Cse : au bonheur des directions ?

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Photo : Laurence Mouton/AltoPres/Maxppp
Dans la plupart des entreprises, la fusion des instances représentatives du personnel (Chsct, DP, CE) au sein du comité social et économique se traduit par une réduction des moyens, en nombre d’élus et en heures  de décharge.

Au 1er janvier 2020, le comité social et économique (Cse) aura remplacé toutes les instances représentatives du personnel existant dans les entreprises d’au moins onze salariés. Au 31 mars 2019, 23 700 Cse avaient été officiellement installés, 65 % d’entre eux l’ayant été dans des entreprises de moins de 50 salariés.

Si, à trois mois de l’échéance, plus de la moitié des entreprises concernées en sont encore dépourvues, c’est dans une étude financée par la Dares, à la demande du comité d’évaluation des ordonnances, que l’on trouve les premiers éléments d’un bilan qualitatif. La fusion des instances s’accompagne d’une réduction des moyens, d’une perte de proximité, d’une intensification et d’une plus grande complexité du travail des élus, d’un risque d’« embolisation du Cse, c’est-à-dire une saturation en temps et en qualité des réunions »… Ce premier retour d’expériences valide les craintes exprimées, depuis 2017, par les organisations syndicales.

Photo : Philippe Turpin/Beneluxpix/Maxppp

Chez Lcl, la mise en place des Cse s’est traduite, comme dans la plupart des entreprises, par une réduction des moyens, en nombre d’élus et en heures : « Dans un contexte de climat social très dégradé, nous avons perdu environ trois quarts des moyens. L’accord est a minima, très proche des obligations du Code du travail », souligne Vincent Chaudat, coordinateur syndical national Cgt. Plusieurs problématiques émergent logiquement de cette nouvelle situation, en particulier celles de la proximité : comment garder le contact avec le terrain quand les instances sont concentrées et les moyens réduits ? « Les directions se placent dans une logique de rationalisation », souligne l’étude qualitative, en utilisant notamment la possibilité de revoir les périmètres de la représentation du personnel.

Une logique de « rationalisation » des moyens

C’est le choix fait par le Crédit lyonnais avec 10 Cse, dont trois en Île-de-France, pour 1 700 implantations sur tout le territoire. « Le Cse “Ouest” s’étend de la Normandie à Montargis, dans le Loiret, en passant par Poitiers. Les élus sont là où ils peuvent. Le contact avec le terrain ne pourrait être assuré que par des représentations de proximité », souligne Vincent Chaudat. Or l’accord n’en prévoit pas. La Cgt, qui a perdu sa représentativité nationale lors des dernières élections, n’est plus présente partout. Au Cse central, qui totalise 25 élus, elle compte deux élus et un élu de la Cgt-Guadeloupe.

Cette logique de « rationalisation » et de « concentration » entraîne de nouvelles charges pour les élus : « Ils ont pris la mesure que celles-ci, souvent, les dépassent », témoigne Vincent Chaudat. Qui alerte également sur la situation de ceux qui ont perdu leur mandat : ils sont une vingtaine, dont quinze posent problème. Deux accords de groupe ont été conclus en mars 2019, l’un sur l’accompagnement professionnel des salariés quittant leur mandat de représentant du personnel, l’autre relatif au parcours des représentants du personnel. « Mais leur application se heurte au peu d’empressement à valoriser et à reconnaître les compétences acquises au cours des mandats et au contexte général, très dégradé, du secteur bancaire : certains métiers ont disparu et les postes potentiellement ouverts au reclassement se raréfient. » Les modalités d’accompagnement des salariés quittant leur mandat sont ainsi un des motifs d’inquiétude pointés par l’étude qualitative qui qualifie de « timide » l’approche des ordonnances sur le sujet.

Quand tout est négociable, les directions s’engouffrent dans les brèches

La situation est plus contrastée chez Edf Renouvelables, filiale d’Edf. Présente dans une vingtaine de pays, l’entreprise compte quelque 3 500 salariés, dont 75 % de cadres. C’est à l’issue de quatorze réunions qu’un accord a été conclu sur la mise en place du Cse ; « insuffisant » pour la Cgt, non signataire, au motif notamment de la réduction des moyens alloués aux expertises. « Tout était négociable, souligne ainsi Laurent Smagghe, élu au comité d’entreprise européen d’Edf et représentant syndical Cgt au Cse d’Edf Renouvelables. Et dans un contexte de réorganisation permanente, la direction s’est engouffrée dans la brèche en portant notamment à trois ans, sauf en cas de rupture de la stratégie de l’entreprise, le rythme de l’expertise sur les orientations stratégiques auparavant annuelle. » Mais il note un point positif : tout en étant une entreprise multi-établissements, elle possédait déjà, de manière dérogatoire, un seul comité d’entreprise. Cela a facilité l’installation du Cse à l’Unité économique et sociale qui compte davantage d’élus : 16 sièges (4 Etam et 12 cadres) au lieu de 7 pour le Ce ; la Cgt en totalise 6, ce qui lui donne une majorité relative.

