Notre-Dame : un silence de plomb

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La mobilisation syndicale et associative a imposé une prise en compte, encore insuffisante, du désastre sanitaire. Bilan provisoire.

C’est grâce à la mobilisation associative et syndicale, et sous pression médiatique, que les pouvoirs publics ont divulgué quelques informations, fermé provisoirement le chantier et entrepris un nettoyage superficiel des trottoirs autour de Notre-Dame. « En minimisant l’information sur cette pollution majeure au plomb et sur ses risques, les pouvoirs publics ont créé un sentiment d’angoisse permanent chez les travailleurs, les riverains et les parents des enfants scolarisées dans le périmètre le plus touché. » C’est en ces termes qu’Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé et présidente de l’Association Henri Pézérat (du nom du premier lanceur d’alerte sur l’amiante), a rappelé les circonstances de la réunion publique du 30 septembre à la bourse du travail de Paris.

Des dizaines de personnes avaient répondu à l’invitation du collectif créé après l’incendie de Notre-Dame, le 15 avril, dont les membres les plus mobilisés sont également la Cgt parisienne, la Fsu et l’Association des familles victimes du saturnisme. Il y avait là des groupes de parents d’enfants ayant pour certains déjà effectué des « plombémies » (dépistage dans le sang) avec des résultats inquiétants, des personnels de la petite enfance, des pompiers, des salariés de la voirie, du nettoyage, de la construction, des cheminots de la station de Rer Saint-Michel, des riverains.

Déficit de transparence, de protection, de suivi médical

Au moins 400 tonnes de plomb ont fondu et se sont en partie disséminées dans le nuage de fumée emporté par le vent – c’est quatre fois la quantité émise chaque année en France de ce métal dangereux même à faible taux. Des analyses témoignent que les poussières de plomb sont toujours présentes dans la zone polluée, au sud-ouest de Notre-Dame et jusque dans les Yvelines, déplacées par les piétons et les voitures, faute de nettoyage sérieux et récurrent. Le collectif s’en est alarmé dès le printemps et a été partiellement entendu après l’action du 5 août sur le parvis de la cathédrale. Le chantier a alors été fermé quelques jours et le nettoyage de certaines écoles entrepris. Mais rien n’a été décidé sur le long terme par les pouvoirs publics, la mairie de Paris ou les employeurs du secteur pour protéger les salariés et les riverains de l’île de la Cité et du Quartier latin.

Le déni persiste, comme en ont témoigné les intéressés, constatant, trois jours après l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, que les discours rassurants étaient là encore le seul outil de gestion de crise utilisé par les responsables de la santé publique : l’Ars a estimé que les évaluations alarmantes – on mesure jusqu’à 20 fois les taux habituels – n’étaient pas forcément en lien direct avec l’incendie, et le rectorat de Paris a assuré aux familles et aux enseignants que tout allait bien !

Les cheminots de la gare Rer de Saint-Michel ont lancé un droit d’alerte

« Ceux qui ont travaillé ou travaillent dans la zone – parmi lesquels des intérimaires ou des prestataires de services encore plus précaires – ne font l’objet d’aucune protection prenant en compte le nouveau contexte dans lequel ils interviennent, en infraction avec le Code du travail », souligne Benoît Martin, secrétaire général de l’Ud Cgt de Paris. Les cheminots de la gare Rer de Saint-Michel ont lancé un droit d’alerte et obtenu la fermeture d’un des accès aux quais ; les personnels de la petite enfance ont été invités à utiliser des surchaussures mais ont obtenu la tenue d’un Chs exceptionnel le 16 octobre. Et les seuls qui bénéficient d’un suivi médical le doivent à leur propre initiative…

Le temps suffira-t-il à dissiper la poussière, les inquiétudes et la défiance des personnes contaminées et toujours exposées ? Le plomb peut certes ne révéler ses effets qu’au bout de trente ans. Le collectif n’en exige pas moins des pouvoirs publics qu’ils prennent enfin leurs responsabilités. Que des relevés des taux de pollution soient faits régulièrement et rendus publics, que le chantier de Notre-Dame soit confiné et non ouvert à tous les vents, et que les travailleurs et riverains exposés à ces risques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques soient protégés. Qu’un protocole de suivi médical soit instauré.

Le collectif bénéficie du soutien de chercheurs et de médecins de l’hôpital Mount Sinai de New York, qui a mis en place ce dispositif après les attentats du World Trade Center. Il demande la création officielle d’un centre gratuit de dépistage et de suivi à l’Hôtel-Dieu, où une équipe essaie déjà de centraliser les données.

Valérie Géraud

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