Platines – Le prince des ténèbres

Doit-on distinguer l’homme de l’œuvre ? La question s’est peut-être posée pour Carlo Gesualdo, mais on peut penser que son titre de prince de Venosa lui permit d’échapper aux foudres de la justice. Né à Naples vers 1560, Carlo Gesualdo connut une vie d’excès qui le conduisit à tuer sa première épouse par jalousie et à étouffer son fils, doutant de sa légitimité. 

Remarié, sa nouvelle union fut tout aussi tumultueuse, mais sa nouvelle épouse refusa le divorce et le convainquit de se tourner vers la religion et la musique sacrée. Cela exacerba peut-être un goût déjà prononcé pour la flagellation. Mais c’est dans le madrigal – dont il publia six recueils – que Gesualdo laissa sa plus forte empreinte. Le quatrième volume, en particulier, qui contient quinze pièces composées sur des poèmes pour la plupart anonymes, représente un tournant stylistique. Il y expérimente un langage novateur, audacieux, comme libéré de toute contrainte, quasi expérimental, distillant une atmosphère presque hallucinée. La poétique musicale est faite de hardiesses harmoniques, de modulations, de dissonances  ; les notes épousent chaque mot, accent et soupir pour traduire le désir, la douleur, l’abandon, l’amour et la mort, indissociables.

Créé en 1970, le Collegium Vocale Gent restitue à merveille l’étrangeté de cette musique. Chaque voix a une fonction précise. L’équilibre procède de la minutie et de cet art du cisèlement qui font de Philippe Herreweghe, qui a révolutionné l’interprétation des cantates de Bach, l’un des plus grands chefs au monde.

Ulysse Long-Hun-Nam 

• Collegium Vocale Gent, Philippe Herreweghe (dir.), Gesualdo. Silenzio moi, 1 Cd Phi, 18 euros.