Revue de presse -  « Chasse aux sorcières » anti-diversité : par-delà l’Atlantique ?

Stupeur, effroi, voire « trouille »… les grandes entreprises sont sous la pression d’un décret de Donald Trump les sommant de renoncer à leurs politiques de diversité. Aux États-Unis, la presse se fait déjà l’écho d’un « chaos » affectant de nombreux secteurs professionnels.

Édition 069 de [Sommaire]

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© Pessin

C’est une lettre qui provoque stupeur et tremblements. Dévoilée par Les Échos, elle aurait été adressée par l’ambassade des États-Unis à une vingtaine de grandes entreprises françaises, fin mars. Son contenu est sans ambiguïté  : «  Nous vous informons que le décret 14.173, concernant la fin de la discrimination illégale et rétablissant les opportunités professionnelles basées sur le mérite, signé par le président Trump, s’applique également obligatoirement à tous les fournisseurs et prestataires du gouvernement américain, quels que soient leur nationalité ou le pays dans lequel ils opèrent.  » En d’autres termes, les entreprises sont sommées de renoncer à leurs pratiques en matière de diversité et d’égalité femmes-hommes, sans quoi elles ne pourraient prétendre à aucun appel d’offres fédéral.

Aux États-Unis, l’offensive a débuté bien avant le second mandat de Donald Trump. C’est ce que constate sans ambages le Los Angeles Times  :  «  Hollywood relâchait déjà sa politique de diversité avant même l’arrivée de Trump. Maintenant, c’est la débandade.  » L’information est rapportée par Courrier international, qui cite également un article du Wall Street Journal faisant état de la fin des politiques dites de Dei (Diversité, équité et inclusion) au sein de Google. 

Des multinationales ont immédiatement répondu favorablement 

Après que le nouveau président a, au tout début de son mandat, pris un décret les déclarant «  illégales  », le «  chaos  » s’est ajouté à la «  débandade  ». Le terme est utilisé par le Washington Post pour décrire l’état d’esprit dans les milieux de la recherche  : «  Les scientifiques savaient que la présidence de Donald Trump allait changer de nombreuses choses, mais ils ne s’attendaient sûrement pas à ce que ses décrets plongent le plus grand pôle mondial d’innovation et de recherche dans le chaos et la panique la plus totale.  » De grandes multinationales ont immédiatement répondu favorablement à l’injonction  : ainsi Accenture a-t-elle annoncé l’arrêt de ses programmes de diversité et d’inclusion sous la pression du décret Trump, y compris en France, rapporte Libération.

Il n’est donc pas étonnant que la «  chasse aux sorcières  » antidiversité, pour reprendre un titre des Échos, débarque en France. Elle n’en crée pas moins la «  stupeur dans les entreprises  », relate Le Monde  : «  La tension créée par M. Trump a atteint un tel niveau, écrit Arnaud Leparmentier, son correspondant à New York , qu’une lettre d’ambassade suscite une panique du même ordre que si elle avait été envoyée par le secrétaire au Trésor ou le secrétaire d’État américain. Sans doute pas complètement à tort.  »

«  Trump exporte en Europe sa guerre contre la diversité  »

Au sein de l’Union européenne, la France n’est pas la seule ciblée. Ainsi le Corriera della Serra fait sa Une sur «  Les lettres des États-Unis contre la diversité  » qui touchent également «  les fournisseurs italiens  » avec, en substance, cette injonction  : «  N’adoptez pas de politiques d’équité et d’inclusion.  » En Espagne, El Païs met en garde contre la diffusion de cette stratégie dans le secteur culturel, en témoignant de la situation observée dans une bibliothèque de Barcelone. 

«  Trump exporte en Europe sa guerre contre la diversité  », résume Le Soir en Belgique, en fustigeant la «  dernière frasque du président américain, engagé dans une croisade conservatrice qui dépasse désormais clairement les frontières américaines  ».

Une remise en cause du concept d’égalité

Parler de «  frasque  » est un euphémisme. La plupart des titres de presse y vont plus frontalement, en dénonçant «  un chantage  », un «  abus d’extraterritorialité  », voire «  une ingérence inacceptable  ». La critique est également portée par Dominique Seux, dans son Édito éco de France Inter. Mais, tout en évoquant la «  trouille  » des entreprises, il relativise la gravité de la menace  : «  Sur le fond, les choses sont plus compliquées qu’en apparence. Ce que hait Donald Trump, c’est la discrimination positive. En clair la politique de quotas, qui c’est vrai, est parfois devenue ridicule Outre-Atlantique. C’est cela qu’il combat avec son décret 14.173 contre les politiques qu’il appelle wokes.  » Or, ajoute-t-il, «  les entreprises françaises ne pratiquent pas officiellement de politique de quota – notre universalisme s’y oppose. C’est seulement au sein des conseils d’administration, des comités exécutifs et des comités de direction qu’il existe de quotas féminins. C’est la loi  ».

«  Wokisme  »  : le mot est ainsi lâché. Dans L’Humanité, Stéphane Sahuc revient sur la «  même haine  » qui, de l’Argentin Javier Milei à l’Israélien Benyamin Netanyahou en passant par l’États-unien Donald Trump et l’Italienne Giorgia Meloni, est partagée par «  cette internationale d’extrême droite désormais au pouvoir dans nombre de pays  ». Il écrit  : le «  wokisme  » est «  un mot-valise bien utile pour ranger tous ceux qui portent une vision de la société et des rapports sociaux qui ne soit pas uniquement basée sur la raison du plus fort, du plus puissant ou du plus riche.  » Derrière ce mot, «  c’est en fait le concept même d’égalité qui est dans la ligne de mire  ».

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