La main de Nicolas Poussin était aussi guidée par l’amour

Le musée des Beaux-Arts de Lyon prouve, tableaux et dessins à l’appui, que le maître, réputé sévère, de la peinture française du XVIIe siècle, sut également faire la part belle à Éros.

Édition 021 de mi-décembre 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Vénus endormie surprise par des satyres, Nicolas Poussin. (vers 1626), huile sur toile, 100,5 × 122,8 cm, Zurich, Kunsthaus (© KUNSTHAUS ZURICH)
Le musée des Beaux-Arts de Lyon prouve, tableaux et dessins à l’appui, que le maître, réputé sévère, de la peinture française du XVIIe siècle, sut également faire la part belle à Éros.
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Vénus endormie surprise par des satyres, Nicolas Poussin. (vers 1626), huile sur toile, 100,5 × 122,8 cm, Zurich, Kunsthaus (© KUNSTHAUS ZURICH)

Le musée des Beaux-Arts de Lyon organise une exposition intitulée «  Poussin et l’Amour  ». À première vue, c’est d’autant plus troublant que Nicolas Poussin (1594-1665), maître incontesté du classicisme français, est généralement catalogué comme peintre-philosophe, et à ce titre enclin à traiter d’austères sujets religieux, fussent-ils inspirés par l’Antiquité et la pensée stoïcienne que Poussin, retrouvait notamment dans les Essais Montaigne dont il était un fervent lecteur.

«  Qui sait aujourd’hui, écrivent les organisateurs de l’exposition, qu’il s’est également adonné au pur plaisir de peindre, en déployant une iconographie des plus licencieuses, et que certains de ses tableaux ont été jugés si érotiques qu’ils ont été mutilés, découpés, voire détruits, dès le XVIIe siècle  ?  »

Le musée entend aussi mettre à l’honneur l’acquisition, en 2016, de La Mort de Chioné, comme ce fut le cas en 2008 lors de l’exposition qui faisant écho à celle, en 2007, de La Fuite en Égypte. On n’ignore pas que Poussin séjourna à maintes reprises à Lyon, étant lié à la ville par un solide réseau de relations amicales et commerciales, ne serait-ce qu’avec le soyeux lyonnais Silvio I Reynon, pour lequel, justement, il peignit La Mort de Chioné, vers 1622, lors d’un séjour dans la ville.

Lecteur des Métamorphoses, d’Ovide

Quelque quarante peintures et dessins de l’artiste figurent dans l’exposition, articulée en cinq sections «  parlantes  »  : «  Le souffle de l’inspiration  », «  Corps désirés  », «  L’ivresse dionysiaque  », «  Amour et mort  » et «  Omnia vincit amor et nos cedamus amori  » (un vers de Virgile qui signifie «  L’amour triomphe de tout, et nous-mêmes succombons à l’amour  »). Il est donc question d’un Nicolas Poussin «  méconnu, sensuel, séducteur et séduisant  ». On estime que la lecture des Métamorphoses, d’Ovide, ne fut pas pour rien dans son inspiration artistique. Avant même sa première installation à Rome, en 1624, il avait puisé dans ce vaste répertoire de fables amoureuses. En témoignent sans conteste ses plus anciens dessins connus, conservés jadis dans l’album du cardinal Massimi, aujourd’hui dans les collections de la couronne britannique, sans omettre La Mort de Chioné, en effet, qui offre au regard la pure et simple nudité de l’héroïne.

Sont montrées crûment les successives phases du désir

Au chapitre «  Corps désirés  », on s’attache à l’anatomie du corps féminin. La composition est le plus souvent ordonnée autour d’un grand nu, offert aux yeux au premier plan de la toile. C’est notamment le cas, entre autres exemples, dans Nymphe et satyre buvant (1627), Midas devant Bacchus (1630), ou encore Nymphe endormie surprise par des satyres (1626).Dans ce tableau sont montrées crûment les successives phases du désir  : le regard d’un peu loin, l’approche puis le geste de dévoilement du corps de la femme assoupie.

Nicolas Poussin, La Mort de Chioné (vers 1622), huile sur toile 109,5 × 159,5 cm, musée des Beaux-Arts de Lyon (© LYON MBA-PHOTO ALAIN BASSET).

Le lien tragique unissant l’amour et la mort – celle-ci apparaissant comme le double funeste de celui-là – est manifeste dans de nombreuses œuvres. La fin de l’exposition est vouée au triomphe de l’Amour qui, dans la tradition antique, demeure la force suprême qui assure la cohésion du monde et l’emporte sur les dieux et les hommes. L’Amour peut donc soumettre les plus hautes puissances, les dieux Mars et Apollon eux-mêmes. Il permet ainsi la régénération périodique du monde. N’est-ce pas là le thème de l’ultime tableau de Nicolas Poussin, Apollon amoureux de Daphné, au Louvre  ?

Dans la foulée, pour ainsi dire, le musée des Beaux-Arts de Lyon propose, sous le titre «  Picasso/Poussin/Bacchanales  » une exposition-dossier autour de l’héritage de Poussin dans l’imaginaire érotique de Picasso, des années 1930 jusqu’à la fin des années 1960 et, plus particulièrement, en 1944, lorsqu’il peint, sous l’Occupation, Les Bacchanales, qui est comme une réinterprétation du Triomphe de Pan (1636). Picasso s’est éteint il y a cinquante ans. Cinquante expositions et événements sont prévus l’an prochain, en Europe et en Amérique du Nord, pour le célébrer.

Jean-Pierre Léonardini