Face à l’extrême droite, ce que peut le syndicalisme

Pas une voix pour l’extrême droite : au lendemain du premier tour, la Cgt et l’Ugict réitèrent leur appel. Marine Le Pen doit être battue et les revendications du monde du travail être entendues.

Édition 009 de fin avril 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 5 minutes

Options - Le journal de l'Ugict-CGT
À l’appel de plus d’une quarantaine d’associations et de syndicats, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté le 16 avril 2022 dans toute la France « contre l’extrême, pour la justice et l’égalité » © PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP
Pas une voix pour l’extrême droite : au lendemain du premier tour, la Cgt et l’Ugict réitèrent leur appel. Marine Le Pen doit être battue et les revendications du monde du travail être entendues.

Parce que les salariés ne gagneront rien d’une arrivée du Rassemblement national à l’Elysée, le mouvement syndical se mobilise. Dès le lendemain du premier tour, la Cgt, la Cfdt, Solidaires et l’Unsa ont appelé le monde du travail à faire barrage à Marine Le Pen. Même Fo, qui a souligné «  son refus du racisme  » et «  des slogans qui font de l’étranger un bouc-émissaire  », sa «  détermination à défendre le droit de grève et de manifestation  ». Selon un sondage publié le 12 avril par l’institut Harris Interactive pour le quotidien Liaisons sociales, 22  % des salariés proches de la Cgt qui ont voté l’ont fait pour Marine Le Pen, 31  % des salariés proches de Fo, 19  % de ceux proches de l’Unsa, 15  % ceux proches de la Cfdt et 14  % parmi ceux proches de Solidaires.

Le temps n’est plus où le Fn était une menace de principe que le syndicalisme pouvait exorciser par la mise à l’écart d’un homme comme Fabien Engelmann, ce responsable Cgt du syndicat des agents territoriaux de la mairie de Nilvange, en Moselle, exclu en avril 2011 pour avoir décidé de se présenter à des élections locales en tant que militant actif du Front national. Désormais, le danger est omniprésent. Il l’est et, comme lors des élections précédentes, la proximité avec un syndicat reste la meilleure antidote aux idées d’extrême droite  : 27  % des salariés qui ont voté et se déclarent éloignés de toute centrale ont déposé un bulletin Le Pen dans l’urne contre 20  % à l’inverse.

Pour l’Ugict, un non ferme et définitif

Dans un communiqué publié au lendemain du premier tour, l’Ugict est très claire. Le Rassemblement national qui «  porte toujours des orientations racistes, sexistes et homophobes en contradiction frontale avec notre démocratie et notre République  » doit être combattu. Il doit l’être «  dans le rue et dans les urnes  ». Mais, en aucun cas, ajoute-t-elle, cette détermination, ne doit signifier un blanc-seing à Emmanuel Macron dont «  le quinquennat antisocial a fait monter l’extrême droite comme jamais  ». Les «  exigences sociales qui se sont exprimées au premier tour  » doivent être entendues, «  à commencer par la retraite à 60 ans et à taux plein  ».

Ce que l’image ne dit pas

Plus que jamais, donc, le collectif contre les idées d’extrême droite de la Cgt est sur la brèche. Le 1er février dernier, Pascal Debay, son animateur, était à Troyes à l’invitation de l’union départementale Cgt de l’Aube. Dans ce département où, aux dernières élections régionales, le Rassemblement national a engrangé près de 40  % des voix, une nouvelle fois il a aidé les militants à répondre à ce sentiment d’«  abandon  » et de «  trahison  » qui, chaque jour un peu plus, envahit le monde du travail. Ce jour-là encore, les témoignages des syndicalistes présents, qu’ils soient de la Métallurgie, de l’Énergie, de la Santé Action sociale ou de l’Éducation, étaient édifiants, qui traduisaient l’ampleur des risques qui se propagent dans les entreprises, que ceux-ci se manifestent par la banalisation du racisme ou encore par l’attrait grandissant des personnels lors des élections professionnelles pour des listes militant ouvertement contre les organisations traditionnelles.

