Reportage -  Naval Group : quand les cadres participent à la victoire électorale de la Cgt

La Cgt enregistre une progression inédite dans le collège des cadres et des ingénieurs, où siègent désormais trois délégués Ugict, à Brest et à Toulon. Retour sur une démarche syndicale qui produit des résultats.

Édition 024 de fin janvier 2023 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Chez Naval Group, la CGT s’est exprimée sur des sujets dépassant son périmètre habituel, dont les droits des femmes. ©Photopqr/Le Telegramme/Maxppp

«  On le sentait arriver, on savait qu’on se maintiendrait, mais on n’en revenait pas quand on a vu le résultat  », témoigne Nicolas Le Nédic, délégué central Cgt chez Naval Group (16 700 salariés, 4,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021). Le résultat, c’est la victoire de la Cgt aux élections professionnelles qui se sont déroulées du 10 au 18 octobre 2022 dans les dix sites de production des anciens arsenaux devenus, en 2003, une société privée détenue par l’État (62,25  %) et par Thales (35  %).

En ralliant 3 484 suffrages dans les trois collèges, la Cgt gagne presque un millier de voix (988 exactement) par rapport à 2018, sachant que le groupe compte 2 700 salariés supplémentaires. Elle est majoritaire dans le collège des ouvriers et employés (71  %) et dans celui des techniciens et agents de maîtrise (41  %)  ; parmi les ingénieurs et cadres, elle fait entrer trois délégués dans les instances représentatives à Brest (une personne) et à Toulon (deux personnes).

«  Pas de baguette magique  »

«  À trente voix près, on passait premiers dans le troisième collège, s’enthousiasme Amélie Pichon, élue au comité social et économique de Naval Group à Toulon. Chez les ingénieurs et cadres, on a multiplié par cinq le nombre de voix.  » Effectivement, l’Ugict-Cgt est passée de 33 à 170 voix entre 2018 et 2022. «  Il n’y a pas de baguette magique, mais beaucoup de travail de terrain  », commente Amélie Pichon, pour qui la Cgt a bénéficié autant d’un vote d’adhésion que d’un vote de contestation à l’égard de la direction du groupe.

C’est en 2018 que tout commence lorsque la Cgt regagne le Cse de Toulon et décide que les cadres s’acquitteront du même montant que les autres salariés pour participer aux activités sociales et culturelles. Les journées familles dans les parcs de loisirs ou les excursions en bateau vers l’île de Porquerolles séduisent. «  Les cadres découvrent que les militants de la Cgt, ce ne sont pas des bolchéviques, qu’on sait gérer un budget conséquent de plusieurs centaines de milliers d’euros et qu’en plus, on est sympathique  », s’amuse-t-elle. Petit à petit se monte un collectif de cadres qui se réunit le soir ou à la pause de midi  ; ce collectif syndique des salariés et entreprend un sondage auprès de tous les cadres du site sur les conditions de travail, le temps de travail et le sens du travail. «  Ils se rendent compte que leurs attentes sont similaires aux autres catégories socio-professionnelles  », observe Amélie Pichon.

Prendre en compte les préoccupations des nouveaux salariés

À l’échelle de Naval Group, les cadres sont 1 500 de plus par rapport à 2018, ils comptent pour plus de la moitié des effectifs dans la croissance du personnel. «  Cela est le résultat de la politique de l’entreprise – qu’on combat – visant à sous-traiter une grosse partie de la production  », commente Emmanuel Lequertier, délégué central basé à Cherbourg. «  La direction préfère embaucher les nouveaux comme cadres au plus faible niveau, complète le Lorientais Nicolas Le Nédic. Elle les met au forfait-jours, ne paie pas les heures supplémentaires et économise sur la masse salariale.  »

La victoire de la Cgt aux élections professionnelles de 2022 advient après deux décennies difficiles pour le syndicat, période au cours laquelle il avait perdu son leadership alors que les arsenaux de la Marine étaient progressivement privatisés, devenant Dcn en 2003, puis Dcns et enfin Naval Group. «  On n’a pas forcément pris le taureau par les cornes assez tôt, analyse Nicolas Le Nédic. Les nouveaux embauchés avaient une vision différente, mais depuis une dizaine d’années, ça change  : on prend en compte leurs préoccupations et ils prennent des responsabilités syndicales. C’est comme ça qu’on en est arrivé à revendiquer un treizième mois. L’entreprise, en faisant 430 millions de bénéfices en 2022, en a la capacité financière, et les salariés sous-traitants ont un treizième mois.  » Emmanuel Lequertier complète  : «  On bataille pour cela depuis quatre ans. Le 13 de chaque mois, on communique dessus, on est la seule organisation syndicale à le faire. Alors notre discours est simple  : pour avoir des chances d’obtenir le treizième mois, il faut voter Cgt.  »

Une communication revisitée

Un an et demi avant les élections, la Cgt fait aussi évoluer sa communication en travaillant avec des graphistes pour la réalisation des tracts, en utilisant la vidéo et en mettant en valeur l’action syndicale. «  Un tiers des salariés de l’entreprise sont nouveaux, c’est énorme, et il y a beaucoup de jeunes, il faut donc s’adresser à un nouveau public  », affirme Emmanuel Lequertier. Le travail sur la forme vient couronner un important travail de fond. «  Nos cahiers de revendication sont solides, estime Nicolas Le Nédic. Et les propositions argumentées, ça plaît aux cadres.  » L’effort de coordination des délégués élus dans sept des neuf Cse de Naval Group * devient un atout  : «  On parle d’une seule voix, ça nous donne de la crédibilité  », indique Emmanuel Lequertier.

La Cgt de Naval Group se positionne également sur des sujets dépassant son périmètre habituel. «  Nous sommes un industriel de l’armement, notre vocation première était de fabriquer des navires pour assurer la souveraineté de la France  ; malheureusement on travaille de plus en plus à l’export, expose Emmanuel Lequertier. Or les armes ne sont pas des marchandises comme les autres  ! Nous sommes la seule organisation syndicale à nous opposer à certains contrats comme celui avec l’Arabie saoudite qui affame les Yéménites. La Cgt amène des débats de fond quand les autres ne voient que les emplois et les potentiels marchés. Quand la Cgt ose dire non, ça conforte notre crédibilité. Si on fabrique des armes et qu’on est humaniste, ça doit faire réfléchir.  » Autre exemple  : à Brest, les déléguées Cgt ont mis au point un tract sur les droits des femmes en lien avec les menstruations, tract par la suite diffusé dans les autres sites. «  Revendiquer où on ne nous attend pas, ça plaît aux salariés  !  » constate-t-il.

Et déjà une victoire lors des Nao

Dans la foulée des élections d’octobre, la coordination intersyndicale de Naval Group a obtenu gain de cause lors des négociations annuelles obligatoires. «  À Toulon, à chaque mouvement, on a réussi à faire sortir des cadres de leurs bureaux, ça nous a agréablement surpris  », raconte Amélie Pichon. Résultat  : des augmentations générales pour les cadres (2 040 euros annuels) comme pour les ouvriers et les techniciens (2 300 euros), sans compter une augmentation de 2,7  % de l’enveloppe pour les augmentations individuelles. Du jamais-vu chez Naval Group, et peut-être de bon augure pour les négociations autour de la cotation des emplois dans le cadre de l’application de la nouvelle convention collective de la métallurgie.

1. Ruelle (Charente), Brest (Finistère), Cherbourg (Calvados), Lorient (Morbihan), Indret (Loire-Atlantique), Saint-Tropez (Var), Toulon (Var). Pas d’élus à Ollioules (Var) ni à Paris.