Inégalités : l’école de la république face à ses promesses

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A la rentrée 2020, les élèves doivent être munis d’attestations de déplacement pour se rendre au collège. Photo : Luc Nobout/IP3/Maxppp
Le système scolaire français reproduit et parfois aggrave les inégalités. Même la démocratisation de l’accès au bac et aux études supérieures n’empêche pas le tri social de persister. Éléments de réflexion.

Le système scolaire français ne tient pas sa promesse : assurer à chaque enfant un accès égal à l’éducation, lui offrir, même s’il est issu d’un milieu défavorisé, la même chance d’émancipation par la connaissance et de promotion sociale par la réussite scolaire. De nombreuses enquêtes le montrent, en particulier le programme international pour le suivi des acquis (Pisa), qui évalue les compétences dans la langue nationale et les matières scientifiques des jeunes âgés de 15 ans dans 79 pays de l’Ocde. Il leur est demandé de comprendre des textes, puis de s’appuyer sur leurs connaissances ou leur capacité à chercher des informations pour répondre à des questions et résoudre des problèmes.

Le dernier rapport Pisa, fin 2019, témoigne qu’en France, l’écart de 117 points entre les résultats des 25 % les plus socialement favorisés et des 25 % les plus défavorisés, est très élevé. Seuls Israël et le Luxembourg font pire. Un écart d’autant plus préoccupant qu’il se creuse du fait des faibles résultats des plus défavorisés (443 points), bien en dessous de la moyenne (487) des 79 pays, alors que le quart le plus favorisé des jeunes Français obtient un score équivalent à celui des pays les plus performants, 550 points. À titre de comparaison, les écarts ne sont que de 497 à 558 pour l’Estonie ou de 485 à 553 pour le Canada.

Déterminisme social et fatalisme pèsent toujours sur les destins scolaires

Ce constat récurrent a-il provoqué un électrochoc parmi les décideurs chargés de la politique éducative française ? A-t-il entraîné des plans d’action pour améliorer les conditions d’études pour tous, comme c’est le cas au Portugal ou en Allemagne ? Pas vraiment. Les analyses de l’Ocde pointent pourtant des pistes d’action, rappelant notamment que « la mixité sociale n’est pas neutre sur l’évolution des écarts de niveaux », même si aucune réforme n’a jusqu’à présent pu ou voulu se confronter aux phénomènes qui y font obstacle.

En France, si les familles estiment que l’établissement public dans lequel leur enfant doit suivre sa scolarité n’est pas assez bien fréquenté ou pas assez exigeant, elles recourent à l’enseignement privé, trichent sur leur adresse ou choisissent une option rare pour déroger à la carte scolaire. Dans les grandes villes, dès les affectations au collège, les logiciels prennent en compte les résultats des élèves, et, même pondérés pour davantage de mixité, ils finissent par créer des situations de ghettoïsation de certains établissements, en particulier dans le voisinage des quartiers socialement défavorisés.

L’enquête Pisa souligne que 25 % des élèves des milieux défavorisés qui ont de très bons résultats scolaires n’envisagent pas de faire de longues études.

La mixité s’opère dans un seul sens : les dispositifs de type « cordées de la réussite » ou « internats d’excellence ». Ils permettent certes à de très bons élèves boursiers de quartiers défavorisés de s’extraire de leur établissement et d’accéder à des filières d’excellence, mais ils restent controversés parce que marginaux. Ils ne gomment pas non plus tous les handicaps – bagage socioculturel, codes comportementaux – qui témoignent à quel point la « méritocratie » française est en réalité marquée par les déterminismes sociaux. L’enquête Pisa souligne à ce titre que 25 % des élèves des milieux défavorisés qui ont de très bons résultats scolaires n’envisagent pas de faire de longues études. Autrement dit, l’école ne stimule pas leur confiance en eux ni leur ambition.

Le manque de moyens humains et de pratiques pédagogiques visant à développer la motivation des élèves français a d’ailleurs été évoqué par plusieurs chercheurs lors de la « conférence scientifique » en ligne organisée le 1er décembre par le ministère de l’Éducation nationale sur le thème « Quels professeurs au xxie siècle ? » Le système scolaire français y est analysé comme étant peu en capacité de développer les compétences sociales et comportementales des élèves, leur appétence à coopérer, à innover, à créer du consensus, autant de facteurs importants dans le parcours d’apprentissages et la construction d’une personnalité. Il est en revanche décrit comme arc-bouté sur l’évaluation, la concurrence et la sélection, générant surtout de l’anxiété, la peur de l’échec ou le fatalisme chez les élèves, plutôt que la curiosité ou le plaisir d’apprendre.