Les immigrés, parlons-en

De l’urgente nécessité de déconstruire l’image apaisée et lissée que le Rassemblement national veut donner de lui-même, il a donc beaucoup été question. Le ripolinage de son nom n’opère en rien une rupture idéologique avec le passé. Tout simplement, la xénophobie et la haine qui s’affichaient librement auparavant se sont-elles transformées en un semblant de «  francophilie  » tranquille sans qu’en rien le but recherché ne varie, a expliqué Pascal Debay. Non, a-t-il ajouté, la France n’accueille pas plus de citoyens venant de pays hors Union européenne que les autres pays de l’Ue  : elle en accueille même moins que l’Espagne, l’Italie, bien moins encore que l’Allemagne ou l’Autriche. Non, le projet social de l’extrême droite en matière de rémunération ou de fiscalité n’en est pas un. «  Et comment pourrait-il en être un quand la première mesure proposée est l’instauration d’une Tva sociale et la hausse des impôts indirects  ?  », a-t-il encore souligné. Là ne sont que mensonges et supercheries.

Mais, une fois dit cela, comment faire entendre raison aux salariés  ? Comment la Cgt peut-elle reprendre la main  ? Quelques jours plus tard, lors d’un colloque organisé le 10 février par l’Institut d’histoire sociale de la Cgt, une proposition a été faite. Invitée avec plusieurs autres chercheurs et syndicalistes, la sociologue Annie Collovald en est l’auteure  : se réapproprier la culture et la fierté qui ont fait la puissance du mouvement ouvrier. «  Rarement les classes populaires ont été aussi invisibilisées. Ou, quand elles ne le sont pas, a-t-elle déclaré, c’est pour les cantonner au danger qu’elles représenteraient, au problème pour la démocratie qu’elles engendreraient et qu’il vaudrait mieux évacuer pour gouverner en paix. Comment s’étonner dès lors qu’à force de mépris et de dénégation certains optent pour des solutions qui n’en sont pas  ?  »

Se réapproprier les mots

L’idée de redonner sens à l’action syndicale en réaffirmant ses espoirs et ses projets pour lutter contre les idées d’extrême droite sera reprise par tous les syndicalistes présents ce 10 février à Montreuil. Elle le sera avec l’affirmation de la nécessité pour la Cgt d’afficher haut et fort ses valeurs. À commencer par celles inscrites dans ses statuts  : son attachement au progrès social et à la défense des revendications des salariés, son combat résolu pour une société plurielle, «  solidaire, démocratique, de justice, d’égalité et de liberté  »…

Rien d’autre finalement que ce qu’imaginait Sylvie Gateau, la secrétaire de l’Ud-Cgt de l’Aube, au lendemain de la formation organisée avec Pascal Debay à Troyes. Quand, après cette rencontre, elle annonçait bien sûr vouloir poursuivre son travail pour sensibiliser un maximum de syndiqués aux dangers que représente l’extrême droite. Mais, aussi, quand elle confiait vouloir reprendre ses déambulations dans les rues du département. Lors de la campagne «  Tpe  », le comité régional Cgt de la Région Grand-Est avait formé ses militants à devenir des porteurs de parole  : à se réapproprier les mots pour ouvrir l’échange dans l’espace public en usant d’affiches ou de panneaux destinés à interpeller les passants. «  Nous nous y étions risqués avant le Covid autour de thèmes sur le travail ou les violences faites aux femmes. Et beaucoup de gens étaient venus discuter avec nous, rapportait-elle. Nous devrions réitérer autour de la menace que constituent les idées de l’extrême droite.  »

Martine Hassoun

Interview de Gilbert Garrel, président de l’Ihs de la Cgt

La journée d’étude et de débat organisée par l’Institut d’histoire sociale de la Cgt sur le combat de la Cgt contre l’extrême droite, d’hier à aujourd’hui

,