Édition 058 - mi-octobre 2024

L'ÉDITORIAL

Vu d’Europe — Pour une initiative législative sur les risques psychosociaux

À Bruxelles, le compte à rebours a commencé pour les auditions de confirmation des commissaires européens désignés. Après la réélection d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission, la formation des commissions parlementaires et l’attribution des postes de la Commission, les députés pourront, dès la semaine prochaine, interroger les candidats lors d’auditions publiques.

Cela semble transparent, n’est-ce pas ? Eh bien, ce n’est pas le cas. En effet, les documents nécessaires pour détecter d’éventuels conflits d’intérêts n’ont pas été rendus publics, tandis que leur audition par la commission des Affaires juridiques du Parlement s’est déroulée à huis clos. Par ailleurs, les groupes politiques européens transmettront aux candidats certaines des questions avant que les députés ne votent sur leur candidature. Pour couronner le tout, beaucoup survivront à ces votes. En raison d’accords politiques entre les groupes d’une part ; en raison de l’urgence, d’autre part, à faire fonctionner la Commission. Malgré cela, les députés auront l’occasion d’exprimer leurs frustrations et de demander des comptes aux candidats.

Un appel de 46 organisations de la société civile

En attendant, le mois qui s’achève a été marqué par plusieurs initiatives.

Le 10 octobre, c’était la Journée mondiale de la santé mentale, un évènement annuel qui a donné lieu à un débat en plénière au Parlement européen. Eurocadres avait déjà écrit à Roxana Mînzatu, commissaire en charge des Compétences, de l’Éducation, des Emplois de qualité et des Droits sociaux pour attirer l’attention sur cette journée mondiale. Ce même jour, nous nous sommes joints à 45 autres organisations de la société civile pour demander à la Commission de proposer une initiative législative sur les risques psychosociaux et le bien-être au travail. L’appel complet est disponible ici.

Au cours du débat, cependant, de nombreux députés ont noté avec frustration que la discussion annuelle sur la santé mentale se déroulait sans action concrète. Dans tous les grands groupes politiques, à savoir la Gauche, le S&D, les Verts, Renew et le Ppe, la nécessité d’agir contre les problèmes de santé mentale causés par l’organisation du travail était évidente. Concrètement, les députés ont appelé à une directive sur les risques psychosociaux liés au travail, à des activités basées sur la prévention dans le cadre d’une stratégie européenne, avec des indicateurs et des échéanciers pour évaluer l’efficacité des futurs efforts paneuropéens.

En rupture avec les débats précédents, la nécessité d’une intervention au niveau européen n’a pas été contestée une seule fois, les députés de plusieurs partis étant d’accord sur le fait que les mesures prises ne sont pas suffisantes et qu’une protection uniforme est nécessaire dans tous les États membres.

Des moyens pour l’inspection du travail

Appelant explicitement à une directive sur les risques psychosociaux liés au travail, la députée belge Estelle Ceulemans (S&D) a souligné que l’augmentation de l’insécurité des travailleurs, l’épuisement professionnel et la pression au travail devaient être pris en compte dans l’action européenne. La Luxembourgeoise Tilly Metz (Verts) a fait écho à ce point de vue, soulignant que les conditions de travail précaires, et pas seulement la précarité de l’emploi, méritaient une attention particulière. La tendance à se concentrer sur le lieu de travail a été partagée par plusieurs autres députés (Catarina Martins, Dennis Radtke, Alex Saliba, Tomislav Sokol et Marc Angel…), le Suédois Johan Danielsson (S&D) mettant l’accent sur la nécessité de se prémunir contre la violence et le harcèlement au travail.

L’eurodéputé français et camarade Antony Smith a souligné à juste titre la nécessité de disposer d’inspections du travail financées et fonctionnelles, l’obligation des employeurs de protéger la santé mentale restant souvent théorique. En tant qu’ancien inspecteur du travail, Anthony Smith travaillera avec Eurocadres et la Fédération européenne des services publics (Epsu) dans les mois à venir pour garantir que les inspections reçoivent les outils dont elles ont besoin pour protéger les travailleurs et pour que l’épuisement professionnel soit reconnu comme une maladie professionnelle dans toute l’Ue.

En conclusion, le vice-président Schinas a réitéré l’impulsion donnée par un certain nombre d’initiatives de la Commission, tout en concédant la nécessité de s’attaquer à la santé mentale sur le lieu de travail. Après des années de pression, nous espérons que les syndicats et les députés européens ne se répèteront pas l’année prochaine, à la même époque.

Harcèlement sexuel sur le lieu de travail

Les députés ont également débattu, à Strasbourg, de la « nécessité de lutter contre le problème systémique de la violence fondée sur le genre en Europe », après que le Conseil, porté par les souhaits des gouvernements allemand et français, n’a pas réussi à trouver un compromis sur l’article 5 de la proposition de directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence conjugale.

Le débat s’est naturellement centré sur la nécessité de mesures similaires à l’article 5 (criminalisation du viol basé sur le non-consentement), avec la Suédoise Evin Incir (S&D) et la Française Manon Aubry (Gauche) appelant toutes deux à une législation sur le viol fondée sur le non-consentement.

Corapporteuse, Evin Incir a noté que 55 % des femmes ont été victimes de harcèlement sexuel, dont près de la moitié sur le lieu de travail. Dans notre évaluation initiale, nos amendements et nos discussions avec les parties prenantes, Eurocadres a noté que la directive manquait d’une dimension claire sur le travail, obtenant par la suite des concessions qui profiteraient aux travailleurs. Malheureusement, en plus de supprimer les articles fondés sur le consentement, le Conseil a voté pour laisser les travailleuses dans l’insécurité une fois de plus.

Ce fut un jour sans fin pour les progressistes du Parlement, exigeant davantage d’actions. Les députés d’extrême droite ont utilisé le débat pour colporter de faux récits sur la migration, tandis que ceux qui sont en faveur du soutien aux travailleurs attendent d’autres initiatives de la Commission lorsque le collège sera constitué.