STMicroelectronics : le retour des augmentations générales ?
Ce que la multinationale avait toujours refusé, elle a fini par le concéder en octobre dernier : une augmentation générale des salaires. Les raisons de cette volte-face sont multiples, et la Cgt compte bien les mettre à profit pour obtenir davantage. Reportage.
Ce que la multinationale avait toujours refusé, elle a fini par le concéder en octobre dernier : une augmentation générale des salaires. Les raisons de cette volte-face sont multiples, et la Cgt compte bien les mettre à profit pour obtenir davantage. Reportage.
Trois pour cent d’augmentation exceptionnelle pour tous : les salariés en Cdi, en Cdd, apprentis, détachés et autres expatriés. Et ce, sans rien entamer des possibles sommes qui seront dégagées en 2022 pour une progression des salaires dans toute l’entreprise… Ça s’est passé le 28 octobre dernier chez STMicroelectronics, multinationale qui fabrique et commercialise des puces électroniques. David Majewski, technicien de maintenance et secrétaire du syndicat Cgt sur le site de Crolles (Isère), et Aimeric Mougeot, ingénieur réseau, élu au Cse et représentant du syndicat au sein du comité d’entreprise européen, s’en souviennent encore : « Nous n’y croyions pas. »
Depuis toujours, la Cgt réclame que des augmentations générales soient accordées avant que ne soient décidées des mesures individuelles. Sans succès. Ce jour-là, elle en défendait encore l’idée en distribuant aux premières heures de la journée un tract en ce sens. Une revendication qu’elle justifiait par la flambée des prix due à l’inflation autant que par la nécessaire mise en place d’un contre-feu à l’explosion des inégalités salariales relevée dans l’entreprise, où l’écart entre les salaires a plus que quadruplé depuis une dizaine d’années. Sa requête, la Cgt la soutenait avec la possibilité d’une redistribution des bonus et dividendes accordés au top management, simple mesure de justice, disait-elle, alors qu’en 2020 87 % des salariés n’avaient bénéficié d’aucune augmentation. Elle l’appuyait aussi sur les résultats financiers très confortables enregistrés par l’entreprise…
Pour les 40 000 salariés employés dans le monde
Ce 28 octobre, ces militants ont dû passer plusieurs coups de fil pour informer le personnel que ces revalorisations, loin d’être une rumeur, étaient bien réelles. Vers midi, la direction les convoquait avec les autres responsables syndicaux du site pour exposer ses intentions. Oui, leur affirme-t-elle, tous les salariés de Crolles et, avec eux, les 40 000 autres employés en France, en Europe et à travers le monde vont recevoir une augmentation de salaire exceptionnelle « à titre de reconnaissance ». Non, cette mesure ne modifiera pas les conclusions des négociations salariales de 2022. L’exposé qui est fait alors est simple et n’étonne personne. Reste que deux données au moins manquent au tableau. Deux données que tout le monde connaît sur le site et dont l’entreprise est moins fière.
D’abord, la montée des revendications salariales auxquelles la société fait face a lieu partout dans le monde. « Tout particulièrement à Malte et au Maroc, où les syndicats sont forts », indiquent David Majewski et Aimeric Mougeot. « Mais aussi sur le site de Crolles, son seul et unique établissement de production, où un mouvement de grève pour obtenir des augmentations de salaire a, en novembre2020, entamé pendant cinq semaines la production », ajoutent-ils. STMicroelectronics doit finalement affronter les effets de sa stratégie salariale, une stratégie purement comptable.
La méthode du comparatio, ou le salaire soumis à loi du marché
Cela fait cinq ans que le « comparatio » a fait son entrée dans la multinationale. Cette méthode de calcul sert à évaluer la compétitivité de la rémunération de chaque salarié. Pour ce faire, il compare le montant d’un salaire avec ceux pratiqués en interne comme en externe pour un même poste et une même fonction, et décide ainsi du niveau de salaire de tout un chacun. « Concrètement, explique Nadia Salhi, ingénieure R&D et déléguée syndicale sur le site, quelles que soient votre qualification ou votre ancienneté, votre salaire est envisagé selon la médiane des rémunérations proposées sur le marché dans et hors l’entreprise. Ensuite, le principe est simple : si son montant est supérieur à un ratio fixé à 0,8 point de ce qui se pratique autour de vous, vous n’êtes pas prioritaire pour une augmentation. S’il est inférieur, il est réévalué. »
Cette méthode ne tourne pas seulement le dos à tous les repères collectifs relatifs à la rétribution de la qualification et de l’expérience : ça, sans doute, l’entreprise de métallurgie s’en moque. Mais cette manière de contenir les rémunérations s’avère désastreuse pour elle quand le marché du travail sourit aux salariés. Car, partout dans le monde et dans le bassin d’emploi de Crolles aujourd’hui, les personnels qualifiés font défaut. Et « St » ne peut soutenir la concurrence face à des sociétés qui acceptent de mieux considérer leurs salariés, de mieux rémunérer la qualification et assurent de meilleures conditions de travail. Et développent un management moins autoritaire, souligne la militante.
À l’annonce de l’augmentation générale de 3 % des salaires pour tous les personnels, la Cgt de STMicroelectronics France s’est félicitée. Elle aurait « préféré une augmentation en euros identique pour tous », mais elle a « salué » la mesure. Elle l’a appréciée à sa juste valeur car, désormais, ce n’est plus seulement elle, c’est aussi les plus hautes instances de l’entreprise elles-mêmes qui affirment que le marché ne peut pas faire le salaire et que les augmentations générales sont une condition indispensable à la reconnaissance de la qualification. La Cgt espère bien transformer l’essai : obtenir pour 2022 une nouvelle mesure de la sorte. Et aller plus loin : faire reconnaître les qualifications acquises par la formation, « même lorsqu’un cursus a été suivi sans demande du management », dit-elle ; faire admettre aux plus hautes instances de l’entreprise qu’elles ne pourront s’attacher les compétences dont elles ont besoin pour doubler la production sur le site si elles n’acceptent pas une meilleure répartition des richesses…
Et, enfin, faire entendre que le droit d’expression est aussi une condition pour s’attacher des compétences. À la demande de la Cgt, de la Cfdt et du collectif des salariés de STMicroelectronics, l’inspection du travail a enquêté sur les conditions dans lesquelles le droit de grève avait été respecté pendant le conflit social de l’automne 2020. Pressions, intimidations, réductions des droits aux congés et aux Rtt : le rapport des inspecteurs est sévère. La direction de « St » n’a pas lésiné sur les moyens pour empêcher les salariés de réclamer d’être mieux payés, constatent les deux auteurs, qui rapportent jusqu’à cette injonction faite par la Drh aux militants syndicaux pendant la mobilisation : leur imposer de « s’appliquer du gel hydro-alcoolique sur les mains entre chaque tract distribué ». Et ensuite leur reprocher « leur lenteur ainsi que celle des salariés s’arrêtant pour échanger avec les personnes diffusant les tracts ».
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