Le déploiement des véhicules autonomes et connectés sous-estime certaines questions industrielles et environnementales. Enjeu central : la maîtrise des données.
Réfléchir en termes de « mobilité » et non plus de « véhicule » : c’est ce qu’impose la promesse d’un développement relativement rapide du véhicule autonome, sous la pression en particulier de la concurrence et de l’appétit des grands groupes du numérique, comme Google ou Amazon, et des acteurs de la Silicon Valley, à l’image de Tesla. Déjà, certaines voitures aujourd’hui commercialisées permettent au conducteur d’abaisser brièvement son niveau de vigilance. Dans quelques années à peine, des véhicules autonomes de niveaux 3 et 4 – sur une échelle qui en compte 5 – devraient commencer à rouler sur les autoroutes. On atteindrait la totale autonomie aux alentours de 2040 en zones périurbaines et, en test, dans les villes. Dans la seule Californie, 27 entreprises ont d’ores et déjà déposé une demande d’autorisation pour tester ces véhicules sur les routes de l’État.
Pourquoi une telle effervescence ? En réalité, le véhicule autonome, souvent présenté comme une des applications commerciales majeures de l’intelligence artificielle, se trouve au croisement de plusieurs enjeux dont l’importance va croissant. Il y a, d’une part, un enjeu de sécurité, même s’il reste des dilemmes éthiques : il s’agit de faire baisser le nombre d’accidents, alors qu’il y a chaque année 1,25 million de morts sur les routes.
Il existe, d’autre part, un double enjeu environnemental et de mobilité : alors que les transports sont tenus pour responsables d’un quart des émissions de Co2, le véhicule autonome, couplé à l’électricité, participerait d’une mobilité urbaine à « zéro émission », nous promet-on. Également connecté, il permettrait une réduction du nombre de véhicules en circulation en s’intégrant aux nouveaux usages de transports individuels et collectifs comme l’autopartage. Ce n’est pas un hasard si les transports font partie des quatre secteurs définis comme prioritaires par le rapport Villani, aux côtés de la santé, de l’écologie et de la défense-sécurité.
Pour l’industrie automobile, cette mutation est cruciale. Non seulement parce que les constructeurs vont devoir affronter une concurrence nouvelle et nouer, comme c’est déjà le cas, des alliances inédites, notamment avec des organismes de recherche publics et privés spécialisés en intelligence artificielle. Mais aussi parce que la valeur du véhicule va profondément se modifier : « Tous les acteurs de l’automobile vont devoir repenser leur modèle économique avec une chaîne de valeur qui doit progressivement migrer vers les fournisseurs de logiciels et les opérateurs de services liés à la mobilité », prévient ainsi l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria).
Dans ce contexte, « les données vont se substituer au pétrole », résume Stéphane Flégeau, animateur du collectif Industrie à la fédération Cgt de la Métallurgie. La formule n’est pas neutre. « À l’avenir, la question centrale sera celle de la maîtrise des données. Cela suppose notamment d’intervenir, en amont, dans le cahier des charges de la composition des logiciels », explique-t-il.
Problème : parce qu’elles se rapportent au monde du virtuel et de l’immatériel, les données ont la propriété de masquer la chaîne d’action nécessaire à leur fonctionnement. Un leurre : « En réalité, la donnée est physique, ce sont des composants, des réseaux et des data centers, explique encore Stéphane Flégeau. Le défi est ainsi industriel, dans un contexte où, notamment, le secteur des semi-conducteurs est en grande difficulté. » Ce qui est en jeu, c’est la maîtrise et l’indépendance technologiques ; une question, pour la Cgt, de stratégie industrielle de long terme largement ignorée par la stratégie de déploiement du véhicule autonome.
Un défi environnemental non résolu
À cela s’ajoute un défi environnemental non résolu. D’une part, le lien entre empreinte carbone et industrie numérique est sous-estimé. Celle-ci, ancrée dans du « matériel », consomme également de la chaleur et des ressources. Il est donc impropre d’associer étroitement le véhicule autonome connecté avec le développement d’une mobilité dite « neutre en carbone », comme c’est le cas dans le rapport Villani : il faudra de toute façon de grandes quantités d’énergie pour produire, stocker et sécuriser, à grande échelle, la masse des données en circulation.
Il faut interroger d’autre part le couple voiture autonome-électricité évoqué dans le contrat stratégique de la filière automobile, élaboré en mai dernier. Objectif affiché : multiplier par cinq, d’ici à la fin 2022, les ventes de véhicules 100 % électriques. Mais cela ne résoudra pas tout, prévient la Cgt : « L’impact environnemental d’un véhicule doit être envisagé de sa conception à sa destruction et, de ce point de vue, la voiture électrique, qui comporte un risque social, est également loin d’être“propre”, souligne Denis Bréant, animateur du collectif Automobile de la fédération de la Métallurgie. Par conséquent, nous ne sommes pas pour le tout-électrique, mais pour un mix de motorisation qui réponde aux contraintes environnementales comme aux besoins des usagers » : pas seulement en zone urbaine, où sera principalement déployée la voiture autonome, mais sur tout le territoire.
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