Si chers fonctionnaires ?

De Saint-Just à Emmanuel Macron, c’est « l’histoire d’une obsession française », pour reprendre le titre du dernier livre de l’historien Émilien Ruiz. Qui revient comme une antienne à l’ouverture de chaque campagne électorale

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l'Ugict-CGT

De Saint-Just à Emmanuel Macron, c’est «  l’histoire d’une obsession française  », pour reprendre le titre du dernier livre de l’historien Émilien Ruiz. Qui revient comme une antienne à l’ouverture de chaque campagne électorale  : mais «  pourquoi le nombre de fonctionnaires ne baisse-t-il pas  ?  », s’interroge Le Figaro en avril 2021  ? Combien d’ailleurs faut-il en supprimer  ? 120 000, comme le promettait l’actuel président de la République  ? Ou 200 000, comme l’assène l’actuelle candidate LR, voire 500 000, comme annoncé il y a cinq ans par le candidat à la présidentielle de 2017 François Fillon.

C’est qu’on n’est pas à 100 000 près quand il s’agit de réformer l’État et de couper dans les dépenses. Le motif est éculé, écrit Jean-Marie Harribey dans son blog des Économistes atterrés en ligne sur le site d’Alternatives économiques («  L’Insee remet les pendules à l’heure sur le travail des fonctionnaires  »)  : «  […] les fonctionnaires seraient par nature improductifs et donc handicaperaient le reste de l’économie – l’économie marchande –, la seule véritable aux yeux de tous les économistes libéraux […].  »

Un petit cadeau venu de l’Insee

Mais nous avons reçu un petit cadeau, nous signale le professeur agrégé en sciences économiques et sociales et ancien maître de conférences d’économie à l’université Bordeaux-IV. Ce petit cadeau, c’est une note de blog de deux économistes statisticiens de l’Insee qui répondent à la question «  Dans quelle mesure les administrations publiques contribuent-elles à la production nationale  ?  ».

Les auteurs y mettent en garde contre deux erreurs  : «  La première  serait d’inférer que la majorité de la production nationale proviendrait des administrations publiques. La seconde, à l’inverse, serait de considérer que les administrations ne font que redistribuer […] des ressources qui seraient uniquement créées par les agents privés. La réalité réside entre ces deux extrêmes.  »  En réalité, démontrent-ils, les administrations publiques «  produisent par elles-mêmes  » près d’un cinquième de la valeur ajoutée nationale.

Une production de la valeur, au sens économique

Après avoir présenté les analyses développées par les deux économistes de l’Insee, Jean-Marie Harribey propose ainsi au lecteur de réfléchir à «  un second mode de validation du travail  ». C’est, écrit-il, «  la décision politique d’apprendre à lire et à écrire aux enfants, de soigner les malades, d’apprendre à nager dans les piscines municipales, etc. L’embauche de travailleurs et des investissements publics vont permettre la production de ces services. La conclusion est que ces travailleurs produisent des valeurs d’usage, ce dont tout le monde convient, mais aussi, ce qui est moins courant, de la valeur au sens économique, qui s’ajoute à celle produite dans le secteur marchand et qui n’est donc pas soustraite à celui-ci.  »

Il serait périlleux pour quiconque de proposer aujourd’hui la suppression de postes de soignants, d’enseignants ou de policiers. L’actuelle candidate Lr le sait bien qui revendique de tailler dans les effectifs de la seule «  administration administrante  ». «  Saluons l’innovation sémantique en forme de tour de passe-passe  », écrit encore Jean Marie Harribey. Qui tente et réussit l’ironie  : « C’est comme si on inventait l’eau mouillante.  » Prêt pour l’expérience  ?

Trop de fonctionnaires  ? – Histoire d’une obsession française (XIX-XXIe siècle)

Émilien Ruiz, Fayard, 2021, 272 pages, 22 euros.

C.L.

,