Cop 28 : feux verts pour le financement de la transition écologique ?

En France comme partout, financer l’adaptation au changement climatique et l’investissement dans une économie verte relève encore de circuits complexes et insuffisants.

Édition 040 de fin novembre 2023 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Depuis début novembre, New Delhi étouffe sous un nuage de particules fines, dont la concentration est trente fois supérieure à la limite jugée dangereuse par l’OMS. © Zuma Press/MaxPPP

Les Cop se succèdent, la déception et l’urgence persistent. La 28e Conférence des parties sur le changement climatique, organisée sous l’égide de l’Onu jusqu’au 12 décembre, se tient à… Dubaï, sous la présidence du sultan Ahmed al-Jaber, dirigeant du groupe pétrolier des Émirats arabes unis. Dans un contexte accablant : l’année 2023 sera répertoriée comme la plus chaude jamais enregistrée. Fin octobre, selon l’Onu, les températures mondiales moyennes atteignaient déjà + 1,43 °C par rapport à l’ère préindustrielle, alors que le seuil de + 1,5 °C, au pire + 2 °C, d’ici à 2100 constitue la limite fixée par le Giec pour que le climat et la vie sur Terre ne soient pas irrémédiablement bouleversés. Les États font comme si l’objectif restait atteignable, alors que les émissions de gaz à effet de serre (Ges) continuent d’augmenter : + 50 % en huit ans.

« Le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs à long terme », indique l’Onu dans son dernier bilan mondial. Les prospections d’énergies fossiles se poursuivent. Deux Ong, Éclaircies et Data for Good, ont publié une enquête qui liste 422 gisements de pétrole, de gaz ou de charbon exploités ou en voie de l’être à travers le monde. L’utilisation de ces ressources, qualifiées de « bombes carbone », pourrait dégager dans l’atmosphère plus de 1 000 gigatonnes d’équivalent CO2 (Gt eq CO2), dépassant ce qui reste de « budget carbone », dans un scénario à + 2 °C d’ici à 2100 (1 150 Gt, soit 1 150 milliards de tonnes).

Les ressources fossiles, plus lucratives à court terme

Cette situation intenable est pourtant soutenue par le système financier, toujours avide de profits importants et rapides, alors que, pour les banques, financer les acteurs de la transition écologique reste perçu comme plus aléatoire, au mieux rentable sur le long terme. Ainsi, en France, Bnp-Paribas et le Crédit agricole préfèrent ouvrir leurs crédits à Total (deuxième investisseur mondial dans les gisements de combustibles fossiles) sur des projets en Nouvelle-Guinée et au Mozambique, par exemple. En termes de financements accordés en 2022 à des entreprises pour des projets portant sur les énergies fossiles, Bnp-Paribas se place en 3e position mondiale, et le Crédit agricole en 6e position.

Malgré les discours officiels, les États continuent quant à eux d’accorder des permis d’exploration et d’exploitation, et même de subventionner des industries extractives ou des entreprises misant sur des technologies de captage, de compression, de stockage par injection en sous-sol du CO2, et sur toute technologie prétendant alléger l’effet de serre engendré par ces activités. Peu importe si elles ne se révèlent pas toujours abouties, si elles sont coûteuses et énergivores. La Chine, la Russie, les États-Unis et les pays du Golfe, déjà en tête des pays les plus émetteurs de Ges, le sont aussi sur les projets en cours, et ne témoignent pas d’une volonté d’agir pour en finir avec l’énergie carbonée.

Pourtant, les fonds pour investir dans une économie soutenable existent : l’Observatoire européen de la fiscalité a évalué à 1 000 milliards de dollars le montant de l’évasion fiscale en 2022. Le Fonds monétaire international confirme que la finance pourrait investir des sommes équivalentes dans la transition écologique. C’est loin d’être le cas. En 2019, à la Cop 25, les États les plus riches se sont engagés à consacrer chaque année, de 2020 à 2025, 100 milliards de dollars pour soutenir les pays les plus pauvres. Ils ont consenti, au mieux, 64 milliards de dollars en 2021. Et les débats persistent pour identifier qui doit payer – la Chine s’y refuse – et quels pays doivent recevoir des fonds. La Cop 28 a également débattu des compensations financières à verser aux pays déjà impactés de manière irréversible, après la création d’un fonds spécifique pour les « pertes et dommages » décidé à la Cop 27. Résultat : zéro centime.

Certes, la feuille de route de la Cop 28 ambitionne de tripler les investissements dans les énergies renouvelables d’ici à 2030 ou de miser sur des solutions technologiques décarbonées. Reste que certaines subtilités de langage permettent de revendiquer comme low carbon des activités portant sur les ressources fossiles supposées moins émettrices ou accompagnées de captation de carbone. Business as usual…

Sans décisions politiques contraignantes, pas de réorientation des flux financiers possible

Tous les acteurs politiques et économiques reconnaissent qu’une action climatique efficace doit passer par une réorientation des flux financiers. Mais la finance bloque et les États ne se décident pas à imposer de mesures contraignantes. En Europe comme en France, les dispositifs existants pour limiter les Ges et réorienter les investissements ne prouvent guère leur efficacité. Les budgets carbone et quotas d’émissions reposent sur l’incitation. Une entreprise est plus taxée si elle dépasse le quota qui lui est attribué et doit acheter sur le marché carbone des « droits à polluer » émis en principe par des entreprises plus vertueuses, mais aussi par une titrisation des droits à polluer sur un marché financier dédié.

