Portage salarial : ensemble, CGT, syndicat patronal et association montent au créneau pour défendre les salariés

De nombreux salariés « portés » auraient été victimes d’un système de surfacturation adossé à des frais de gestion cachés. Les trois organisations disent « stop ».

Édition 034 de mi juillet 2023 [Sommaire]

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Le secteur du portage salarial connaît une croissance de 20% par an. ©AltoPress/Maxppp

L’image est pour le moins inhabituelle. Alignés à la même table pour une conférence de presse, se côtoient la fédération Cgt des Sociétés d’études (représentée par son secrétaire, Xavier Burot), le Groupement des acteurs du portage salarial éthique (Gapse, un syndicat patronal) et la Fedep’s (une association d’utilisateurs). En ce jeudi 22 juin, ils veulent afficher leur détermination commune à dire «  stop au hold-up des salariés portés  ».

Ils fêtent pourtant une victoire. Après plusieurs années de combat, le Conseil d’État a, par un arrêté du 12 avril, annulé l’extension de l’avenant n°2 de la convention collective des salariés en portage salarial, relatif à la détermination des prélèvements sociaux, fiscaux et autres charges.

Pour comprendre la portée de cette décision, il faut remonter à fin 2017, au moment où sont rendues publiques des pratiques douteuses de surfacturation de charges patronales, adossées à des «  frais cachés  ». La Fedep’s est la première organisation à donner l’alerte. Son président, Sylvain Mounier, explique  : «  Le porté négocie un chiffre d’affaires auprès d’un client, puis sélectionne une société de portage afin de transformer ce chiffre d’affaires en salaire. Cette sélection s’opère essentiellement par une comparaison des frais de gestion facturés par chaque société.  »

Une série de plaintes pour «  pratiques commerciales frauduleuses  »

Or, que s’est-il passé en 2017  ? Certaines sociétés de portage auraient minoré leurs frais de gestion -qui varient de 5 % à 10 % selon le chiffre d’affaires du porté- pour gagner des parts de marché face à leurs concurrentes. Elles auraient ensuite transféré ces frais de gestion sur les charges patronales, ce qui n’est pas leur place. Ce sont ainsi près de 100 millions d’euros qui auraient été indûment acquittés par les salariés portés à ce titre. Certains ont porté plainte pour «  escroquerie  » et «  pratiques commerciales trompeuses  »  ; sept informations judiciaires ont été ouvertes. C’est dans ce contexte que le syndicat Peps (Professionnels de l’emploi en portage salarial (Peps), alors seul représentant patronal de la branche, a négocié un avenant dont l’objectif était pour elle de préconiser de bonnes pratiques, d’assurer une transparence des frais de gestion et de sécuriser les salariés portés.

La Cgt conteste cette lecture  : elle y a cru, a cosigné le texte, puis a retiré sa signature avant d’alerter la Direction générale du travail, chargée de l’extension des accords collectifs. En réalité, «  il s’agissait de légaliser les pratiques douteuses  », assure Xavier Burot. L’avenant est toutefois étendu en mai 2021, la Peps se félicitant alors d’un cadre juridique désormais «  clair et précis  ». Deux ans plus tard, la décision d’annulation du Conseil d’État pèse en faveur des plaintes en cours d’instruction et ouvre la voie au remboursement des sommes indûment prélevées. Selon le niveau de salaires, cela irait de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros pour certains portés.

Un second avenant en attente d’extension

Néanmoins cette victoire reste fragile  : c’est que ce qui a motivé l’organisation de cette conférence de presse commune. Car dans la foulée de l’arrêté du Conseil d’État, les organisations patronales qui contestent des accusations jugées «  sans fondements  » et refusent que le discrédit soit porté sur tout un secteur, ont contre-attaqué en négociant un second avenant (n°13) toujours relatif «  à la détermination des prélèvements sociaux, fiscaux et autres charges  », copie quasi conforme du premier, avec une disposition spécifique pour les entreprises de moins de 50 salariés. Il est aujourd’hui en attente d’extension.

Indépendamment de ce qui peut les opposer, les représentants de la Cgt, de la Fedep’s et du Gapse s’accordent pour s’insurger  : «  Nous demandons au ministère du Travail de mettre un stop définitif au système de surfacturation des charges patronales. Nous exigeons du Peps et de la Feps qu’ils se positionnent clairement contre le système dit des “frais cachés” et qu’ils garantissent la transparence sur l’ensemble des frais prélevés  », expliquent-ils dans un communiqué.

Au sein d’un secteur en forte croissance (+ 20  % par an) qui concerne aujourd’hui quelque 100 000 salariés, l’affaire a provoqué de nombreuses secousses. Dont la naissance d’un nouveau syndicat patronal, le Gapse, autour de dix sociétés de portage. L’un de ses représentants explique ses motivations  : «  Nous avons pris acte du fait que nous ne parvenions pas à faire bouger les lignes de l’intérieur, et avons claqué la porte de nos organisations patronales. Notre ambition est que le Gapse devienne représentatif, pour changer les pratiques du secteur. Pour que le portage salarial, unique en droit français, continue de se développer, il ne faut pas saper la confiance que les indépendants ont dans cette nouvelle forme d’emploi. Nous voulons aujourd’hui restaurer cette confiance en partie perdue.  »

Le 9 juin dernier, la Cgt, a ainsi saisi le tribunal judiciaire pour contester ce nouvel avenant. Les trois organisations vont en outre poursuivre leur travail de sensibilisation auprès des salariés portés afin qu’ils fassent valoir leurs droits : 40 000 d’entre eux, affirment-elles, seraient concernés.