Pse, ruptures conventionnelles collectives, activité partielle de longue durée ou accords de performance collective : la crise sanitaire ne va pas donner un coup d’arrêt à la négociation sociale. Mais pour quels résultats ? Une analyse de Pascal Lokiec, professeur de droit social à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, auteur avec Dominique Méda et Éric Heyer d’“Une autre voie est possible” (Flammarion, 2018).
En soi, il est trop tôt pour tirer toutes les conclusions de ce qu’il s’est passé pendant le confinement. On a toutefois déjà la confirmation de l’importance cruciale des enjeux liés à la protection de la santé physique et mentale des salariés. Une inquiétude majeure vient ici du fait que le Chsct, chargé spécifiquement de ces questions, a été supprimé par les ordonnances Macron. On peut aussi constater qu’en recourant massivement au chômage partiel, le gouvernement a suivi une politique de protection de l’emploi en rupture avec les logiques de ces dernières années. Sa stratégie n’a pas été très éloignée de celle choisie par les gouvernements italien et espagnol qui ont alors interdit les licenciements.
À une nuance près, toutefois : pour affronter le risque d’un chômage de masse, l’Italie a renoué avec la pratique des négociations tripartites pour élaborer des mesures sociales, tandis que la France, elle, a agi par ordonnances. Surtout, le gouvernement mise sur des négociations d’entreprise, poursuivant la tendance en cours depuis une vingtaine d’années. Désormais, tout se négocie : le temps de travail comme les primes ou la gestion des restructurations. Pour affronter la crise, cette approche-là va être privilégiée.
Sans contre-pouvoirs
Si le principe de faveur était resté la norme, la logique serait acceptable. Seulement voilà, tout dépend aujourd’hui du rapport de force dans l’entreprise, dans un contexte de menace sur l’emploi qui le rend particulièrement déséquilibré. Les accords de performance collective, qui pourraient se multiplier dans les prochaines semaines, poussent cette logique à son paroxysme. Les Cse n’ont aucun moyen d’agir sur leur pertinence et leur validité. Tout repose sur les organisations syndicales, alors même que ces accords peuvent imposer aux salariés une baisse de salaire, une obligation de mobilité ou un aménagement des horaires, tout refus de leur part les exposant à un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Seule condition posée à cela : que l’accord soit majoritaire et respecte le salaire minimum…
Si l’on considère que la primauté désormais accordée aux accords d’entreprise est une donnée inéluctable, il va impérativement falloir changer les règles de gouvernance de l’entreprise. En effet, promouvoir les accords d’entreprise n’est pas viable si le pouvoir n’est pas partagé dans l’entreprise. Le modèle de cogestion allemand incite à accorder au moins 30 % des sièges dans les conseils d’administration aux représentants des salariés. On en est loin. Le seul principe majoritaire ne suffit pas à garantir la prise en compte des intérêts des salariés.
En France, le Code du travail s’est construit contre cette idée, en vigueur au début du XIXe siècle, selon laquelle ce qui était contractuel était forcément juste. Reconnaissant l’existence d’un lien de subordination, ses promoteurs ont soutenu la nécessité d’une protection des salariés par une loi commune à tous. La réalité est toujours celle-là. On ne peut tout abandonner aux militants syndicaux de terrain, jusqu’aux modalités de négociation. Car ce qui est négocié, même collectivement, n’est pas juste par nature, surtout lorsque les conditions fixées peuvent être en deçà des droits et garanties collectives reconnus par le Code du travail.
Et ce qui est vrai pour les salariés l’est tout autant pour les travailleurs économiquement dépendants, à commencer par les travailleurs des plateformes, dont la crise a démontré l’extrême vulnérabilité. En cette rentrée, leur situation doit faire l’objet d’une attention toute particulière. Les chartes ne peuvent suffire à fixer leurs conditions de travail. Il faut élaborer à leur attention un véritable statut, lequel pourrait être aménagé par accord collectif. Faut-il négocier des garanties collectives plateforme par plateforme, branche par branche ou au niveau national ? Doit-on aligner ou non ce statut, et le cas échéant, jusqu’où, sur celui des salariés ? Ici aussi, les conditions de la représentation des intérêts collectifs doivent être posées, et le syndicalisme doit s’y atteler.
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