La France veut relocaliser les moyens de son indépendance sanitaire. Les milliards d’euros engagés ne modifieront pas pour autant les pratiques des « big pharma », dont Sanofi. À quand un pôle pharmaceutique public ?
« Nous devons relocaliser et recréer des forces de production sur nos territoires. La souveraineté sanitaire et industrielle sera un des piliers du plan de relance » : ainsi tweetait Emmanuel Macron le 28 août, lors d’une visite au laboratoire pharmaceutique Seqens (Hauts-de-Seine), qui inaugurait une nouvelle unité sur un des plus vieux sites de fabrication de principes actifs au monde. Annoncé quelques jours plus tard, le plan de relance du gouvernement priorise en effet l’industrie pharmaceutique parmi les domaines d’activité stratégiques pour « préparer l’avenir ». Le secteur va, à lui seul, bénéficier d’un financement public de 15 milliards d’euros et d’une réduction supplémentaire d’impôts de 300 millions pour « améliorer sa productivité ». Autrement dit, pour compenser, par anticipation, la réduction des marges qui résulterait d’éventuelles relocalisations en France ?
Les gestes de l’État en faveur du secteur n’ont jamais manqué ; ils se multiplient dans la période. En juin, 200 millions d’euros de fonds publics ont été engagés pour soutenir un partenariat de Seqens, Upsa et Sanofi autour d’un projet qui permette de maîtriser toute la chaîne de production du paracétamol, de l’apap (acétyl paraminophénol, le principe actif) au comprimé commercialisable – une nouvelle enveloppe est prévue cet automne. Le paracétamol illustre les logiques financières à l’œuvre dans la filière, et l’imbrication mondiale des chaînes de production, pour ne pas dire leur opacité. L’apap n’est plus fabriqué en France depuis 2008. Les grands groupes préfèrent s’approvisionner auprès d’usines basées en Chine ou en Inde, où les exigences sociales et les contraintes environnementales sont moindres. Pourtant, le coût de l’apap détermine moins de 3 % du prix du médicament. Mais avec quelques centimes gagnés par boîte, il n’y a pas de petit bénéfice !
Investissements publics, bénéfices et rentabilité financière privés
À tous les niveaux de la chaîne, les labos ne déterminent jamais leurs stratégies en fonction des besoins sociaux mais bien des marchés les plus rentables. Outre l’imprévoyance, c’est une des raisons pour lesquelles, au plus fort de la crise sanitaire, la France a manqué de matériel médical, de tests, mais aussi de médicaments de première nécessité utilisés au quotidien dans les services de réanimation – antidouleurs, décontractants, anesthésiques ou antibiotiques. Même le paracétamol a été menacé de rupture de stock ! Les pénuries ponctuelles de médicaments ou de vaccins sont récurrentes depuis des années et ont fait l’objet de deux rapports parlementaires en 2018 et 2019, sans déboucher sur des décisions politiques. Les labos gèrent les urgences en fonction de la demande la plus lucrative, et mobilisent moins d’énergie en recherche et développement (R&D) qu’à se positionner sur le Monopoly mondial des marchés d’avenir.
Revenons à Sanofi, cinquième laboratoire mondial, troisième entreprise française en termes de bénéfices en 2019. Le groupe revend une partie de ses activités mais rachète des start-up innovantes sur les marchés sur lesquels il souhaite se recentrer : mi-août, par exemple, 3,7 milliards de dollars pour acquérir l’américain Principia Biopharma, en pointe sur les maladies auto-immunes ; ou encore, en début d’année, 2,5 milliards de dollars pour Synthorx, spécialisée dans les biotechnologies en immuno-oncologie. « Cela lui paraît moins coûteux que d’investir sur le long terme en intégrant en son sein des équipes de recherche, explique Thierry Bodin, délégué central Cgt pour Sanofi-France. Sanofi ne cache pas sa stratégie, ni sa florissante trésorerie. C’est bien pour cela que nous dénonçons le chantage permanent de notre groupe, comme celui d’autres labos, pour capter des fonds publics sans contrepartie, ni pour l’emploi ni pour la sécurité sanitaire. »
Comment prioriser l’emploi et la santé publique ?
