Ménopause, endométriose… : pour une approche sexuée de la santé au travail
Partant du constat d’une méconnaissance de la santé au travail des femmes, quatre sénatrices émettent vingt-trois recommandations destinées à tendre vers plus d’égalité.
Alors que la réforme des retraites commence à s’appliquer le 1er septembre 2023, reculant progressivement l’âge d’ouverture des droits de 62 à 64 ans, « la ménopause constitue aujourd’hui un véritable enjeu d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », affirment les sénatrices Laurence Cohen, Annick Jacquemet, Marie-Pierre Richer et Laurence Rossignol dans le rapport d’information« Santé des femmes au travail : des maux invisibles » adopté le 27 juin.
Ménopause et travail : des adaptations nécessaires
Cette étude s’intéresse notamment aux conséquences sur le travail de ce changement hormonal qui touche 100 % des femmes de 55 ans et plus. Les sénatrices rappellent que 500 000 femmes entrent en ménopause chaque année ; qu’elles sont 14 millions à être concernées en France ; que 94 % des femmes de 45 à 50 ans sont touchées par au moins un symptôme ; que 73 % le sont encore entre 61 et 65 ans. Les symptômes les plus fréquents sont des bouffées de chaleur, des sueurs nocturnes, une prise de poids, des changements de l’humeur, des maux de tête, des troubles urinaires, du sommeil et de la mémoire.
Le rapport souligne dans un premier temps l’importance de faire connaître largement les symptômes possibles de la ménopause aux professionnels de santé, mais aussi aux femmes elles-mêmes. Les conditions de travail devraient être adaptées en conséquence, par exemple en accordant une flexibilité horaire, un recours possible au télétravail, un contrôle de la température et de la ventilation des locaux, ou un assouplissement du code vestimentaire.
Une des premières causes d’arrêt maladie : l’endométriose
Au-delà de la ménopause, le rapport s’intéresse plus largement à la santé sexuelle et reproductive des femmes au travail, décrite comme un « nouveau champs de conquêtes sociales pour les femmes ». Il y est question de la prise en charge de l’endométriose et des pathologies menstruelles incapacitantes au travail, considérées elles aussi comme un enjeu d’égalité professionnelle.
« L’endométriose est une des premières causes d’arrêt de travail en France », a affirmé lors de son audition Catherine Vidal, membre de la commission Santé, droits sexuels et reproductifs du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (Hce). En effet, 46 % des salariées atteintes d’endométriose affirment que la maladie les a contraintes à poser des congés ou un arrêt de travail au cours des douze mois précédents. Les conséquences sont aussi financières, car les femmes concernées doivent prendre des arrêts de travail nombreux mais de courte durée, et accumulent donc les jours de carence.
L’endométriose est une pathologie chronique féminine qui concerne entre 1,5 et 2,5 millions de femmes, dont 15 à 20 % souffrent de formes sévères, invalidantes mais invisibles. Les douleurs sont telles que les femmes qui en souffrent peinent à rester longtemps dans une même position, assise ou debout . Cette maladie cause par ailleurs une importante fatigue chronique.
Si la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose annoncée début 2022 comporte bien un volet relatif au travail, seules quelques rares initiatives vont dans ce sens, comme à la mairie de Saint-Ouen (93) ou au sein du groupe Carrefour. Afin de supprimer le délai de carence, les sénatrices préconisent l’ajout de l’endométriose à la liste des affections de longue durée (Ald). Les femmes atteintes devraient également bénéficier de plus de flexibilité dans l’aménagement de leurs horaires de travail.
La grossesse : 3e motif de discrimination dans l’emploi
Le rapport sénatorial fait le constat d’importantes discriminations liées à la grossesse, malgré un contexte législatif favorable qui permet théoriquement des aménagements du temps de travail. Ainsi, dans un rapport de 2017, le Défenseur des droits soulignait que « la grossesse et la maternité arrivent au troisième rang des motifs de discrimination dans l’emploi les plus fréquemment déclarés par les femmes ». De nombreuses femmes n’ont par exemple pas recours aux aménagements possibles de leur poste de travail. Pour les sénatrices, les employeurs devraient mieux informer les femmes enceintes de leurs droits.
La vie professionnelle des femmes peut également être impactée par le parcours semé d’embûches de l’assistance médicale à la procréation (Amp). D’une durée moyenne de sept à huit ans, celui-ci est jalonné de rendez-vous fréquents dans des centres parfois éloignés et qui ne peuvent de surcroît pas être programmés. Près de 84 % des femmes en parcours Amp estiment que celui-ci a des répercussions sur leur vie professionnelle. Si des absences pour Amp sont autorisées depuis 2016, moins de 50 % des femmes en bénéficient car elles n’ont pas déclaré être en « parcours infertilité ».
Pour y remédier, le rapport suggère que les femmes n’aient plus à préciser qu’« une simple absence liée à une pathologie chronique à 100 %, qui peut viser d’autres pathologies chroniques ». Il est demandé aux professionnels de l’Amp de mieux s’adapter à la vie professionnelle des femmes en regroupant les rendez-vous et en favorisant la téléconsultation.
La méconnaissance scientifique a des conséquences
Le rapport« Santé des femmes au travail : des maux invisibles »fait plus généralement le constat d’une méconnaissance scientifique de la santé des femmes. Les métiers majoritairement féminins font l’objet de moins de recherches. Quant aux données statistiques sexuées, quoique de plus en plus nombreuses, elles sont encore peu exploitées. Les autrices du rapport dénoncent le « souhait délibéré » des employeurs, des institutions et des professionnels de la santé au travail de conserver une approche indifférenciée entre les hommes et les femmes. Sous prétexte de ne pas discriminer, ils continuent ainsi à faire implicitement de l’« homme moyen » la norme de la santé au travail.
Cette norme a pour conséquence de rendre les postes de travail, l’organisation spatiale ou les équipements de protection inadaptés à la morphologie et aux caractéristiques anthropométriques et physiologiques des femmes, ce qui augmente les risques d’accidents ou de pathologies. Cela a aussi des conséquences sur les politiques publiques de prévention et de réparation, elles aussi moins efficaces pour les femmes.
Des accidents du travail en forte hausse chez les femmes
Les risques professionnels auxquels sont exposées les femmes sont sous-estimés et méconnus, mais aussi différents de ceux encourus par les hommes, « en raison principalement d’une ségrégation professionnelle persistante ». Une étude de 2022 de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) révèle qu’entre 2001 et 2019, les accidents du travail ont augmenté de 42 % chez les femmes. Le nombre d’accidents du travail est par ailleurs plus élevé dans les activités de services à prédominance féminine que dans le secteur du Btp. Et si les accidents du travail mortels concernent à 90 % des hommes, les femmes qui en sont victimes sont arrêtées plus longtemps. Elles sont aussi d’avantage exposées à une usure physique et psychique.
Fortes de ces constats, les quatre sénatrices émettent différentes recommandations, parmi lesquelles développer l’élaboration et l’exploitation de données sexuées, et faire appliquer par les employeurs l’obligation légale d’un document unique d’évaluation des risques genré. Elles prônent aussi de former tous les acteurs de la prévention à une approche genrée, et de renforcer les moyens humains dédiés au contrôle. De façon plus générale, ce rapport invite à penser différemment la santé au travail au féminin, en « chaussant systématiquement les lunettes du genre ».
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