Recherche : « Stand up for science », aux États-Unis comme en France
Les 11 mars en France, le 7 mars partout dans le monde, la communauté scientifique et universitaire s’est mobilisée contre les attaques insidieuses ou directes auxquelles elle fait face. « La science contre attaque », épisode 1…
Marches, rassemblements, prises de paroles… Le 7 mars dernier, chercheurs et universitaires travaillant en France, se sont mobilisés sous de multiples formes. DR
Comment sortir de la sidération et de la peur ? Par l’action ! Le 7 mars, à l’appel du réseau Stand up for science, parti d’étudiants et d’étudiantes d’Atlanta (Géorgie) pour fédérer la riposte aux attaques de l’administration Trump, des dizaines de milliers de scientifiques se sont mobilisés sur les campus et dans les laboratoires états-uniens : la solidarité s’est étendue hors des frontières, y compris sur de nombreux sites français, d’autant que la liberté et le droit d’expression des chercheurs sont partout menacés.
Certes, outre Atlantique, l’urgence pour des milliers de scientifiques, c’est déjà de retrouver leur travail. Le « Département de l’efficacité gouvernementale » (Doge) aux ordres d’Elon Musk, qui a déclaré la guerre aux services publics, s’est attaqué avec une brutalité particulière aux chercheurs et universitaires, identifiés depuis toujours par l’entourage de Donald Trump comme des cibles prioritaires. Les jeunes chercheurs, les doctorants et postdoctorants en passe d’accomplir des stages sont les premières victimes de ces épurations, mais personne n’est épargné. Des chercheurs de haut rang qui étaient sous « période probatoire » de trois ans après une promotion ont également été remerciés du jour au lendemain. C’est le cas de 800 d’entre eux à la National Oceanic and Atmospheric Administration (Noaa) où 500 démissionnaires « volontaires » amplifient la purge, atteignant 10 % des effectifs.
La recherche sur le Vih/sida attaquée
À la National Science Fondation (NSF), principale source de financement de la recherche fondamentale aux États-Unis avec 9 milliards de dollars annuels, un programme sur dix est menacé de perdre ses crédits pour la simple raison que ses thématiques abordent des thèmes ou un langage désormais interdits. La liste est longue : diversité, équité, inclusion, accessibilité – les fameux Deia, qui développent toutes les questions relatives à l’égalité, au racisme, au genre, sont condamnés, et les agences dépendant de financements fédéraux ont fait disparaitre de leurs sites tous les écrits s’y rapportant. La santé ne se trouve pas plus épargnée dès lors qu’elle s’intéresse à celle des femmes, ou qu’elle traite par exemple du Vih/sida.
En fait, les sciences « dures » sont tout autant dans le collimateur, surtout si elles abordent des thématiques liées au changement climatique, à la biodiversité, à l’environnement. L’Environmental Protection Agency (Epa) est menacée de démantèlement, et même les rangers des parcs nationaux subissent une épuration massive. Le National Weather Service (la météo nationale !) et la Nasa, dont le travail est indispensable à l’ensemble de la population mondiale pour prévenir des catastrophes telles que les cyclones, les pollutions ou les sécheresses, passent également sous le rouleau compresseur de l’obscurantisme.
Entrave aux chercheurs états-uniens membres du Giec
Le 11 mars, la Nasa a licencié une vingtaine de chercheurs, parmi lesquels la scientifique en chef de l’agence, Katherine Calvin, ex-conseillère principale de l’agence sur le climat et coprésidente du groupe 3 du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) consacré à la réduction des émission de gaz à effet de serre. Fin février, son équipe et l’ensemble des chercheurs américains, qui contribuent pour 23 % à la production des données mondiales sur l’environnement et le climat, ont été empêchés de se rendre en Chine pour participer aux réunions préparatoires du prochain rapport du Giec, qui doit documenter les débats des futures Cop.
Les « effets collatéraux » dans le monde s’annoncent graves, car, contrairement à ceux qui y voient un business à haut potentiel spéculatif, la recherche se nourrit avant tout de coopérations et d’échanges entre pairs. C’est ce qu’ont rappelé les chercheurs et universitaires travaillant en France, très mobilisés le 7 mars sous de multiples formes (marches, rassemblements, prises de paroles). À Paris, les actions ont pris place dans un lieu emblématique, le Collège de France, puis sur le campus de Jussieu, où deux amphis bondés ont rassemblé, sur les mêmes bancs, enseignants et étudiants, avant qu’une manifestation traverse, jusqu’à Port-Royal, un quartier particulièrement voué à l’enseignement supérieur et à la recherche.
