IA : émergence d’un thème de négociation

Ni obligatoire, ni courante, la négociation sur les nouvelles technologies liées à l’intelligence artificielle se concentre essentiellement sur les enjeux d’emploi. C’est ce que montre l’analyse des accords d’entreprises mentionnant le thème de l’IA conclus entre 2017 et 2024.

Édition 058 de mi-octobre 2024 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Entre 2018 et 2023, la proportion d’accords d’entreprises mentionnant l’IA a été multipliée par 2,5. © Huang Bohan / Xinhua News Agency / Newscom / MaxPPP

Dans les négociations, «  le sujet reste encore marginal  »  : en posant ce constat, les chercheurs Nathalie Greenan, Silvia Napolitano et Justin Pillosio (1), commencent par remettre l’intelligence artificielle à sa juste place. En dépit de la rapide diffusion des IA génératives depuis l’introduction de ChatGpt en 2022, un peu moins de 1 accord d’entreprise sur 1 000 y fait référence sur les sept années écoulées. Cette proportion, pour le moins modeste, révèle sans doute une difficulté à négocier sur ce sujet, faute notamment de militants formés et d’informations précises sur les projets d’introduction des nouvelles technologies. Il n’empêche  : l’analyse des trois chercheurs fait apparaître un net contraste entre l’importante médiatisation des outils d’IA et le caractère marginal des négociations menées dans les entreprises.

Du moins jusqu’à présent. Car, même limitées, ces négociations sont en essor. Entre 2018 et 2023, la proportion d’accords d’entreprises qui mentionnent l’IA a été multipliée par 2,5. «  Mentionnent  » est le juste mot  : l’introduction et l’utilisation des nouvelles technologies n’étant pas en tant que telles un objet de concertation obligatoire, c’est dans toute la diversité des accords conclus qu’il faut en chercher la trace. Soit dans le maquis de 285 421 textes publiés sur le site Légifrance jusqu’au 9 avril 2024 (2). 

C’est à partir de cette immense base de données qu’un travail de repérage a pu être réalisé, selon une méthodologie basée sur des techniques d’analyse textuelle et de mots clés («  deap learning  », «  apprentissage profond  », «  chatbot  »…). Plus globalement, ce travail s’inscrit dans le cadre du projet Bridges 5.0, dont l’objet est d’étudier l’impact des transitions digitale et écologique sur le travail et la structure de l’emploi en Europe.

IA et négociations  : où est le travail  ?

Que révèlent ces accords  ? Ils couvrent, d’abord, une grande variété de secteurs d’activité même si, sans surprise, certains sont surreprésentés. Le secteur de l’information et de la communication – qui regroupe l’édition, les services d’information, la production audiovisuelle et, surtout, les sociétés d’informatique – pèse à lui seul un quart des accords. Le secteur de la finance et des assurances est particulièrement confronté à l’utilisation d’agents conversationnels et à des menaces, plus immédiates qu’ailleurs, sur l’emploi. Dans une moindre mesure, les transports et l’industrie manufacturière sont également concernés avec, pour cette dernière, des besoins exprimés notamment en termes de formation des travailleurs.

Ces accords, ensuite, donnent la priorité à la question de l’emploi. Plus de 34  % de ceux qui font référence à l’IA traitent en effet de cette thématique ce qui, pour les chercheurs, «  reflète les inquiétudes et les interrogations concernant la préservation des emplois dans un contexte de transition digitale  ». Les informations venues des États-Unis, de ce point de vue, ne sont pas rassurantes  : selon Le Monde, après 165 000 licenciements en 2022, 264 000 sont encore intervenus dans le secteur des technologies en 2023.

Troisième enseignement, enfin, cette priorité donnée à l’emploi va de pair avec un intérêt moindre pour les questions de travail, et plus globalement, d’activité, en lien avec les enjeux de santé et de télétravail. Ces enjeux sont «  effectivement minoritaires  », présents dans à peine 11  % des accords d’entreprises. Trois accords innovants ont toutefois été repérés sur l’insertion des travailleurs handicapés, et 24 sur le télétravail, avec la garantie que les télétravailleurs ne seront pas surveillés par des outils d’IA. C’est peu  : «  Il est crucial d’élargir le dialogue aux transformations du travail induites par l’IA, préviennent les chercheurs. Cette perspective plus large permettrait d’orienter son utilisation vers l’amélioration des conditions de travail et une meilleure adaptation aux besoins des travailleurs, avec des effets bénéfiques à long terme sur l’emploi.  » Pour venir en appui, et non en substitution, du travail humain.

Christine Labbe

  1. Nathalie Greenan, Silvia Napolitano et Justin Pillosio, «  IA dans les entreprises  : que révèlent les accords négociés  ?  », Connaissance de l’emploi n°200, Ceet/Cnam, octobre 2024.
  2. Ce travail a permis de repérer un total de 242 accords d’entreprises signés par 160 organisations.