La santé publique au miroir brisé des psychologues

Les psychologues ne cessent de se mobiliser, appelant à une réelle prise en charge de la santé mentale, pour tous ceux qui en ont besoin. Et au respect de leur travail. Sauve qui peut ?

Édition 012 de mi-juin 2022 [Sommaire]

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Ignorés par le Ségur, les psychologues souffrent d’un manque de reconnaissance et d’une pénurie de personnels. ©MAXPPP
Les psychologues ne cessent de se mobiliser, appelant à une réelle prise en charge de la santé mentale, pour tous ceux qui en ont besoin. Et au respect de leur travail. Sauve qui peut ?

Évaluer, trier, orienter  : mais quand se donne-t-on le temps d’écouter, de prêter davantage attention aux personnes en souffrance, au soin  ? Certes, l’urgence est partout. L’hôpital se vide de ses compétences, ce qui entraîne de nouvelles fermetures de lits et de services. Au risque de compromettre une partie des congés d’été des soignants, les astreintes alimentant encore la spirale de l’épuisement et des désaffections.

La fédération Cgt de la Santé et de l’Action sociale se mobilise d’ailleurs partout dans la première quinzaine de juin, pour recenser les dysfonctionnements et les manques, et sonner l’alarme, avec un temps fort de manifestations le 7 juin.

Dans ce contexte, l’intervention de psychologues auprès de ceux qui en ont besoin peut alors sembler moins prioritaire. Pourtant, la pandémie a alourdi les pathologies, pénalisé les plus fragiles – les enfants, les jeunes, les personnes isolées ou précaires, les personnes âgées – au point que toutes les structures sont saturées. Même en écourtant les séjours des patients pris en charge, elles sont obligées de refuser du monde. Et les psychologues n’en peuvent plus de devoir travailler à la chaîne.

Une offre de soins indigente et uniformisée

Ignorés par le «  Ségur  », alors que leur profession, comme bien d’autres dans la santé, souffre du manque de reconnaissance et d’une pénurie d’embauches, les psychologues n’ont d’autre choix que de battre le pavé, ne serait-ce que pour défendre ces enjeux de santé publique. Les mobilisations, massives, se sont succédé au niveau national, les 10 juin et 28 septembre 2021, le 10 mars dernier, et d’autres se préparent avant l’été. Elles rassemblent le plus souvent la grande majorité des syndicats et associations représentatives, dans tous les secteurs où des psychologues interviennent (sanitaire, médico-social, social, éducation nationale, justice), le privé comme le public, les précaires comme les libéraux, car c’est le cœur de métier qui est désormais remis en cause.

Les Assises de la santé mentale, début octobre 2021, n’ont en rien répondu aux alertes et aux demandes des professionnels. Une pétition nationale continue, entre autres, de demander un accès direct aux psychologues, remboursé par la Sécurité sociale, sans avoir à justifier d’une prescription par un généraliste  : «  Le dispositif MonPsy, censé faciliter l’accès à un praticien et garantir huit séances remboursées, reste encore marginal, car ce schéma présuppose qu’il y aurait suffisamment de professionnels disponibles. Il est d’ailleurs boycotté par une partie des libéraux  », souligne Gilles Métais, animateur du collectif psychologues de l’Ufmict-Santé Cgt. Par exemple, le «  chèque psy  » – huit consultations gratuites instaurées à l’attention des étudiants en février 2021 – n’a pu bénéficier qu’à une infime partie d’entre eux, la plupart des universités ne comptant en moyenne qu’un psy par établissement.

La situation ne s’aggrave pas que pour les jeunes  : les arrivées aux urgences pour troubles de l’humeur, idées suicidaires ou passages à l’acte ont continué d’augmenter de manière inquiétante au premier semestre 2022. «  On est encore loin d’assurer aux plus démunis un parcours de soins, poursuit-il. De nombreux obstacles ralentissent les prises en charge. Par ailleurs, le cadre fixé par le dispositif ne permet pas aux praticiens de conserver la maîtrise de leur approche ni des soins qu’ils peuvent proposer à chaque patient en fonction de leur spécificité, en particulier à cause du cadre restreint à huit séances de 30 minutes – car le tarif est limité à 30 euros. Notre expertise est considérée comme secondaire  ; nous sommes encouragés à uniformiser les diagnostics et à médicaliser les prises en charge, autrement dit à gérer à court terme. C’est pourtant en croyant gagner du temps et de l’efficacité qu’on fait parfois l’inverse, au lieu de véritablement soigner ou soulager des personnes en souffrance.  »

Les psychologues, souvent des femmes, sont majoritairement en poste sous statut de contractuel. © PHOTOPQR / LA NOUVELLE REPUBLIQUE / MAXPPP

Replacer les psychologues au cœur de la prévention

L’arrêté du 10 mars 2021 illustre un projet peu compatible avec la déontologie de la profession. Le collectif Ufmict-Cgt des psychologues et l’Association pour adultes et jeunes handicapés de la Gironde (Apajh 33) viennent de déposer un recours au Conseil d’État contre son application. Fixé de manière unilatérale et sans considération pour la responsabilité et l’autonomie des psychologues, il réduit leur travail à un contenu très normatif, consistant à mettre en place des plateformes d’évaluation et d’orientation, en appliquant de nouveaux critères, par exemple pour définir les «  troubles neuro-développementaux  ». «  L’arrêté se traduit par un transfert des prises en charge des enfants, qui sauf demande expresse des parents, ne seront plus suivis par l’hôpital mais accueillis au sein de l’Éducation nationale, pourtant démunie en termes d’effectifs qualifiés pour les encadrer. On déplace le problème pour compenser le manque de psychologues et alléger les dépenses de Sécu, sans moyens pour régler les pathologies ni les souffrances, ce qui peut parfois s’avérer dramatique.  »

Une lettre ouverte commune intersyndicale et inter-organisations a également pris forme pour réaffirmer une conception commune de la profession, et défendre l’idée que la dimension psychologique doit être mieux prise en compte, dans un champ social plus élargi. Elle rappelle la nécessité de conserver un accès de service public de proximité à des consultations de psychologues, alors que de nombreux centres médico-psychologiques ont disparu  : «  On sait pertinemment qu’on abandonne une partie de la population si elle n’a plus d’autre choix que d’aller consulter un praticien libéral installé trop loin, et sans prise en charge du remboursement à 100  % par la Sécurité sociale. Il est également à craindre que le secteur libéral propose des prises en charges trop fragmentées, en fonction des pathologies, des populations, et accentue la tendance à ne soigner que par des traitements médicamenteux. Le public comme les psychologues doivent avoir le choix des outils et des méthodes de soin, sur le long terme si nécessaire.  »

Les psychologues refusent de travailler ainsi. Il faut aussi qu’ils soient plus nombreux, bien formés, que leurs qualifications soient reconnues. Dans le secteur public, malgré un diplôme de niveau bac + 5, ils sont indexés sur les grilles au niveau bac + 3 et, faute de titularisation, ils (elles, souvent) sont majoritairement embauché·es sous statut de contractuel. De plus, revaloriser la profession, c’est aussi lui reconnaître sa place et son importance, si l’on veut se donner l’ambition de construire une politique de prévention de santé publique digne de ce nom. N’oublions pas, entre autres, que la France est parmi les plus gros consommateurs au monde de neuroleptiques et autres antidépresseurs.

Valérie Géraud