LES salariés ont décidé d’agir, obligeant la direction à dialoguer et, finalement, à accepter plusieurs avancées, parmi lesquelles la présence de six suppléants aux réunions, un crédit d’heures de délégation supérieur au contingent prévu par la loi ou le financement à 100 % de la première expertise par la direction.

C’est en effet dans un contexte de forte progression de la Cgt aux élections qu’a été installé le Cse, dont la première séance s’est tenue en mars. Alors qu’en 2013, une seule candidate était élue Cgt au comité d’entreprise avec une représentativité de l’ordre de 11 %, cette représentativité atteint 29,9 % aux élections Ce-Dp de 2017, puis 33,4 % aux élections Cse de février 2019. La Cgt est alors en capacité de présenter, à ces élections, 20 candidats dont 13 cadres. « Une grande victoire », se félicite Laurent Smagghe.

Mais les premiers mois de fonctionnement du Cse mettent en évidence plusieurs difficultés corroborant les conclusions de l’étude qualitative. D’abord une charge accrue pour les élus, certes plus nombreux mais dotés de moins d’heures pour assurer leur triple mandat. Les suppléants qui, au sein du Ce, assistaient aux réunions et prenaient part aux discussions même en présence des titulaires, ne siègent plus. Deuxième problème : les réunions du Cse se transforment en grandes assemblées traitant une multitude de sujets, souvent survolés, renvoyés dans des commissions privées de moyens et de pouvoirs. « Ces réunions s’apparentent désormais à des grands-messes où se joue un simulacre d’information et de concertation. »

On peut gagner des moyens supplémentaires, avec les salariés

Les commissions, justement. Leur fonctionnement pose aussi problème, en particulier celle concernant la santé, la sécurité et les conditions de travail (Cssct) : organisées par risque (risque sédentaire par exemple) et non plus par activité (off-shore, exploitation et maintenance…), elles sont structurées de manière à éloigner les salariés de leurs représentants. « C’est une bouteille à l’encre, les salariés ne savent plus à qui s’adresser. Les Chsct, au sein desquels nous avions des outils pour agir, étaient la bête noire de la direction. Elle a trouvé là le moyen de paralyser l’action des élus en matière de santé-sécurité », souligne encore le représentant Cgt. Et si l’accord met en place une dizaine de représentants de proximité, ils sont « recentralisés » dans une seule commission baptisée Territoires. « Avec les lois Rebsamen et El Khomri, puis les ordonnances Macron de 2017, la direction s’est sentie pousser des ailes et a durci les conditions du dialogue social, explique Laurent Smagghe. Le Cse est une étape supplémentaire visant à accélérer l’affaiblissement du contre-pouvoir exercé par les syndicats mais heureusement les salariés ne sont pas tous dupes. »

En mai 2014, le licenciement abusif d’Olivier Hanquier, chef de l’édition de Beauvais du Courrier Picard,
a révolté les salariés, dont 85 % ont fait grève en solidarité. Hanquier s’était emporté face à une membre
du Chsct qui lui faisait remarquer qu’un frigo était sale, alors que l’insalubrité de l’agence de Beauvais
avait précédemment été dénoncée au comité d’entreprise.
Photo : Le Courrier picard/Photopqr

C’est le cas chez Montabert (métallurgie, 468 salariés), à Saint-Priest, dans le Rhône. Il a fallu une grève portant sur les modalités de mise en place du Cse pour que soit conclu, en juin, un accord cosigné par la Cgt, la Cfdt et la Cfe-Cgc. Après plusieurs mois de négociation en effet, la direction avait mis fin au dialogue, prétendant appliquer le minimum légal. « Par six fois, entre le 5 mars et le 15 avril, expliquent les représentants de l’intersyndicale, les syndicats l’ont sollicitée pour poursuivre les discussions et réintroduire le dialogue » dans l’intérêt de l’entreprise. En vain. Réunis en assemblée générale en avril, une centaine de salariés ont décidé d’agir, obligeant la direction à dialoguer et, finalement, à accepter plusieurs avancées, parmi lesquelles la présence de six suppléants aux réunions, un crédit d’heures de délégation supérieur au contingent prévu par la loi ou le financement à 100 % de la première expertise par la direction. L’objectif a donc été doublement atteint, se félicite l’intersyndicale, à l’issue de quatre jours de conflit : une action inédite pour la mise en place d’un Cse.

Christine Labbe

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