérêt pour la préservation de la biodiversité, sans que ces projets n’aient prouvé leur utilité ou leur intérêt…

Les dossiers examinés manquent clairement d’innovation et d’ambition pour construire une économie non carbonée et éco responsable. Pire, c’est un peu comme si les « aménageurs » et autres décideurs, conscients qu’ils seraient bientôt obligés de faire autrement, et que ce serait peut-être plus difficile et moins lucratif, assumaient avec un certain cynisme la multiplication de projets pas très écolo-compatibles. L’Etat est également pointé pour son absence de volontarisme, pour ne pas dire sa « complicité » ou sa bienveillance, du fait qu’il acte de nombreux reculs du droit français de l’environnement « au prétexte de simplifier les processus administratifs », quitte à ne pas être en conformité avec la législation européenne.

Ainsi de la mise en œuvre de la PAC dans l’hexagone, du septième plan d’action sur les nitrates, de la deuxième mouture du plan écophyto sur la nécessaire réduction des pesticides, toujours reportée. Encore des «  occasions manquées  » d’accompagner agriculteurs et les autres acteurs économiques vers un modèle «  moins polluant et plus résilient face au changement climatique ». Le président de la République promet désormais une «  planification écologique et énergétique »  ? On n’en est plus là, et encore faudrait-il ouvrir les yeux sur les catastrophes déjà en cours.

Valérie Géraud

,