L’université d’Aix-Marseille offre l’asile
Très inquiets et en colère, de nombreux scientifiques de renom ont rappelé que la science était un bien commun et que la liberté des chercheurs était un pilier de la démocratie. Ils et elles ont également listé les actions déjà en cours pour aider les scientifiques américains. Sur place, de nombreux recours en justice ont déjà permis à certains d’entre eux de retrouver leur poste (dans la sûreté nucléaire, par exemple…). La solidarité nationale et internationale s’organise pour créer des « sites miroirs » et sauvegarder sur le Web la multitude d’articles, d’enquêtes, d’études effacées des sites dépendant de l’administration fédérale.
Il s’agit également d’organiser l’asile et l’accueil des scientifiques empêchés de travailler aux États-Unis. En France, le programme Pause, créé en 2017 pour protéger des scientifiques et des artistes contraints à l’exil – venant, à l’époque, de pays dictatoriaux ou en guerre comme l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, l’Ukraine, la Russie… –, va être ouvert aux ressortissants des États-Unis. L’université d’Aix-Marseille vient de lancer son dispositif Safe Place for Science, doté de 10 millions d’euros, pour accueillir une quinzaine de chercheurs et universitaires états-uniens, et a reçu à ce jour plus de cinquante candidatures. La climatologue Valérie Masson-Delmotte, membre du Haut conseil pour le climat, a par ailleurs rappelé qu’en achetant du gaz et du pétrole aux États-Unis, nous financions la catastrophe en cours, et lancé un appel à l’aide à l’Europe, pour l’instant muette sur la question…
En France aussi, la recherche dénigrée et sous-financée
L’électrochoc Trump agit comme un signal d’alarme en France, car la situation des scientifiques se dégrade partout. C’est pourquoi l’Intersyndicale de la Recherche et de l’Enseignement supérieur a organisé une journée d’action le 11 mars, en particulier pour protester contre la chute drastique du budget de la recherche : 1,5 milliard d’euros en moins en 2025. Selon l’intersyndicale, il manquerait 8 milliards d’euros pour assurer l’accueil indispensable de 150 000 étudiants, procéder à la rénovation énergétique des bâtiments, revaloriser les salaires et embaucher pour mieux encadrer les étudiants. L’« autonomie » des universités reste un mirage, et, faute de financements, les universités, nombreuses à être au bord de la cessation de paiement, vont devoir supprimer des formations, augmenter les droits d’inscription et renoncer à remplacer les départs à la retraite – si ce n’est par encore plus de précaires…
Des mesures insidieuses ne cessent d’affaiblir la liberté académique et la sécurité financière des labos. Fin 2024, le directeur du Cnrs a par exemple tenté de mettre en place une politique « darwiniste » qui viserait à concentrer les financements sur 25 % seulement des labos, ceux jugés « performants », baptisés « Key labs », mais a dû renoncer face à une mobilisation unanime de la communauté scientifique. Les remises en causes et intimidations à l’égard de certains organismes, tels que l’Institut de recherche et développement (Ird), l’Agence de la transition écologique (ex-Ademe), l’Office français de la biodiversité (Ofb), dont l’entrée a été un temps murée par des agriculteurs, de même que celle de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), auxquelles s’ajoutent les nombreux reculs du gouvernement face aux lobbies industriels, sur la protection de l’environnement ou de la santé publique, créent une atmosphère de suspicion très insécurisante pour les scientifiques.
Dernier épisode en date, la façon dont le Haut conseil pour l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) a dénigré les licences et masters en Île-de-France hors Paris, dans les académies de Lille, de la Réunion et de Mayotte. Ces cursus, souvent suivis par des étudiants de milieux modestes, sont jugés très performants compte tenu des moyens dérisoires mis à leur disposition, mais leur évaluation défavorable par l’Hcéres les menace de disparition. Dans le même temps, Parcoursup empêche de plus en plus de lycéens d’accéder aux études supérieures de leur choix ; en revanche, la plateforme accueille à bras ouverts des formations privées pas toujours validées ni évaluées, mais répondant, moyennant finance, aux angoisses des jeunes auxquels Parcoursup n’a rien proposé. Des formations et des écoles par ailleurs souvent bénéficiaires d’aides de l’État, au titre de l’apprentissage notamment.
Ne pas financer, ne pas créer d’emplois pour entraver la recherche, l’enseignement et la transmission des connaissances, ces méthodes sont peut-être moins brutales, mais plus insidieuses. Le travail de sape sera plus long, mais avec des résultats tout aussi irréversibles, pour l’intérêt général comme pour la vitalité de la démocratie.
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