Entretien -
Loi Jeux olympiques : Big Brother en finale
Maryse Artiguelong, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH), dénonce les entraves aux libertés publiques intégrées à « la loi Jeux olympiques » votée au printemps.
– Options : Pourquoi la Ldh dénonce-t-elle la loi « olympique » votée au printemps 2023 ?
– Maryse Artiguelong : Cette loi instaure la possibilité d’une vidéosurveillance algorithmique, ce qui ouvre la porte à la reconnaissance faciale. La France est le seul pays européen à mettre en place ce système, malgré son inefficacité maintes fois avérée. Le texte autorise aussi d’éventuels prélèvements Adn sur les athlètes inscrits aux compétitions afin de lutter contre le dopage. C’est une intrusion particulièrement agressive dans leur vie privée. S’y ajoute le recours possible aux scanners corporels pour les spectateurs à l’entrée des stades… Autant d’expérimentations qui pourront se poursuivre jusqu’en mars 2025 alors que les Jeux olympiques et paralympiques ont lieu à l’été 2024…
– Comment cette « prolongation » est-elle justifiée ?
– On nous a indiqué que c’était pour améliorer le système. Pour avoir un système d’intelligence artificielle « qui fonctionne », comme la vidéosurveillance algorithmique, il faut une base de données d’images très importante. Or, justement, des événements comme la Coupe du monde de rugby de cette rentrée et ceux qui se produiront au-delà des Jeux olympiques permettent de constituer cette base de données.
Cette expérimentation n’est donc qu’un prétexte. Les bases de données constituées alimenteront des systèmes utilisant l’intelligence artificielle (IA) pourtant développés par des entreprises privées. Les images recueillies par les administrations publiques serviront les intérêts de ces entreprises, qui pourront toujours mettre en avant la propriété intellectuelle ou le droit des affaires pour ne pas expliquer comment fonctionnent leurs algorithmes…
– Quelle est la fiabilité de cette surveillance algorithmique ?
– Le dispositif prévu par la loi va au-delà de la vidéosurveillance algorithmique. Il permettra l’analyse de situations, sans identification des personnes, par exemple en faisant un focus sur des personnes qui marchent dans un sens contraire à la foule, ou des mouvements de foule qui ne semblent pas cohérents, en fonction de critères dont nous ignorons la définition…
La reconnaissance faciale n’est pas autorisée en Europe, et nous ne disposons pas d’exemple de reconnaissance faciale réellement fonctionnelle. En revanche, on dispose d’un certain nombre d’exemples de dysfonctionnements, de « faux positifs », concernant des personnes arrêtées à tort, en particulier aux États-Unis. Le dernier exemple en date, c’est une femme enceinte noire arrêtée à Chicago alors qu’elle accompagnait ses enfants à l’école, qui s’est retrouvée accusée d’avoir commis un cambriolage en centre-ville, où elle ne s’était jamais rendue. Ce qu’on sait de la reconnaissance faciale, c’est que ça fonctionne beaucoup moins bien sur les visages à la peau foncée, parce que les bases de données sont constituées en majorité d’images de visages d’hommes blancs.
– Pourquoi ce texte vous semble-t-il dangereux par rapport à l’arsenal sécuritaire déjà disponible dans la loi ?
– On assiste à une augmentation continue de la surveillance, notamment par caméra. D’abord installées sur des poteaux surveillant des points fixes, puis en rotation à 360 degrés, et qui peuvent zoomer, et désormais aussi sur des drones… On passe à une échelle bien supérieure au prétexte de la sécurité pour les Jeux olympiques. Le public qui se rendra aux compétitions n’aura pas comme priorité la préservation de sa vie privée ou de ses données personnelles. Il a payé sa place assez cher, et ce qui lui importe, c’est d’arriver à temps pour être bien placé, pour assister à l’événement, pas de connaître les dispositifs de sécurité en place ou leurs impacts.
Cette loi autorise l’intelligence artificielle, la vidéosurveillance algorithmique, les scanners corporels – qui sont de véritables atteintes à l’intimité, qui plus est entre les mains non pas de fonctionnaires, mais d’agents de sécurité privée –, et le criblage, c’est-à-dire le contrôle du fichage de toutes les personnes travaillant sur les sites olympiques, mais aussi – c’est une première – de tous les bénévoles.
Les athlètes aussi pourront être soumis à des tests Adn avant les compétitions, afin de lutter contre le dopage génétique. C’est une intrusion dans leur intimité, qui pourrait aller jusqu’à la révélation de potentielles futures maladies…
– L’exécutif assure que le texte de loi est équilibré par des « garanties »…
– Elles existent effectivement. Lorsque vous rentrez dans une zone vidéo surveillée, vous avez toujours, normalement, une affiche ou un panneau vous indiquant un numéro de téléphone du responsable du stockage des images. Mais la plupart des utilisateurs n’ont pas recours à ces garanties, et rien ne dit que les usages changeront dans le cadre des Jo. L’installation de caméras de vidéosurveillance en général, c’est quelque chose contre lequel il est très compliqué de lutter. Tenter de faire comprendre leur utilité faible ou nulle, leur coût très élevé, relève de la gageure. Pour rappel, le coût des systèmes de vidéosurveillance est colossal : près des trois quarts du budget du fonds interministériel de prévention de la délinquance sont consacrés à leur seule installation (1).
Les communes sont satisfaites parce que cela fait « plaisir » aux citoyens et que, grâce aux aides publiques, ça ne coûte pas grand-chose à l’installation. Sauf que les coûts de fonctionnement sont ensuite énormes. Certaines communes abandonnent même l’exploitation de ces systèmes parce qu’elles n’ont plus les moyens de les faire fonctionner.
– Quelles sont les actions entamées par la Ldh pour agir contre ces dérives ?
– La Ldh ne défend pas des principes moraux, mais les droits inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, même si nous sommes considérés comme des empêcheurs de légiférer à tout va.
Au niveau européen, un certain nombre d’organisations luttent contre cette surveillance généralisée, pour les libertés numériques en général. Il existe une organisation ombrelle, European Digital Rights (Edri), qui regroupe des structures polonaises, allemandes, françaises… On y retrouve Amnesty International, la Quadrature du Net ou Access Now. Elles ont dénoncé le fait que la France allait être le premier pays de l’Union européenne à utiliser la vidéosurveillance algorithmique, et la Ldh a participé à cette campagne.
Sur les projets européens, sur cette loi et sur l’intelligence artificielle plus globalement, nous menons un travail commun. Nous travaillons aussi sur la surveillance aux frontières. Avec ces structures, et en son nom, la Ldh est légitime pour mener ces combats. Malgré les attaques, nous poursuivrons nos actions.
Loi « olympique » : un texte approuvé par la majorité, la droite et l’extrême droit
Formellement promulguée le 19 mai 2023, la loi « relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions » a été massivement approuvée par les députés avec 400 voix. Les divers groupes de la majorité ont été rejoints par les Républicains et le Rassemblement national dans leur approbation d’un texte dénoncé comme liberticide depuis des mois par les Ong par les syndicats, dont la Cgt, car portant atteinte au Code du travail, de l’environnement, aux droits des collectivités, etc.
Le Conseil constitutionnel, saisi par les députés et sénateurs, a validé le recours aux caméras « intelligentes » en émettant des réserves sur la durée de cette autorisation. Ce sera aux préfets de mettre un terme à cette autorisation lorsqu’ils estimeront qu’elle n’est plus justifiée. Une appréciable marge de manœuvre…
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