Chronique juridique -  Loi du 6 août 2019 : la fonction publique défigurée

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La loi n° 2019-828 du 6 août 2019, dite « de transformation de la fonction publique » attaque frontalement le statut de la fonction publique, notamment au niveau des collectivités territoriales décentralisées.

L’article 56 de la loi du 6 août 2019 a introduit un article 7-2 dans la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Celui vise à encadrer le droit de grève dans certains services publics de proximité organisés et gérés par les collectivités territoriales et leurs établissements publics.

Sont concernés les services suivants :

  • collecte et traitement des déchets des ménages ;
  • transport public de personnes ;
  • aide aux personnes âgées et handicapées ;
  • accueil des enfants de moins de 3 ans ;
  • accueil périscolaire ;
  • restauration collective et scolaire.

On notera qu’il ne s’agit pas d’activités régaliennes gérées par ces collectivités et leurs établissements – services des élections, de l’état civil, police municipale, sapeurs-pompiers –, mais de services pouvant être externalisés, notamment vers le secteur privé, par délégations de service public (Dsp).

Une atteinte délibérée au droit de grève

Pourtant le législateur les qualifie de services « dont l’interruption en cas de grève des agents publics participant directement à leur exécution contreviendrait au respect de l’ordre public, notamment à la salubrité publique, ou aux besoins essentiels des usagers de ces services ».

Le droit de grève est garanti par la Constitution, y compris aux agents publics, qui l’exercent « dans le cadre des lois qui le réglementent » (article 10 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires).

Le nouvel article 7-2, introduit dans la loi de 1984, qui est d’application immédiate, prévoit que les autorités des collectivités territoriales et des établissements publics locaux – maires, présidents de conseils départementaux, régionaux, d’établissements publics de coopération intercommunale (Epci)… – et les organisations syndicales qui disposent d’au moins un siège dans les instances au sein desquelles s’exerce la participation des fonctionnaires – comités techniques, commissions administratives paritaires, comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail… – peuvent engager des négociations en vue de la signature d’un accord visant à assurer la continuité des services publics précités (petite enfance, transports publics de personnes,…).

Cet accord est censé déterminer, afin de garantir la continuité du service public, les fonctions et le nombre d’agents indispensables, ainsi que les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible de ces services, l’organisation du travail est adaptée et les agents présents au sein du service sont affectés.

Cet accord, s’il est signé par les parties, doit ensuite être approuvé par l’assemblée délibérante.

À défaut de conclusion d’accord dans un délai de douze mois après le début des négociations, les services, les fonctions et le nombre d’agents indispensables afin de garantir la continuité du service public sont déterminés par délibération de l’organe concerné.

Les obligations des agents grévistes des services encadrés

Dans le cas où un préavis de grève a été déposé dans les conditions prévues à l’article L. 2512-2 du Code du travail (le préavis doit être déposé par une organisation syndicale représentative cinq jours francs avant le début de la grève) et en vue de l’organisation du service public et de l’information des usagers, les agents des services mentionnés ci-dessus doivent informer, au plus tard 48 heures avant de participer à la grève, comprenant au moins un jour ouvré, l’autorité territoriale ou la personne désignée par elle, de leur intention d’y participer.

Par ailleurs, l’agent qui aurait déclaré son intention de participer à la grève et qui renonce à y prendre part doit en informer l’autorité territoriale au plus tard 24 heures avant l’heure prévue de sa participation afin que celle-ci puisse l’affecter.

En outre, l’agent qui participe à la grève et qui décide de reprendre son service doit en informer l’autorité territoriale au plus tard 24 heures avant l’heure de sa reprise afin que l’autorité puisse également l’affecter.

Toutefois, l’obligation d’information précitée n’est pas requise lorsque la grève n’a pas lieu ou lorsque la reprise de service est consécutive à la fin de la grève.

Lorsque l’exercice du droit de grève en cours de service peut entraîner un risque de désordre manifeste dans l’exécution du service, l’autorité territoriale peut imposer aux agents ayant déclaré leur intention de participer à la grève d’exercer leur droit dès leur prise de service et jusqu’à son terme. Cette disposition signifie que les grèves d’une demi-journée ou de quelques heures sur un temps de service sont désormais interdites dans ces secteurs, et que la règle du 1/30e indivisible va être imposée dans la fonction publique territoriale.

Enfin, la loi prévoit qu’est passible d’une sanction disciplinaire l’agent qui n’a pas informé son employeur de son intention de participer à la grève ou qui n’a pas exercé son droit de grève dès sa prise de service, dans les conditions prévues ci-dessus. Cette sanction disciplinaire peut également être prise à l’encontre de l’agent qui, de façon répétée, n’a pas informé son employeur de son intention de renoncer à participer à la grève ou de reprendre son service.

Validation par le Conseil constitutionnel

Saisi par des parlementaires d’opposition, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2019-790 Dc du 1er août 2019, a jugé que le législateur avait suffisamment délimité le champ des services publics soumis à ce nouveau régime.

Il a en outre relevé que l’obligation de déclaration préalable de participation à la grève, qui ne saurait être étendue à l’ensemble des agents, n’est opposable qu’aux seuls agents participant directement à l’exécution des services publics et qualifiés d’« indispensables » à la continuité du service public dans l’accord prévu par l’article 7-2 précité ou dans la délibération de la collectivité territoriale ou de l’établissement public local.

