Femmes : plus fragiles ou plus fragilisées ?

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Photo : Maxppp
L’exposition des femmes aux risques professionnels fait l’objet de moins d’attention que celle des hommes, alors que le travail pèse de plus en plus sur leur santé. Cela interroge leur place dans les organisations du travail et dans l’entreprise. Le point de vue de Florence Chappert, responsable du projet « Genre, égalité, santé et conditions de travail » à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

Depuis 2009, l’Anact prend en compte la différenciation des situations et des vécus au travail dans ses études. Jusqu’alors, l’indifférenciation des sexes était la norme, l’égalité de traitement étant censée protéger les femmes contre toute discrimination. Nous avons fait l’hypothèse qu’il serait pertinent d’intégrer ce paramètre à nos méthodes, d’autant que certaines entreprises constataient des réalités différenciées entre hommes et femmes sans pouvoir toujours en analyser les causes.

Les enquêtes menées par la Dares ou la Cnam ont confirmé des faits qui restaient sous-estimés. Par exemple, les accidents de travail dans le secteur privé ont baissé de 16 % entre 2000 et 2014, mais ils ont baissé de 29 % chez les hommes et augmenté d’autant chez les femmes, pourtant censées exercer des métiers moins exposés aux risques ! Les femmes sont également plus souvent absentes (30 à 40 % plus que les hommes), pas à cause de pathologies liées à leurs grossesses, ou de leurs enfants, mais plus souvent du fait de leur poste ou de leur place dans les organisations du travail.

Une forte usure professionnelle

La prédominance des femmes dans des métiers, des secteurs ou des entreprises où elles occupent des emplois plus précaires et moins valorisants les fragilise et accentue les inégalités d’exposition aux risques pour leur santé. Elles n’ont par exemple pas les mêmes déroulements de carrière et restent longtemps aux mêmes postes, ce qui génère une forte usure professionnelle. Les gestes et activités répétitifs provoquent à la fois des troubles musculo-squelettiques et une souffrance psychologique importante. Outre le cumul avec les activités domestiques, qui reste une réalité, elles sont en première ligne dans des postes où elles doivent gérer un travail morcelé, où elles sont souvent interrompues, sommées de répondre à des situations d’urgence, en tension avec les collègues, les usagers, les élèves, les patients, voire exposées à des agents biologiques – dans l’industrie, la santé et le social, l’agroalimentaire, le commerce et l’hôtellerie.

Elles sont aussi davantage exposées aux risques psychosociaux – burn-out, dépression – parce que face à de plus grandes exigences de la part de leur hiérarchie, mais avec moins d’autonomie que les hommes, et moins de reconnaissance pour leurs qualifications et leur travail. Sans oublier le dénigrement, le sexisme voire le harcèlement, parfois encore intériorisés comme intangibles.

« Impact différencié à l’exposition des risques » en fonction du sexe

Depuis la loi de 2014 sur l’égalité professionnelle, les employeurs ont obligation de faire état de l’« impact différencié à l’exposition des risques » en fonction du sexe. Mais cela ne signifie pas que les femmes seront mieux protégées puisque les médecins du travail pourront ne rencontrer que les salariés occupant des emplois dont les risques sont les plus visibles.

Pour les femmes occupant des postes de responsabilité, la question du temps disponible et de la légitimité reste un obstacle et les dissuade souvent de postuler à des promotions. Les enquêtes montrent pourtant qu’elles ne travaillent pas moins que les hommes, et même qu’elles se sentent plutôt obligées d’en faire davantage pour se sentir compétentes et être reconnues.

Nous sommes par exemple intervenus dans un bureau d’études où les femmes ingénieurs étaient particulièrement épuisées. L’employeur ne se rendait pas compte qu’elles prenaient en charge un plus grand nombre de dossiers et de projets que les hommes… parce qu’elles faisaient tout de même en sorte de quitter le travail plus tôt qu’eux ! Quand les femmes revendiquent un autre fonctionnement de l’entreprise pour pouvoir exercer des responsabilités, les hommes sont également soulagés de se donner le droit de travailler autrement et de partir plus tôt.

Au-delà du diagnostic, nous essayons de pousser les entreprises à prendre en compte ces situations pour améliorer les organisations du travail. Nous voulons porter des solutions inclusives pour tous les salariés, encourager les femmes à dépasser leurs barrières mentales pour oser prendre des responsabilités sans le payer de leur santé. Et inciter les hommes, les managers, les directions, à mettre en place un autre rapport au travail.

Propos recueillis par Valérie Géraud

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