Chronique juridique -
Temps de trajet des salariés itinérants = temps de travail effectif !
Dans un important arrêt faisant jurisprudence, la Cour de cassation modifie sa jurisprudence antérieure. En s’appuyant sur la jurisprudence européenne, la Cour décide que le temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et son premier client, puis entre son dernier client et son domicile peut, dans certains cas, constituer du temps de « travail effectif » et ainsi être pris en compte au titre des heures supplémentaires.
Un salarié itinérant (commercial) se rendait chez ses clients avec un véhicule mis à sa disposition par son employeur. Au cours de ses trajets automobiles, ce salarié exerçait des fonctions commerciales à l’aide de son téléphone professionnel en kit main libre. Une partie de ses communications téléphoniques professionnelles avaient lieu sur le chemin qui le menait de son domicile à son premier client puis de son dernier client à son domicile. Ce temps de trajet ne faisait pas l’objet d’une rémunération.
La procédure
Ce salarié itinérant a demandé le paiement d’un rappel de salaire à titre d’heures supplémentaires correspondant à ses temps de trajets de début et de fin de journée professionnelle.
La cour d’appel de Rennes, le 17 septembre 2020, a jugé que ces deux trajets correspondaient à du temps de « travail effectif » : l’employeur a donc été condamné au paiement d’un rappel de salaire (rappel d’heures supplémentaires) et de diverses sommes (au titre des congés payés y afférents et à l’indemnité légale forfaitaire pour travail dissimulé/dissimulation d’heures travaillées).
L’employeur a formé un pourvoi en cassation contre cette décision. La question posée dans l’affaire est la suivante : Le temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et son premier client, puis entre son dernier client et son domicile doit-il être pris en compte pour le paiement de son salaire et dans le décompte de ses heures supplémentaires ?
Les textes
Le Code du travail :
Art. L. 3121-4 : « Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire. »
Art. L. 3121-2 : « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. »
La directive européenne n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003
Celle-ci concerne certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (Luxembourg), dans son interprétation de la directive européenne sur le temps de travail (directive 2003/88/CE), pour analyser la situation et pour fonder juridiquement sa décision.
Pour la Cour de cassation, « eu égard à l’obligation d’interprétation des articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du Code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE, il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu’elle est fixée par l’article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L. 3121-4 du même code ».
Cette solution novatrice s’appuie sur l’analyse du « travail réel » du salarié : « La cour d’appel a constaté que le salarié, qui soutenait, sans être contredit sur ce point par l’employeur, qu’il devait en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre intégré dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de fixer des rendez-vous, d’appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens, exerçait des fonctions de « technico-commercial » itinérant, ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l’entreprise pour l’exercice de sa prestation de travail et disposait d’un véhicule de société pour intervenir auprès des clients de l’entreprise répartis sur sept départements du Grand Ouest éloignés de son domicile, ce qui le conduisait, parfois, à la fin d’une journée de déplacement professionnel, à réserver une chambre d’hôtel afin de pourvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées. »
La cour d’appel « a ainsi fait ressortir que, pendant les temps de trajet ou de déplacement entre son domicile et les premier et dernier clients, le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles » (cf. supra art. L. 3121-2).
La cour d’appel « a décidé à bon droit que ces temps devaient être intégrés dans son temps de travail effectif et rémunérés comme tel ».
La Cour de cassation approuve ainsi la Cour d’appel et rejette le pourvoi de l’employeur. La condamnation de l’employeur au paiement de diverses sommes, notamment d’un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires, est donc confirmée.
Tenant compte du droit de l’Union européenne, la Cour de cassation prend désormais en compte les contraintes professionnelles auxquelles les salariés sont concrètement soumis pour déterminer si le temps de trajet des travailleurs itinérants constitue ou non un temps de « travail effectif » (Soc. 23 novembre 2022, Sas Decayeux).
Bibliographie : Michel Miné, Droit du travail en pratique, 31e édition, 2022-2023, Eyrolles, collection Le grand livre, 852 p., 39,90 euros.
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