Jeux olympiques et paralympiques : des chantiers vitrines, et après ?
À événement exceptionnel, dispositif exceptionnel. « Surcontrôlés », les chantiers de construction olympiques ont enregistré nettement moins d’accidents que dans le reste du Btp. Cela prouve qu’avec des moyens conséquents, il est possible de réduire drastiquement la mortalité sur l’ensemble des chantiers.
« Avec 130 accidents, dont 17 graves, les chantiers olympiques sont cinq fois moins accidentogènes que la moyenne du Btp », a annoncé l’Élysée en juillet 2023. Aucun accident mortel n’a été recensé par la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), l’établissement public chargé de la construction des ouvrages olympiques et paralympiques de Paris 2024. Tous les acteurs s’accordent à dire que ces chantiers ont bénéficié d’une attention particulière.
L’existence de la charte sociale de Paris 2024 visant à « assurer l’exemplarité sociale des Jop 2024 » a permis la mise en place de différents dispositifs. Ancien secrétaire général de la Cgt, c’est au titre de l’Organisation internationale du travail (Oit) que Bernard Thibault copréside son comité de suivi, qui a également nommé des délégués de sites. Temporairement détachés de leur entreprise, ces syndicalistes participent notamment à des réunions périodiques avec les différents acteurs des chantiers.
Charte sociale et présence syndicale
Dans son livre Dans les coulisses des JO, Bernard Thibault raconte une réunion interchantiers au Village des athlètes. Sont présents les représentants des principales entreprises, des municipalités concernées, de l’inspection du travail, de la caisse régionale d’assurance maladie et de l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics. Bachir Benamara, délégué syndical central Cgt de l’entreprise Razel-Bec et délégué de site nommé par le comité de suivi de la charte sociale, projette sur grand écran des photos qu’il a prises la veille dans le cadre d’une visite de chantier à L’Île-Saint-Denis. Il décrit les différents problèmes de sécurité qu’il a identifiés : un escalier encombré par des gravats, un garde-corps mal fixé, etc. « Il est sans doute peu courant, souligne Bernard Thibault, que des responsables de chantiers soient confrontés à un tel compte-rendu de visite, qui plus est développé par un représentant du personnel. »
Ces chantiers médiatiques et ultrasécurisés sont plus visités que la moyenne : comité de suivi de la charte sociale de Paris 2024, personnel de la Solideo, représentants de l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (Ibb)… « À partir du moment où ils savaient que des personnes extérieures venaient sur le chantier, les grands groupes ont fait attention », résume Yves Gauby, de la fédération Cgt de la Construction, qui décrit même des équipements « qu’on ne voit jamais sur les chantiers habituellement » : balisage, pont en échafaudage pour séparer les déplacements des piétons et des véhicules, hygiène irréprochable du réfectoire, équipé d’un pédiluve pour nettoyer les chaussures à l’entrée.
Une unité spéciale d’inspection du travail
Une unité spéciale d’inspection du travail a également été créée : l’Unité régionale d’appui et de contrôle des grands chantiers (Uracgc), composée de 8 agents de contrôle, était chargée de contrôler les 64 chantiers olympiques d’Île-de-France, ainsi que ceux du Grand Paris Express. « Chaque jour un des chantiers des Jop reçoit la visite d’un inspecteur du travail. C’est une fréquence bien supérieure à l’habitude », explique Bernard Thibault.
Pourtant, la création de cette section a été dénoncée par le Syndicat national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (Sntefp-Cgt) car elle s’est faite « au détriment des sections généralistes territoriales » explique le syndicat dans un communiqué : « en Île-de-France, de l’aveu même du ministère du Travail, un poste d’agent de contrôle sur cinq n’est pas pourvu (sur 375 agents en poste). On a donc déshabillé Pierre pour habiller Paul dans un contexte de réduction structurelle des effectifs. »
Le reste des chantiers d’Île-de-France est toujours aussi meurtrier
Par ailleurs, si ces différents dispositifs ont permis d’améliorer la sécurité sur les chantiers, « peut-on vraiment se réjouir d’une moindre accidentologie sur les chantiers surcontrôlés du fait de la médiatisation, quand le reste des chantiers d’Île-de-France est toujours aussi meurtrier ? » interroge le Sntefp-Cgt. Dans LeMonde du 15 juillet 2023, Aline Leclerc et Jules Thomas ont mis en regard les chiffres de la Solideo – 130 accidents dont 17 graves, aucun mortel – et ceux de l’ensemble des accidents mortels du travail : « À titre de comparaison, 129 accidents mortels du travail sont survenus en Île-de-France en 2021 (contre 70 en 2012) et 126 décès ont frappé le Btp en France en 2021. »
Ces chiffres disent le traitement de faveur réservé aux chantiers olympiques. Si des dispositifs particuliers ont été mis en place pour cet événement exceptionnel, ils n’ont pas modifié la « configuration plus générale qui mine le Btp », où « le recours à la sous-traitance représente 60 à 80 % » de l’activité, tranche Bernard Thibault.
Dans une étude publiée par la Dares en février 2023, l’économiste Thomas Coutrot confirme que « la sous-traitance demeure intrinsèquement associée à un taux élevé d’accidents du travail. » Cette organisation du travail a cependant aussi pour conséquence d’augmenter le nombre d’accidents parmi les salariés des entreprises donneuses d’ordres. Dans le cas où les salariés du sous-traitant travaillent « en coactivité » avec ceux du donneur d’ordres, comme c’est le cas sur les chantiers de construction, « les difficultés de coordination expliquent en partie le surcroît d’accidents ». Des leçons pourront-elles être tirées de l’expérience de ces chantiers exceptionnels ?
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