Sanofi vient certes de s’engager à investir 490 millions d’euros dans une nouvelle usine à Neuville-sur-Saône (69) qui permette de produire, sur le même site, plusieurs vaccins en même temps, mais a annoncé dans la foulée un plan de 1 700 suppressions d’emplois en Europe, dont 1 000 en France ! Le groupe a aussi distribué 4 milliards de dividendes à ses actionnaires cette année, et déjà engrangé plus de 17 milliards de chiffre d’affaires au premier semestre 2020, tablant sur + 7 % cette année, en particulier grâce au Covid ! Il ne crache pas pour autant sur ses quelque 130 millions d’euros de crédits d’impôts au titre du Cice et du Cir, concédés là encore sans conditions. Bilan : 13 sites fermés en France depuis 2008, et deux fermetures supplémentaires sont prévues ; près de 7 000 emplois en moins, du fait de l’externalisation de certaines fonctions support ; l’abandon de multiples activités et de médicaments y compris d’intérêt thérapeutique majeur, en particulier des anti-infectieux et antibiotiques. Le groupe affiche à présent son intention de se recentrer sur un portefeuille de 100 produits au lieu de 300.
La R&D est également touchée : les effectifs sont passés de 6 350 en 2008 à moins de 3 500 en 2020. « Dans la recherche d’un vaccin contre le Covid, les salariés, très impliqués, auraient préféré que leur direction ne se comporte pas comme un mercenaire », ajoute Thierry Bodin. À l’image de leur directeur général, qui au printemps, sans complexe, a cherché à faire monter les enchères en déclarant que les États les plus offrants seraient les premiers servis. D’ailleurs, sur l’un des deux programmes prometteurs auxquels il participe, Sanofi a perçu 2,1 milliards de dollars des États-Unis et 300 millions de l’Union européenne pour le préachat de doses de vaccin.
Un recentrage sur un portefeuille de 100 produits au lieu de 300
Les États, pris de court, ne voient pas d’autre mode d’action. L’État français disposerait pourtant de meilleures marges de manœuvre s’il s’appuyait sur une recherche publique mieux pourvue en moyens humains et financiers, s’il imposait des partenariats qui ne soient pas au seul bénéfice des entreprises, engendrant des embauches de jeunes chercheurs et d’ingénieurs, sur des médicaments et traitements répondant aux besoins et à l’intérêt général, se traduisant par l’implantation de centres de recherche et d’unités de fabrication sur nos territoires. Même si un groupe comme Sanofi ne réalise plus que 8 % de son chiffre d’affaires en France, peut-il complètement se passer de son cœur de métier et de son implantation historique ? Les salariés de Sanofi, avec la fédération Cgt de la Chimie, défendent notamment la relocalisation d’activités de chimie fine sur la plateforme de Roussillon, en Isère, pour que soient réactivées les compétences existantes sur ce bassin d’emploi. Une mobilisation et un débat public ont eu lieu le 16 septembre sur le Gie Osiris, qui accueille une quinzaine d’entreprises et quelque 2 000 salariés : c’est là qu’était implanté le dernier site Rhodia de fabrication d’apap.
L’enjeu est de libérer la filière de la course effrénée à la concurrence et à la rentabilité financière, et de construire des chaînes de production plus vertueuses à tout point de vue, y compris social et environnemental – il ne s’agit plus de fermer les yeux sur les dégâts causés ailleurs qu’en France. L’État dispose des ressources et des leviers juridiques, économiques, fiscaux, pour assurer sa sécurité sanitaire autrement qu’en s’en remettant au bon vouloir des laboratoires pharmaceutiques. Un rapport et un projet de loi pour « un pôle public du médicament » ont été déposés en mai à l’Assemblée nationale. Ils explorent les voies pour y parvenir, et mieux y associer les acteurs privés : meilleur contrôle des prix, du brevetage des médicaments, des financements et partenariats avec le public. Manquent pour l’heure l’ambition et la volonté politique.
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