Le Conseil constitutionnel a précisé que la restriction apportée aux conditions d’exercice du droit de grève, à raison de la possibilité donnée à l’autorité territoriale d’imposer aux agents en cause d’exercer leur droit de grève dès leur prise de service et jusqu’au terme de ce dernier, n’oblige pas l’agent qui souhaite cesser son travail à le faire dès sa première prise de service postérieure au déclenchement de la grève.

Enfin, les sanctions disciplinaires prévues par les dispositions contestées sont, selon le Conseil constitutionnel uniquement destinées à réprimer l’inobservation des obligations de déclaration préalable et d’exercice du droit de grève dès la prise de service, dont la méconnaissance ne confère pas à l’exercice du droit de grève un caractère « illicite » (sic).

Détachement d’office en cas d’externalisation d’un service public

L’article 76 de la loi du 6 août 2019, précitée, crée un nouvel article 15 dans la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (s’appliquant aux agents des trois versants). Celui-ci prévoit que « lorsqu’une activité d’une personne morale de droit public employant des fonctionnaires est transférée à une personne morale de droit privé ou à une personne morale de droit public gérant un service public industriel et commercial, des fonctionnaires exerçant cette activité peuvent être détachés d’office, pendant la durée du contrat liant la personne morale de droit public à l’organisme d’accueil, sur un contrat de travail conclu à durée indéterminée auprès de l’organisme d’accueil ».

On ne peut s’empêcher de faire le lien entre les secteurs où le droit de grève est encadré et ceux qui, au niveau des collectivités territoriales et de leurs établissements publics peuvent être externalisés, et ainsi voir les fonctionnaires qui y accomplissent leurs missions devenir des salariés de droit privé malgré leur refus.

Dispositifs d’incitation des fonctionnaires à quitter la fonction publique

Outre le détachement d’office, d’autres dispositifs prévus par la loi du 6 août 2019 visent à inciter les fonctionnaires ou les contractuels en Cdi à quitter définitivement la fonction publique au nom d’un encouragement à la « mobilité » professionnelle.

La rupture conventionnelle

L’article 72 de la loi du 6 août 2019, précitée, prévoit que les administrations de l’État, des collectivités territoriales et des établissements hospitaliers et leurs fonctionnaires « peuvent convenir en commun des conditions de la cessation définitive des fonctions, qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire ».

La rupture conventionnelle résulte d’une convention signée par les deux parties. La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle, qui ne peut pas être inférieur à un montant fixé par décret (non encore publié). Ce dispositif sera expérimenté du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025.

L’extension du bénéfice de l’assurance chômage aux agents publics volontairement privés d’emploi

C’est également ce que prévoit l’article 72, précité. Sont concernés :

  • les agents publics démissionnaires, lorsque leur démission intervient dans le cadre d’une restructuration et donne lieu au versement d’une indemnité de départ volontaire ;
  • les agents publics ayant bénéficié d’une rupture conventionnelle.

La disparition programmée des fonctionnaires territoriaux momentanément privés d’emploi (Fmpe)

L’article 78 de la loi du 6 août, modifiant l’article 97 de la loi du 26 janvier 1984, précitée, prévoit :

  • le renforcement du mécanisme de dégressivité de la rémunération du Fmpe (10 % à partir de la 2e année contre 5 % actuellement à partir de la 3e année et suppression de la rémunération plancher de 50 %). Ainsi, à terme, le fonctionnaire en cause qui ne retrouve pas un emploi est licencié ;
  • le renforcement du dispositif d’accompagnement du Fmpe dès sa prise en charge par le centre de gestion ou par le Cnfpt, en ouvrant à ces agents les mêmes garanties qu’aux agents de l’État et hospitaliers s’agissant du financement d’actions de formation longues nécessaires à l’exercice d’un « nouveau métier » (sic) dans la fonction publique ou le secteur privé.

En outre, l’article 79 de la loi du 6 août 2019, modifiant l’article 97 de la loi du 26 janvier 1984, précitée, prévoit que le fonctionnaire pris en charge par le Cnfpt ou par un centre de gestion qui remplit les conditions lui permettant de bénéficier d’une pension de retraite de base à taux plein est mis à la retraite d’office.

L’incitation à la mobilité des fonctionnaires territoriaux détachés sur un emploi fonctionnel de direction

L’article 77 de la loi du 6 août 2019, qui modifie l’article 53 de la loi du 26 janvier 1984, prévoit que « pendant le délai de six mois qui suit notamment l’arrivée d’un nouvel exécutif territorial (maire, président de département…), l’autorité territoriale permet à l’agent concerné de rechercher une nouvelle affectation, en mobilisant à cette fin, le cas échéant, les moyens de la collectivité ou de l’établissement. Un protocole peut être conclu entre l’autorité territoriale et le fonctionnaire afin d’organiser, dans le respect des dispositions statutaires en vigueur, cette période de transition. Ce protocole prend acte du principe de la fin du détachement sur l’emploi fonctionnel. Il porte notamment sur les missions, la gestion du temps de travail, les moyens, la rémunération du fonctionnaire, ses obligations en matière de formation, de recherche d’emploi et la manière dont l’autorité territoriale accompagne et favorise cette recherche de mobilité ».

Edoardo Marquès

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