Après des mois de report et une concertation de façade, le plan santé du gouvernement promet des remèdes spectaculaires aux effets incertains. De nombreux points de souffrance perdurent : la colère des soignants aussi.
Décloisonner. L’organisation des soins, les exercices professionnels, les formations, la frontière public-privé : le plan Ma santé 2022, présenté le 18 septembre, a pour ambition de déconstruire tout ce que les politiques de santé ont fait depuis les années 1980, pour repartir sur de nouvelles bases. En faisant vite : la phase de mise en place ne prendrait que trois ans. Avec quels moyens ? Les discours volontaristes pourraient se heurter à la réalité d’un système de santé en crise.
Le défi appelle des réponses complexes : organiser un meilleur maillage territorial de l’offre de soin ; assurer la complémentarité des établissements ; penser une meilleure répartition du travail entre personnels soignants, selon les compétences, y compris en développant de nouveaux métiers médicaux et paramédicaux pour soulager les médecins, dont la formation sera par ailleurs revue. Il faudra aussi compter sur l’adhésion des acteurs…
Pas de consensus sur le diagnostic, ni sur les remèdes
Or, rien n’indique que ce plan réponde aux attentes, ni aux besoins les plus urgents, pourtant connus. Tous les signaux d’alarme sont au rouge, en particulier sur les conditions de travail des soignants et sur la qualité de prise en charge des patients. Ces douze derniers mois, les organisations syndicales ont dénombré quelque 1 700 mouvements, du jamais-vu. Pas un jour sans qu’une grève, une mobilisation, une pétition, un scandale ou un suicide ne mette le système de santé au cœur de l’actualité.
L’organisation et la nature des soins à l’hôpital ont été fortement impactées par l’instauration, en 2007, de la tarification à l’activité (T2A), dont Emmanuel Macron a enfin annoncé la suppression progressive, sans davantage de précision sur la future gestion des ressources des hôpitaux. La priorité, pour les personnels soignants, est d’en finir avec l’épuisement physique et moral et de redonner du sens à leur travail en le faisant correctement. Mais ce sera impossible si l’unique objectif des réorganisations est de limiter les dépenses et de réduire les soins à de simples actes techniques.
Sortir des logiques gestionnaires, de l’obligation de rentabilité, rappeler les missions de service public, cela n’a pas été au cœur des débats préparatoires à la réforme. Cinq chantiers ont été préétablis en mars, fixant un cadre de réflexion aux acteurs du système de santé : qualité des soins et pertinence des actes ; organisation territoriale ; modes de financement et régulation ; ressources humaines ; numérique. Comme s’il y avait consensus sur le diagnostic et sur les remèdes.
« Nous avons refusé de participer à ces consultations, explique Mireille Stivala, secrétaire générale de la fédération Cgt Santé-Action sociale. Les conditions d’un réel dialogue n’étaient pas créées, les grandes lignes de la réforme déjà tracées, hors de nos préoccupations. Rien de précis, par exemple, pour rendre de l’attractivité à nos métiers, en termes de reconnaissance – tant du point de vue du salaire, que des carrières et des conditions de travail. Notamment du droit au repos et aux congés : si on devait accorder aux soignants des hôpitaux franciliens tous leurs temps de congés, repos et récupérations pour heures supplémentaires, il faudrait fermer les établissements pendant un an ! Le gouvernement devrait également prendre en compte le fait que la majorité des soignants, y compris les médecins, sont des femmes, qui n’acceptent plus de sacrifier leur vie privée et leur santé à leur engagement professionnel, et d’être malgré tout tenues responsables en cas de dysfonctionnement. »
On ne sait pas davantage comment les pouvoirs publics comptent convaincre les médecins de s’installer dans les déserts médicaux, ni comment imposer à tous les professionnels de santé en libéral d’intervenir en complémentarité avec les hôpitaux ou dans les structures de proximité qui vont être développées, notamment pour soulager des urgences surchargées. « Les infirmières, pour leur part, ont obligation depuis juillet de se soumettre à l’Ordre national des infirmiers, souligne Laurent Laporte, secrétaire général de l’Ufmict-Cgt. Pour exercer, elles doivent payer un organisme privé qui aura, entre autres, pouvoir de contrôle et de sanction. Certaines pourraient être contraintes de s’engager dans le nouveau dispositif de “pratique avancée infirmière”. Avec l’accord d’un médecin, elles pourraient suivre des patients, dispenser certains soins médicaux, renouveler des prescriptions. Elles devraient pour cela suivre deux années de formation universitaire, validées par un Master. Cette qualification supplémentaire sera-t-elle reconnue ? Pourquoi pas de véritables passerelles vers une formation qui aboutisse au statut de médecin, puisque les responsabilités et la nature du travail s’en rapprochent ? »
Parmi les oubliés : la psychiatrie, les Ehpad, la prévention…
Par ailleurs, certains secteurs dont la situation est critique sont à peine évoqués par le plan. La psychiatrie par exemple, devrait être plus présente dans les formations des médecins et faire l’objet de projets territoriaux et de financements supplémentaires encore très flous… En attendant, de nombreuses structures de proximité, comme les centres médico-psychologiques – dont 20 % des patients sont des mineurs en souffrance – sont menacées de fermeture. Dans les hôpitaux psychiatriques, il y a de moins en moins de lits et de soignants, mettant en danger les patients comme les soignants. La prévention ne fait guère l’objet d’une réelle reprise en main… et devrait en partie être confiée aux étudiants en médecine ! Pendant ce temps, les effectifs de médecine scolaire ou de médecine du travail se raréfient.
Les Ehpad ne sont pas non plus abordés comme un problème majeur de santé publique, alors que le grand âge va concerner une part croissante de la population. Comme s’il était déjà acté que la prise en charge des personnes âgées – un scandale maintes fois dénoncé ces derniers mois – ne pourra pas être gérée dans le cadre du service public et de la solidarité nationale. La porte est grande ouverte aux acteurs du privé à but lucratif, un marché attractif pour certains investisseurs, et tant pis pour ceux qui ne seront pas solvables. Ce plan santé, en fait, n’est pas envisageable sans un soutien public au développement du secteur libéral.
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