Thalès, où comment faire vivre la CGT dans un univers de cadres

Alors que le cycle électoral se clôt, l’enjeu pour la CGT est de conserver son électorat des 1er et 2e collèges et de regagner des voix dans le collège « cadres et ingénieurs » où elle s’était écroulée il y a dix ans. Une démarche bien engagée.

Édition 026 de fin février 2023 [Sommaire]

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La CGT progresse aux dernières élections, y compris dans le collège cadres : 47 % dans le 3e collège à Thalès DMS Sophia-Antipolis. © Photo PQR / Nice matin / MaxPPP

«  Nous sommes la seule organisation à progresser en nombre de voix alors que la participation aux élections est en légère baisse  », se félicite Grégory Lewandowski, l’un des trois coordinateurs nationaux de la CGT Thalès. En ce début d’année, autour de 70  % des 40 000 salariés du groupe en France avaient déjà été convoqués aux urnes et selon les résultats partiel, la CGT atteindrait environ 9,5  % des suffrages chez les cadres et, à l’échelle des trois collèges, un peu plus de 16  %, soit un bond de presque 4 points par rapport au dernier round électoral. Deux sites en particulier font office d’excellents élèves, avec un score global dépassant les 50  %  : Etrelles (35) et Sophia Antipolis (06), deux des six établissements de Thalès DMS (pour «  Défense mission system  »). «  Nous avons obtenu au total 50,5  % des voix aux dernières élections et surtout 47  % dans le troisième collège. C’est un score assez exceptionnel pour la CGT chez les cadres  », se félicite Mathieu, secrétaire du CSE de Sophia-Antipolis. Ici, 750 salariés, hors sous-traitant et intérimaires, conçoivent des sonars pour engins sous-marins.

Adapter l’activité et la communication à un auditoire méfiant

Comment expliquer ce succès  ? «  La CGT a toujours été reconnue, ici, comme le syndicat le plus combattif. Alors, pourquoi n’étions-nous pas majoritaires  ?, interroge Mathieu. Parce que nous avons un défaut de crédibilité. Nous sommes vus comme des brûleurs de pneus qui ne comprennent rien à l’économie et à la stratégie d’entreprise  ». Une image qu’avec ses camarades ils s’appliquent à effacer des têtes, depuis le début du précédent mandat. «  Notre outil principal a été le mail. Nous en envoyons en moyenne deux par semaine en soignant notre communication, explique-t-il. On évite les propos outranciers, les hyperboles. On laisse de côté – pour l’instant – des marqueurs CGT comme les 32 h qui passent encore pour irréalistes et, surtout, nous informons de manière très transparente sur les instances représentative  ». Un univers jusque-là réservé aux initiés. Pour autant, «  il ne s’agit pas d’abandonner la lutte  », insiste l’élu. Blocages de site, interruptions de séance, grève, … la CGT continue de se démarquer par son activité. «  Nous pouvons compter sur nos 55 syndiqués, explique Mathieu. Nous les réunissons tous les lundis pour relever le pouls de l’entreprise et prendre les décisions  ». Lorsque le syndicat organise des réunions d’information, 100 à 200 salariés qui y participent. Petit à petit, constate le syndicaliste, la culture syndicale change sur ce site.

Renouer avec les salariés, travailler à la réindustrialisation des territoires

A l’échelle nationale, la même dynamique est à l’œuvre. Si les tracts restent privilégiés sur le terrain, il fallait renforcer la communication numérique  : une plateforme internet réunit désormais les sites des syndicats CGT du groupe et la coordination nationale communique d’avantage par mail non seulement pour informer les salariés mais aussi les consulter à travers de vastes enquêtes (télétravail, nouvelle convention collective, etc). «  Nous cherchons aussi à passer plus de temps avec les salariés sur le terrain, ce que nous avions délaissé en nous laissant prendre au piège du calendrier patronal, ajoute Grégory Lewandowsky. Ça demande du temps mais ça paye  ». Le nombre d’adhérents dans le groupe est passé de 650 en 2017 à pratiquement 900 aujourd’hui.

Cette communication renforcée a un autre atout  : elle met enfin en lumière le travail de longue haleine initié il y a dix ans par la CGT au sein du groupe. Après le sauvetage de Trixell Thalès, un établissement spécialisé en radiologie médicale implanté à Moirans, dans l’Isère, la CGT a pris son bâton de pèlerin pour lui trouver de nouveaux débouchés. De cette action devrait naître Proxiimed, un centre de prototypage d’industrialisation d’équipements médicaux. Parallèlement, un projet de flash-thérapie contre le cancer est en réflexion avec l’Institut Curie. Objectif final  : pousser Thalès à ré-investir le champ médical, en France.

(Re)donner du sens en articulant industrie et environnement

« Nos compétences doivent pouvoir servir à autres choses qu’à envoyer des bombes dans le monde », confirme Stéphanie Gwizdak, alors que le groupe fonde plus de 50 % de son chiffre d’affaires sur les activités à destination militaire. Cheffe de produit à Thalès DIS (sécurité numérique) et déléguée CGT dans plusieurs instances, elle a initié avec le collectif « Environnement » CGT Thalès un nouveau projet dans le domaine environnemental. Rapidement, des premières rencontres ont lieu avec l’Office national des forêts (ONF), l’Institut national de recherches pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et des camarades issus des services départementaux d’incendie et de sécurité (SDIS). L’intuition est validée. Exosquelettes, vision infrarouge ,détection thermique, drones à longue portée, outils d’optimisation de l’eau… de nombreuses technologies « militaires » pourraient trouver des applications dans le civil. « Le défi est de pousser Thalès à créer une filière santé et environnement, avec des moyens pour la recherche », explique la déléguée CGT.

Sans parler des enjeux en matière d’emplois, de «  démilitarisation  » de l’économie ou encore de réindustrialisation du territoire auxquels elle répond, cette dynamique réinjecte une dose d’euphorie dans l’action syndicale. D’abord parce qu’elle valorise le travail collégial et transversal dans cet énorme groupe aux activités aussi variées que segmentées. Ensuite, témoigne Stéphanie Gwizdak, parce que «  le fait de se pencher sur des projets qui ne sont définis par les actionnaires mais par les salariés, dans un intérêt plus collectif, redonne du sens au travail. Et nos jeunes collègues en particulier y sont très sensibles  », insiste Stéphanie Gwizdak. De quoi être confiant en l’avenir.