Revue de presse -
États-Unis : un été indien syndical ?
Après Hollywood, l’industrie automobile : sur fond de bataille électorale pour capter le vote de la classe moyenne, les grèves qui secouent les États-Unis depuis plusieurs mois marquent un retour en force des syndicats. Pour longtemps?
« No justice, no jeep » (Pas de justice, pas de jeep) : dans la région des Grands Lacs, le slogan des travailleurs de l’automobile en grève pour une meilleure convention collective fait aujourd’hui trembler les « Big Three » que sont les constructeurs General Motors (GM), Stellantis (ex-Chrysler) et Ford. C’est l’occasion, pour le lecteur de la presse, de faire une triple rencontre. Avec la United auto workers (UAW, 700 000 membres) à l’initiative du mouvement. Avec Shawn Fain, son président, un « leader atypique » qui « jette à la poubelle le fonctionnement traditionnel des syndicats », comme l’affirme le Wall Street Journal. Avec, enfin, une méthode de grève inédite détaillée par L’Humanité : des débrayages ciblés et gradués touchant les trois constructeurs simultanément, et alimentés par des « direct live » hebdomadaires sur Facebook, commentant l’avancée des négociations.
Si la plupart des titres restent factuels, tous qualifient le mouvement d’« historique ». Il faut dire que l’image de Joe Biden sur un piquet de grève, avec mégaphone et casquette de l’UAW vissée sur la tête, a marqué les esprits. Il faut y avoir un « coup de maître de Shawn Fain », assure Christophe Deroubaix dans L’Humanité. Sur son site, TV5 Monde en publie un extrait vidéo. Le président, en concurrence électorale avec Donald Trump, lance ainsi devant les grévistes : « Vous me l’avez entendu dire à maintes reprises. Wall Street n’a pas construit ce pays. C’est la classe moyenne qui a construit ce pays. Et les syndicats ont construit la classe moyenne. C’est un fait. »
Le premier des syndicalistes…
Il n’en faut pas davantage pour faire du président des États-Unis le « premier des syndicalistes ». C’est ce que relate Radio France dans un podcast consacré au retour en force des syndicats, en publiant un extrait de son intervention à Philadelphie, prononcée à l’occasion de la fête du Travail. « Je suis fier de dire syndicat. Je suis fier d’être le président le plus pro-syndicat de l’histoire américaine, d’après les experts. Et d’ailleurs, je ne m’en cache pas. En ce jour de fête du Travail, laissez-moi vous dire ce que nous célébrons. Nous célébrons l’emploi, l’emploi bien rémunéré, l’emploi qui permet d’élever une famille et l’emploi syndiqué. »
Nombreux sont pourtant ceux qui tempèrent les portraits laudateurs de l’hôte de la Maison-Blanche. À commencer par Médiapart qui donne la parole à Clément Petitjean, sociologue spécialiste des États-Unis. Pour lui, la présence de Joe Biden sur un piquet de grève est moins la preuve de son attachement au syndicalisme que le signe qu’il s’y sent obligé. Il argumente : « D’un côté, la popularité des syndicats est très élevée. L’institut de sondage Gallup a indiqué en août 2022 que les bonnes opinions envers les syndicats étaient de 71 %, ce qui est inédit depuis 1965 […]. Mais, d’un autre côté, la pratique du syndicalisme reste en déclin. Le taux de syndicalisation est depuis des années en chute libre, autour de 10 % de la population active, avec une grande différence entre le secteur public (à 30 %) et le secteur privé (6 %), ce qui rend le mouvement actuel dans l’automobile encore plus notable. »
Trente-deux heures : le chiffre magique
Impossible, donc, d’ignorer le mouvement Striketober – contraction de strike (grève) et d’october –, d’autant plus qu’il se déploie essentiellement dans le Michigan, un État où démocrates et républicains sont au coude à coude. Dans Libération, Julien Gester, correspondant du quotidien à New York, explique : « La situation présente un défi d’ampleur et particulièrement miné pour ce chef de l’État qui se plaît à se dépeindre comme “le plus pro-syndicats de l’histoire” et vante à tous propos la réindustrialisation du pays comme le fer de lance de sa politique, mais doit composer, à peine plus d’un an avant de se présenter à nouveau devant les électeurs, avec une économie essentiellement perçue au prisme des effets saumâtres de l’inflation. »
Mais contrairement aux revendications salariales (+ 40 % sur quatre ans), soutenues par le gouvernement fédéral, celles sur les trente-deux heures hebdomadaires et la semaine de quatre jours sont nettement moins entendues à la Maison-Blanche. Dans le New York Times, Binyamin Appelbaum le regrette. Dans un article titré « Le chiffre magique : trente-deux heures par semaine », l’éditorialiste commente : « Mr Biden aurait également dû soutenir le passage à la semaine de trente-deux heures – et pas seulement pour les travailleurs de l’industrie automobile. Il aurait dû soutenir une législation fédérale redéfinissant la semaine standard pour tous les travailleurs rémunérés à l’heure. » Il conclut : s’ils réussissaient, « nous serions tous gagnants ».
On en est pas là. Du moins si l’on en croit un éditorial du Monde. Si l’opinion publique américaine ne semble plus se satisfaire de décennies de déclin syndical, Stéphane Lauer prévient : « Les leviers d’action permettant de redonner un élan au mouvement syndical restent toutefois limités. Les législations dépendent largement des États fédéraux, qui restent plus préoccupés par leur capacité à attirer les investissements qu’à revenir à l’Amérique d’avant Reagan. » Une époque durant laquelle entre 1 et 4 millions d’Américains avaient, chaque année, recours à la grève.
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