À supposer qu’on contrôle vraiment les bilans carbone de chaque entreprise, certaines peuvent s’exempter de mettre en œuvre leur transition en achetant des droits d’émission qui, transformés en titres sur les circuits financiers, ne sont pas à l’abri de la spéculation. Par ailleurs, le « prix du carbone » en France rend peu dissuasif le fait d’émettre trop de CO2 : l’objectif était de 100 euros par tonne de CO2 émise d’ici à 2030 ; on est actuellement à 44,60 euros, très en deçà du prix fixé par d’autres pays européens. L’Europe cède également aux entreprises quand elle distribue des labels verts et limite leurs contraintes en fonction des tensions mondiales – la guerre en Ukraine par exemple.

En France, une action climatique encore confuse et peu efficace

En France, les entreprises rejettent la fiscalité sur le carbone au nom de la productivité. Au lieu d’inscrire la transition écologique dans une démarche de justice sociale, le premier gouvernement Macron a tenté de faire peser le financement de la décarbonation sur les ménages. Résultat : crise des gilets jaunes et gel de la taxe carbone depuis 2018. Depuis, le financement de la transition écologique, affiché comme une priorité, reste conditionné à la bonne volonté des acteurs économiques, et l’État a été plusieurs fois condamné pour inaction climatique. Les annonces, plans et financements se succèdent, mais le fléchage des mesures et leur concrétisation sont difficilement mesurables.

Le gouvernement, en tout cas, ne mise pas sur le « quoiqu’il en coûte », et n’esquisse aucun geste de justice sociale comme le serait l’instauration d’une contribution des ménages les plus riches, dont l’empreinte carbone est plus importante. Un « impôt exceptionnel sur le patrimoine financier des plus aisés » était pourtant suggéré dans le rapport de Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry, « Les incidences économiques de l’action pour le climat », remis à la Première ministre en juin 2023.

Le 27 septembre, lors d’un séminaire organisé au Conseil économique, social et environnemental (Cese) à la suite de l’avis « Financer notre stratégie énergie-climat : donnons-nous les moyens de nos engagements », l’inspectrice générale des finances a insisté sur le fait que, pour être économiquement efficace et socialement juste, l’action publique devait se fonder sur l’équité : « Nous avons décidé de faire collectivement cette transition pour limiter le réchauffement, même si elle ne s’avère pas forcément rentable. De même, pour un ménage, l’utilité que lui rend une pompe à chaleur n’est pas bien supérieure à celle d’une chaudière au fioul, sauf que la pompe à chaleur est plus chère. Tout est dans ce “c’est plus cher”, même s’il y a un retour sur investissement sur le long terme. » Les ménages devront le faire parce que « nous n’avons plus le droit d’installer des chaudières au fioul depuis l’été 2022, et n’aurons plus le droit d’acheter des véhicules thermiques à partir de 2035, etc. poursuit Selma Mahfouz. Il ne faut donc peut-être pas exclure une hausse des taux de prélèvement obligatoire, notamment pour des questions d’équité. Pour un ménage modeste, rénover son logement, changer de vecteur de chauffage, c’est plus de deux ans de revenus. Acheter un véhicule électrique, c’est à nouveau plus de deux ans de revenus. Et même pour un ménage de la classe moyenne, rénovation et chauffage d’un côté et véhicule électrique de l’autre, c’est à nouveau chaque fois plus d’un an de revenus, donc au total plus de deux ans de revenus. L’équité impose de ne pas laisser les gens sans alternative, mais aussi l’égalité devant les sacrifices. Parce que les plus riches auront toujours les moyens de payer plus cher leur carburant. »

Des préconisations pour davantage de justice sociale

Les préconisations du Cese aussi sont marquées par un souci de justice sociale. Par exemple : supprimer progressivement les dépenses budgétaires et fiscales nocives pour le climat d’ici à dix ans ; repenser le rôle de la fiscalité environnementale, avec une parfaite transparence sur l’affectation des recettes ; utiliser une part de la plus-value foncière engendrée par l’investissement dans les infrastructures pour faciliter le financement de projets favorables à la transition écologique ; mobiliser l’épargne des ménages vers le financement écologique. Au niveau européen, il s’agirait de différencier les taux d’intérêt de la Banque centrale européenne pour favoriser les investissements verts et, à l’inverse, d’imposer le financement sur seuls fonds propres pour les nouveaux investissements fossiles.

Le rapport Pisani-Ferry – Mahfouz chiffre les besoins annuels en investissements publics et privés pendant les dix prochaines années entre 60 et 70 milliards d’euros, pour moitié publics. D’autres évaluations vont jusqu’à 100 milliards d’euros. L’État et les collectivités locales se doivent d’investir dans les bâtiments et infrastructures publiques – les transports collectifs, le ferroviaire aussi –, et d’aider les ménages et, sous condition, les entreprises, pour le financement de leur adaptation. Le Cese, qui a consulté des centaines d’acteurs économiques, sociaux, politiques, associatifs, constate que les dispositifs existants sont insuffisants, complexes, pas toujours proposés avec le même souci d’égalité en fonction des territoires, et il sera difficile d’y arriver dans un système guidé par le seul profit immédiat et marqué par le désengagement de l’État dans les services publics. Beaucoup reste à faire.

Valérie Géraud