Ericsson France, fréquence démocratique

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Richard Villalon/Beneluxpix/Maxppp
C’est avec une approche résolument tournée vers la défense des conditions de travail, que la Cgt a gagné les dernières élections.

Avant 2016, la Cgt d’Ericsson-France était majoritaire aux élections professionnelles. En novembre 2019, elle a regagné cette place. Avec une participation en progression de 2,4 points pour atteindre 70,2 %, elle a obtenu 55,3 % – 40 % dans le premier collègue employés-techniciens et 56 % dans le collège cadres, soit 17,1 % de plus qu’en 2016. Une victoire au-delà des espoirs de ses militants, et d’autant plus remarquable que, dans cette société de télécommunications à très forte majorité de cadres (95 % des effectifs), la seule liste concurrente est arrivée loin derrière la Cgt. En trois ans, la liste présentée conjointement par l’Unsa et la Cftc a en effet reculé de 16,6 points.

Que ce résultat récompense une démarche résolument tournée vers la défense des droits des salariés est une certitude, assurent Marcelo Karaguilla et Benoît Mespoulède, tous deux ingénieurs, délégués syndicaux et membres du Cse. Depuis 2015, une bataille a été menée pour faire respecter l’obligation légale faite aux directions d’entreprise d’alimenter les bases de données économiques et sociales afin d’assurer des conditions de négociation loyale sur un dossier aussi important que l’égalité professionnelle hommes-femmes par exemple. Mais il y a aussi eu cette négociation arrachée pour un « accord seniors » assurant un temps partiel bonifié à ses bénéficiaires, et cette obstination à aligner les conditions d’emploi des salariés des entreprises rachetées sur celles des personnels d’Ericsson.

Quand la direction a dénoncé tous les accords signés

Depuis 2016, malgré son faible nombre de syndiqués – « cinq au total » – et en dépit de sa position minoritaire au sein du comité d’entreprise, la Cgt n’a jamais baissé les bras, a toujours voulu défendre et améliorer les conditions de travail en persévérant dans la volonté d’obtenir de bons accords. Et, incontestablement, cette démarche explique son succès électoral. Mais un autre élément entre aussi en ligne de compte : la décision de l’organisation d’affirmer un syndicalisme fondé, non sur l’accompagnement des politiques décidées en haut lieu, mais sur la représentation et la défense des intérêts des salariés.

Pendant trois ans, avec l’ensemble du personnel, elle a assisté, effarée, à l’accompagnement complice, par l’Unsa, de la déstructuration de toutes les garanties collectives négociées dans l’entreprise. Au début de la dernière mandature, la direction avait décidé de dénoncer tous les accords signés et usages dans l’entreprise. L’Unsa, devenue majoritaire, aurait pu s’y opposer. Sans mot dire, elle s’est alignée sur cette politique.

« En trente-six mois, ce ne sont pas seulement 10 jours de Rtt qui ont été supprimés sans compensation avec sa bénédiction, c’est la prime d’ancienneté et 10 jours enfants malades, ainsi que le badgeage, avec pour conséquence une baisse drastique du nombre d’heures supplémentaires payées. Et quand lui est revenue la tâche de saisir la direction régionale du travail pour réclamer le passage de 37 heures à 35 heures sans baisse de salaire pour le personnel issu de l’absorption d’une filiale, en application de l’accord d’entreprise en vigueur, l’Unsa s’est défaussée », expliquent Marcelo Karaguilla et Benoît Mespoulède. « Lors de la campagne électorale, nous aurions pu nous contenter d’avancer nos propres propositions, sans dénoncer les conséquences du syndicalisme de connivence qui s’était imposé dans l’entreprise. Nous avons compris que les salariés attendaient de nous que nous disions les choses clairement, que nous mettions des mots sur ce qui se passait. »

Pendant des années, la Cgt a tracté et affiché tant qu’elle le pouvait pour informer les salariés de la situation dans l’entreprise. Et sur les 5 heures annuelles d’information syndicale prévues dans l’entreprise, elle n’en a jamais abandonné une seconde, divisant même ce temps par segments de 30 minutes pour multiplier les occasions de s’exprimer et d’échanger avec le personnel. Elle a en outre obtenu que ces échanges puissent se faire à distance, par téléconférence, avec une invitation par mail à tout le personnel, ce qui a permis de toucher près de 20 % des salariés.

Aux dernières élections, elle a confirmé sa démarche en se saisissant du droit accordé aux listes concurrentes de s’exprimer largement sur l’intranet de l’entreprise pour publier une profession de foi circonstanciée. Cinq pages, rappelant ses campagnes passées et ses propositions pour l’avenir, notamment l’instauration d’un droit à la déconnexion. Avec les 14 membres de sa liste encore non syndiqués, elle a convaincu une majorité de salariés de partager sa vision de la légitimité syndicale.

Martine Hassoun