Une loi de programmation pluriannuelle de la recherche sera présentée ce printemps, sur fond de tension sociale et de polémique sur les principes qui doivent présider aux choix d’investissements.
« Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire. Oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale. » Dans le quotidien Les Échos du 26 novembre, le Pdg du Centre national de la recherche scientifique (Cnrs), Antoine Petit, a célébré les 80 ans du plus grand organisme de recherche français en affichant son interprétation des travaux de Charles Darwin. Cela aurait suffi à provoquer la stupéfaction de la communauté scientifique. Si ses propos ont suscité un déluge de réactions scandalisées, y compris au sein des hauts responsables du Cnrs, c’est aussi parce que le Pdg du Cnrs confirme dans quel esprit se prépare la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui devrait être présentée en mars.
Le président Macron en avait prédéfini le cadre : « On ne pourra pas mettre de moyens pour tout le monde. » Le Pdg du Cnrs, organisme qui poursuit depuis des années la réduction drastique de ses effectifs (- 9 000 postes depuis 2005), n’a donc pas eu de scrupule à se fourvoyer dans l’éloge d’une vision de la recherche où seul le plus fort survit. Un milieu qui valorise la compétition acharnée, où tous les coups sont permis pour capter des financements, où seule compte la quête de résultats visibles et exploitables sur le court terme. L’inverse de ce que les scientifiques demandent : du temps, de l’autonomie, de la coopération et des moyens pour travailler en équipe et permettre aussi d’avancer dans la recherche fondamentale. Autant de conditions indispensables sans lesquelles ni Charles Darwin ni ses successeurs, en particulier ceux à qui leurs découvertes ont valu des prix Nobel, n’auraient abouti à des avancées.
Vae victis ! Seuls les winners auront droit aux crédits
« Nous partageons en partie les constats dressés par les groupes de travail, souligne Sylviane Lejeune, membre du bureau de l’Ugict et une des copilotes du collectif Recherche de la Cgt. La France, malgré son engagement, en 2002, d’investir 3 % de son Pib dans la recherche, n’a jamais dépassé les 2,2 % et reste en dessous de la moyenne des pays de l’Ocde. Il s’agit d’apporter les financements pour que la part de la recherche publique passe de 0,8 % à 1 %, et celle du privé de 1,45 % à 2 %. Mais on peut par exemple s’interroger sur la pertinence qu’il y aurait à poursuivre le soutien inconditionnel et sans contrôle aux entreprises, de multiples rapports montrant que les milliards de fonds publics engagés dans des dispositifs tels que le Cice et le crédit impôt recherche n’ont pas toujours servi à développer les emplois ou les activités de recherche et développement dans les entreprises. »
Quant au recul des apports de la recherche française, la Cgt l’attribue plutôt à la restriction des moyens et à la dégradation des conditions de travail. Deux décennies de réformes ont notamment plongé un tiers des effectifs de la recherche dans la précarité et contraint l’ensemble des acteurs à consacrer une part croissante de leur temps non pas au travail scientifique, mais à la recherche de financements – et en particulier, ces dernières années, en répondant aux appels à projets de l’Agence nationale de la recherche (Anr). Une Anr qui ne répond positivement qu’à 14 % de ces projets, contre un taux de retour de 40 % pour l’équivalent dans le système américain.
Les préconisations des groupes de travail restent préoccupantes à bien des titres. Qui déciderait des stratégies de financement, en fonction de quels critères ? Comment recruter alors qu’actuellement, au Cnrs, il y a 50 candidats de qualité pour un poste ? Et cela alors que les métiers de la recherche sont en perte d’attractivité, faute de proposer des salaires décents – les salaires d’entrée y sont équivalents à seulement 63 % de la moyenne des pays de l’Ocde… Les pistes qui devraient être proposées : la création de contrats de mission de six ans et d’embauches « sous condition » où les jeunes chercheurs devront faire la preuve de leur productivité pour être titularisés…
Désillusions et burn-out, les tabous émergent
Les besoins d’embauches sont pourtant estimés par les syndicats à plusieurs milliers d’équivalents temps plein, et les revalorisations salariales à au moins + 20 %, d’autant que les chercheurs, qui touchent peu de primes, vont également être très impactés par la réforme des retraites si elle passe en l’état.
Le darwinisme social appliqué à la recherche aura également pour conséquence de concentrer tous les crédits sur les « très grandes infrastructures de recherche » (Tgir) et sur les thématiques qui apportent, outre du prestige et de la visibilité à l’échelle internationale, des perspectives immédiates de développement technologique et de rentabilité. « La course actuelle aux projets dits “compétitifs”, ceux de l’Anr comme du Programme investissements d’avenir, laisse de nombreuses thématiques à l’abandon et épuise les équipes dans une course aux financements souvent stérile », souligne le Sntrs-Cgt.
Autrement dit, faute de crédits récurrents substantiels, de nombreux laboratoires, en particulier en sciences humaines et sociales, sont condamnés. Exit l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, qui aident pourtant à une meilleure compréhension du monde, à un approfondissement des connaissances, à trouver des solutions pour l’avenir. Les mobilisations longues et massives de la communauté scientifique, ces dernières années, ont laissé des traces, mais, face aux attaques qui s’annoncent, un nouveau chapitre pourrait bien s’ouvrir…
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