Chronique juridique -
La réparation des accidents du travail et maladies professionnelles
Les travailleurs victimes d’accidents du travail graves ou de maladies professionnelles supportent des préjudices qui ne sont le plus souvent que partiellement indemnisés par le droit de la Sécurité sociale. L’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu récemment deux décisions qui opèrent un revirement de jurisprudence et améliorent sensiblement la réparation pour les travailleurs concernés.
Pour pouvoir bénéficier d’une réparation plus complète, le travailleur salarié (ou ses ayants droit) doit engager une procédure pour faute inexcusable de l’employeur. La reconnaissance de la faute inexcusable permet au salarié de bénéficier d’une majoration de sa rente et de la réparation intégrale de son préjudice.
Selon la jurisprudence, le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé a le caractère d’une faute inexcusable lorsque « l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » (Cour de assation, Civile 2e chambre, 8 octobre 2020, FS-P+B+I).
La jurisprudence antérieure
La Cour de cassation jugeait que la rente prévue par le Code de la Sécurité sociale, versée aux victimes de maladie professionnelle ou d’accident du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur, indemnisait tout à la fois la perte de gain professionnel, l’incapacité professionnelle et le déficit fonctionnel permanent (le handicap dont vont souffrir les victimes dans le déroulement de leur vie quotidienne).
Pour obtenir de façon distincte une réparation de leurs souffrances physiques et morales, ces victimes devaient rapporter la preuve que leur préjudice n’était pas déjà indemnisé au titre de ce déficit fonctionnel permanent. Cette preuve pouvait être difficile à apporter.
La nouvelle jurisprudence sur la réparation du déficit fonctionnel permanent
La Cour de cassation élargit le périmètre d’indemnisation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle en cas de faute inexcusable de l’employeur. Les travailleurs victimes seront mieux indemnisés.
Les victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle (ou leurs ayants droit) peuvent prétendre à une indemnité complémentaire distincte de la rente prévue par le Code de la Sécurité sociale.
La rente versée par la caisse de sécurité sociale aux victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle et qui est établie par rapport à leur salaire de référence et l’état définitif de leurs séquelles (appelé « consolidation ») n’indemnise pas leur déficit fonctionnel permanent, c’est-à-dire les souffrances qu’elles éprouvent par la suite dans le déroulement de leur vie quotidienne (le terme de « consolidation » désigne l’état définitif des séquelles dont une personne est victime).
La Cour de cassation permet désormais aux travailleurs victimes (ou à leurs ayants droit) d’obtenir une réparation complémentaire pour les souffrances physiques et morales endurées après « consolidation ».
Cette réparation peut être obtenue sans que les travailleurs victimes (ou leurs ayants droit) n’aient à fournir la preuve que la rente prévue par le code de la Sécurité sociale ne couvre pas déjà ces souffrances (Cassation, assemblée plénière, 20 janvier 2023).
Ces deux décisions marquent une évolution importante en matière d’indemnisation.
Les deux affaires à l’origine de ce revirement de jurisprudence
Les faits. Deux salariés sont morts d’un cancer des poumons après avoir inhalé des poussières d’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle. Le suivi de leur pathologie a été pris en charge par la caisse de sécurité sociale jusqu’au jour de leur décès.
Les procédures. Après le décès de ces salariés, leurs ayants droit ont saisi la juridiction de sécurité sociale. Dans chacune des deux affaires, les cours d’appel ont reconnu la faute inexcusable de l’employeur.
Toutefois, la réparation accordée par l’une des deux juridictions couvre un champ plus large que celui prévu par le code de la Sécurité sociale tel qu’interprété alors par la Cour de cassation (1re affaire).
Dans la première affaire, la cour d’appel a considéré qu’une rente devait être versée à la victime d’une maladie professionnelle, comme le prévoit le code de la Sécurité sociale ; mais aussi que les souffrances physiques et morales endurées par le malade après la « consolidation » constituaient un préjudice personnel qui devait être réparé de façon spécifique.
En 2020, l’agent judiciaire de l’État a formé un pourvoi. La 2e chambre civile de la Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel : elle a jugé qu’il n’avait pas été démontré en quoi les souffrances physiques et morales du malade étaient distinctes de celles que réparait déjà le versement de la rente prévue par le code de la Sécurité sociale. En 2021, la cour d’appel chargée de rejuger l’affaire n’a pas suivi la position de la Cour de cassation. L’agent judiciaire de l’État a formé un pourvoi.
Dans la seconde affaire, la cour d’appel a suivi la jurisprudence de la Cour de cassation en considérant que la rente prévue par le code de la Sécurité sociale devait être versée, mais qu’il n’y avait pas lieu d’y adjoindre le versement d’indemnités liées aux souffrances physiques et morales de la victime après la « consolidation ». En 2020, la famille de ce salarié a formé un pourvoi.
Ces divergences de positions ont conduit la Cour de cassation à examiner ces deux affaires en assemblée plénière, formation de jugement la plus solennelle, au sein de laquelle toutes les chambres de la Cour sont représentées, et à opérer un revirement de jurisprudence favorable à une meilleure réparation.
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