Les maux sont connus, les réformes en cours les aggravent

Certes, le collège unique ou la création des bacs professionnels ont pu faire espérer qu’un véritable effort était mis en œuvre pour accompagner un maximum d’enfants jusqu’au bac, voire jusqu’à l’enseignement supérieur. Mais faute de moyens, les bilans restent décevants. Une nouvelle réforme de la voie professionnelle vient même appauvrir les matières d’enseignement général (quatre heures de moins en moyenne et 900 postes d’enseignants supprimés…) et abaisser les niveaux d’exigence du bac pro, ce qui va encore plus compromettre la possibilité pour les bacheliers pro de poursuivre leurs études dans le supérieur, déjà compliquées par Parcoursup, et alors que la crise sanitaire a également limité leur possibilité de suivre leur formation en entreprise.

Si l’école ne réduit pas les inégalités, le manque d’école les aggrave. Les évaluations (en Cp, Ce1, 6e et seconde) voulues par le ministre, Jean-Michel Blanquer, dès la rentrée de septembre montrent que le confinement a été plus dommageable aux élèves des Rep et Rep+, en général plus en difficulté et ayant encore plus besoin de socialisation et de l’attention d’un enseignant. D’autant qu’ils n’ont pas toujours pu disposer chez eux d’un endroit pour se concentrer, ni du matériel informatique ou d’une bonne connexion.

Les effets positifs des classes dédoublées en Cp et Ce1 ont en partie été perdus

L’écart s’est creusé par rapport aux évaluations de 2017, au point que les effets positifs des classes dédoublées en Cp et Ce1 ont en partie été perdus. Cela n’a pas empêché l’annonce, fin novembre, d’une nouvelle réforme de l’éducation prioritaire pour 2022, qui fera l’objet d’expérimentations dans trois académies dès 2021. Il s’agirait de supprimer le dispositif en impliquant les collectivités locales – furieuses car pas associées à l’élaboration de la réforme – sous prétexte de rendre davantage d’établissements éligibles à des financements, en fonction de leurs projets plus que de leurs besoins. Des contrats locaux d’accompagnement de trois ans seraient conclus, qui ne manqueront pas de générer concurrence, incertitudes, fragilités et décrochages.

Si on veut donner à tous les élèves la même chance, à défaut de pouvoir imposer la mixité sociale, ne faudrait-il pas commencer par investir autant de moyens sur chaque enfant, chaque adolescent, chaque étudiant, voire davantage pour ceux qui en ont le plus besoin ?

Un vrai plan d’urgence pour l’éducation imposerait d’éviter que malgré l’éventail de formations et de diplômes disponibles, quelque 120 000 jeunes quittent encore chaque année le système scolaire sans diplôme. Et si près de 80 % d’une classe d’âge obtient désormais le bac, ces dernières années, 80 % des étudiants étaient en échec en première année d’université, la massification de l’accès au supérieur cachant en partie le fait que la sélection s’affine plus tardivement, mais irrévocablement, faute de moyens dans les universités pour les accompagner.

Le ministre Jean-Michel Blanquer a d’autres credo en matière de modernisation du système et des pratiques pédagogiques, par exemple un intérêt marqué pour les neurosciences ou les apprentissages par le numérique, qui présenteraient davantage de neutralité et moins de biais socioculturels dans les apprentissages. Mais si on veut donner à tous les élèves la même chance, à défaut de pouvoir imposer la mixité sociale, ne faudrait-il pas commencer par investir autant de moyens sur chaque enfant, chaque adolescent, chaque étudiant, voire davantage pour ceux qui en ont le plus besoin ? Mieux payer et mieux former les enseignants pour stabiliser les équipes travaillant dans les établissements comptant plus d’élèves en difficulté scolaire ou de milieux défavorisés, écouter les enseignants sur les pratiques efficaces ? C’est également à ce prix que certains jeunes, qui éprouvent du ressentiment à l’égard de l’institution et de la république, pourront croire que leurs promesses s’adressent aussi à eux.

Valérie Géraud

A lire :

  • Bernard Lahire (dir.), Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants, Seuil, 2019, 1 232 pages, 27 euros.
  • Philippe Forest, L’Université en première ligne à l’heure de la dictature numérique, Gallimard/Tracts n° 18, 2020, 3,90 euros.
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