Revue de presse -  Elon Musk-Twitter : maître à bord ?

En rachetant le réseau social, le patron de Tesla et de SpaceX inquiète fortement. Les éditorialistes sont unanimes sur le danger que représentante la prise de contrôle, par un « apprenti maître du monde », d’une plateforme de discussion forte de 400 millions d’utilisateurs.

Édition 019 de mi-novembre 2022 [Sommaire]

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© Pessin
En rachetant le réseau social, le patron de Tesla et de SpaceX inquiète fortement. Les éditorialistes sont unanimes sur le danger que représentante la prise de contrôle, par un « apprenti maître du monde », d’une plateforme de discussion forte de 400 millions d’utilisateurs.

Voilà, c’est fait. Après huit mois d’atermoiements et de batailles juridiques, Elon Musk a annoncé, le 27 octobre, avoir pris le contrôle de Twitter pour 44 milliards de dollars. Que des milliardaires américains, à commencer par Jeff Bezos (qui possède le Washington Post) ou Michael Bloomberg (le Wall Street Journal) deviennent propriétaires d’empires de presse n’est pas une nouveauté. En quoi l’aventure d’Elon Musk, patron de Tesla et SpaceX, est-elle différente ?

«  Parce que le rachat d’un réseau social par un milliardaire directement impliqué dans l’action politique est une première  », répond un éditorial du Monde. Le portrait de l’homme qu’en font les journaux oscille entre admiration et malaise. «  On admire Elon Musk pour sa folie créatrice, son génie industriel et son rôle décisif dans la transition écologique. On l’aime aussi pour ses échecs, qui le rend parfois si humain  », écrit Lucie Robequain dans Les Échos. La suite de l’article nuance pour le moins ces louanges  : «  L’homme est sanguin, incontrôlable […]. Sa véhémence sur les réseaux sociaux n’est pas très éloignée de celle d’un Donald Trump, qui ne peut s’empêcher de couvrir de boue les journalistes osant le critiquer.  »

«  Les règles de modération seraient révisées et abaissées  »

Dans Médiapart, l’alerte est plus directe  : «  Le milliardaire a des idées très précises sur ce qu’il convient de faire de Twitter, écrit Martine Orange. Libertarien convaincu, il ambitionne que le réseau social soit un lieu sans contraintes, au nom du free speech (la liberté totale d’expression) et que toutes les idées puissent s’y exprimer sans entrave. Il a déjà prévenu que toutes les règles de modération seraient révisées et abaissées, afin de supprimer des “contraintes inutiles”, selon lui.  »

Déjà, Elon Musk, c’est 100 millions d’abonnés sur Twitter, où il s’exprime en toue liberté. Dans Le Monde, un éditorial pointe un risque de conflit d’intérêts  : «  Certes il prétend œuvrer pour le bien de l’humanité, mais il est dans l’exercice direct du pouvoir politique, voire de la guerre, comme le montre l’usage de ses satellites Starlink en Ukraine, en Iran, ou son silence sur la Chine, où il doit défendre les intérêts de son usine Tesla située à Shanghaï. Le risque de conflit d’intérêts, chez cet homme qui verrouille ses entreprises comme un bunker, est majeur. Sur l’agora 2.0, on ne peut pas âtre à la fois arbitre et joueur.  »

Un retour de Donald Trump sur la plateforme  ?

Mais voilà, c’est fait, «  l’oiseau est libéré  », a annoncé le patron de Tesla sur son compte Twitter. Et maintenant  ? Pour les éditorialistes, deux tests grandeur nature vont permettre de mieux comprendre ce qu’il veut faire de son influence sur réseau social fort de 400 millions d’utilisateurs.

Le premier sera le retour, ou non, de Donald Trump, dont le compte a été interdit après l’attaque du Capitole. Déjà, en mai, Florence G’Sell, professeure de droit privé à l’université de Lorraine, prévenait dans Alternatives économiques  : «  Le rachat de Twitter est à replacer dans le contexte américain, où l’aile conservatrice se plaint énormément de la politique de modération des grandes plateformes comme Twitter. Le camp républicain reste scandalisé du bannissement de Donald Trump du réseau.  »

Le second test porte sur les emplois. «  Ces derniers jours, écrit encore Martine Orange, le milliardaire a fait savoir qu’il comptait supprimer “75  % des emplois” dans le groupe, des emplois inutiles selon lui, puisque toute la politique de surveillance et de modération allait être revue à la baisse. Le milliardaire a depuis démenti ces propos, mais n’a pas rassuré pour autant.  »

«  Court-circuiter la diplomatie américaine  »

L’annonce du rachat à peine officialisée, les premiers changements sont effectifs avec le limogeage d’une grande partie de l’équipe dirigeante, raconte Libération. Dès le 29 octobre, le Washington Post annonce l’imminence d’un vaste plan de licenciements, alors que plusieurs centaines de salariés auraient déjà démissionné.

Dans tous les cas, écrit Philippe Bernard, éditorialiste au Monde, le clash est inévitable. Inévitable car, avec Bill Gates, «  ils se croient les maîtres du monde, mais personne ne les a élus  ». Inévitable, car «  les responsabilités internationales que lui donne de facto sa réussite  », lui permettent de «  court-circuiter la diplomatie américaine  ». Il prévient  : «  Toute la question est d’imaginer de nouveaux moyens –fiscaux, parlementaires, judiciaires – de soumettre les apprentis maîtres du monde à un minimum de contrôle. Sinon des milliards de dollars continueront de donner le droit à quelques bienfaiteurs autoproclamés […] de “sauver le monde”  : en se substituant aux organisations internationales et aux États.  »

Christine Labbe

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