Pour la démocratie, garantir l’indépendance des médias grâce à l’économie sociale et solidaire ?

Organisées par Alternatives économiques, les Journées de l’économie autrement ont eu lieu à Dijon les 25 et 26 novembre 2022. Parmi les rencontres proposées par le journal, le débat sur le pluralisme dans les médias s’est trouvé à la confluence de problématiques anciennes et d’enjeux plus actuels.

Édition 023 de mi-janvier 2023 [Sommaire]

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© Babouse

Suppression de la redevance, rachat de médias par de grands groupes et phénomène de concentration… Le paysage des médias en France peut parfois ressembler à une dystopie. Le débat « Médias  : quelle alternative aux grands groupes ? » proposé par Alternatives économiques durant ses Journées de l’économie autrement a mis en lumière tous ces enjeux. Et proposé quelques pistes pour agir.

La concentration dans les médias  : phénomène ancien

La concentration des médias en France est un processus historique dont les dernières illustrations ont été la tentative – infructueuse – de rapprochement M6-TF1 et la consolidation de l’empire Bolloré (Cnews, Canal+, Europe 1, RFM, Virgin Radio, Voici, Capital, Gala, Paris Match, Le JDD…).

Le sociologue et chercheur à l’Ehess Jean-Marie Charon rappelle ce qu’était le paysage médiatique des années 1980, avec la toute-puissance du Groupe Hersant dans la presse quotidienne, nationale comme régionale. Les «  grands empires  » n’ont rien de neuf. Toutefois, si la concentration interroge aujourd’hui, c’est moins pour la frénésie de rachats que pour la stratégie de groupes qui n’ont «  aucun projet de presse  », estime Marie-Hélène Smiejan-Wanneroy, directrice générale de Mediapart. Sans projet de presse, mais pas sans idéologie… La promotion de l’extrême droite sur les antennes du groupe Bolloré est limpide.

Mais, la spécificité « bien française » soulignée par les intervenants, c’est notre droit de la presse. À chaque quinquennat ou presque, un nouveau texte législatif est présenté. Jean-Marie Charon y voit une «  obsession  »  : « vouloir encadrer le travail des journalistes  », à partir d’affaires très médiatiques, le plus souvent sur des faits divers.

L’indépendance des médias garantie d’abord par leur financement

Revenant sur l’abrogation de la redevance audiovisuelle, Jean-Marie Charon rappelle quel était son rôle crucial pour sécuriser le financement du service public par-delà les alternances gouvernementales. Ce pilier de l’indépendance des médias est désormais sapé. Le Parlement doit voter chaque année le budget de l’audiovisuel public, avec les possibles dérives partisanes que cela suppose…

Pour garantir la liberté de la presse, Marie-Hélène Smiejan-Wanneroy présente les trois points qui, selon elle, en sont au fondement  : primo, que le capital soit sous le contrôle des journalistes  ; secundo, que les statuts de l’entreprise garantissent l’indépendance de la rédaction  ; tertio, que les recettes ne dépendent ni d’un annonceur ni de l’État.

Car, à travers les subventions et les facilités fiscales, l’État est aussi un des financeurs de la presse en France. Et de toute la presse. À travers des aides directes, non basées sur la diffusion, ce sont des millions d’euros que perçoivent par exemple Libération, Le Monde ou Les Échos. Vincent Grimault, journaliste à Alternatives économiques, qui anime le débat, ajoute malicieusement que sont aussi aidés Le Journal de Mickey, Closer, Le Chasseur français et d’autres titres dont la pertinence dans le débat démocratique est questionnable.

L’économie sociale et solidaire, pour une presse pluraliste et indépendante  ?

L’enjeu de l’indépendance, c’est «  la liberté d’informer sans influence », pour reprendre les mots de Catherine André, rédactrice en chef adjointe d’Alternatives économiques. Une liberté qui peut être amenuisée par des attaques judiciaires – en fait des procédures-bâillons – contre un journal. C’est l’exemple de « l’affaire Perdriau » et de la censure dont avait été victime Mediapart. D’où l’importance de disposer d’une trésorerie qui permette de ne pas capituler devant des poursuites infondées…

Les Gafam sont aussi au cœur des enjeux sur la sincérité des informations et l’accès à celles-ci. «  La question de la propriété est alors liée à l’indépendance  », selon Antoine Détourné, délégué général de Ess France, qui a publié un rapport revenant sur les modèles choisis par certains médias, et les opportunités offertes par l’économie sociale et solidaire (Ess).

Pour les médias qui ont fait le choix de prendre du « recul » vis-à-vis de la « pression du marché », ce sont des statuts relevant de l’économie sociale et solidaire qui ont été plébiscités – Scic, Scop ou autres – pour assoir une offre d’information ambitieuse et parfois même délibérément non lucrative. Antoine Détourné cite alors un néologisme : « Le terme “essisation”, c’est pour proposer une alternative à “l’ubérisation” » et à ce qu’elle suppose. Car ce qu’a à offrir l’Ess aux médias, est vital pour nos sociétés : « associer la gouvernance démocratique d’une structure à un projet d’utilité sociale pour l’information ».

Lennie Nicollet

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