L'Édito -  2015-2025, des obscurantismes aux Lumières

Par Sylvie Durand, secrétaire nationale de l’Ugict-CGT

Le 7 janvier 2015, avec l’attentat contre « Charlie hebdo », le journal « Options » perdait l’un de ses collaborateurs, le dessinateur Charb, et la France basculait dans l’engrenage des obscurantismes et de leur cohorte d’horreurs. Dix ans après, le plus grand bien à sécuriser reste notre liberté de conscience.

Édition 063 de mi-janvier 2025 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
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Au fil des siècles, impérialismes politique et religieux se sont volontiers mutuellement nourris pour engendrer les pires maux que l’humanité ait à souffrir. Sur la décennie écoulée, l’intégrisme religieux s’est attaqué à notre conception même de la citoyenneté et de son apprentissage, avec les ignominieuses agressions et assassinats d’enseignants.

Les attentats contre Charlie hebdo, l’Hyper Cacher, le Bataclan, sans prétendre à une quelconque exhaustivité, sont des actes contre l’esprit des Lumières, c’est-à-dire le fondement que notre société s’est choisi : liberté culturelle, liberté artistique, liberté religieuse, liberté d’expression, en un mot laïcité et donc liberté de conscience. Parmi les premières victimes, nous avons trouvé les journalistes, les enseignants, les artistes, les écrivains et plus largement tous celles et ceux qui exercent et donc défendent, en action, la liberté de conscience.

Stratégies de répression des libertés

Pourtant, ces attentats ont été un tremplin pour le déploiement d’une série de mesures liberticides sous couvert de sécurisation des individus, largement empruntées à l’arsenal idéologique porté par les extrêmes droites. Ces dernières, ainsi légitimées, ont vu leurs scores électoraux s’envoler. Car les obscurantismes savent s’allier pour partager les mêmes stratégies de répression des libertés, du progrès social et humain. Les mesures dites sécuritaires ont ainsi été instrumentalisées pour réprimer et criminaliser l’action syndicale avec la mise en examen, sans suite, de nombreux dirigeants.

Et pour cause, les oligarchies financières comme les intégrismes religieux prospèrent sur la précarisation des populations en multipliant les exactions contre celles ceux qui entendent résister à l’arbitraire. Le soutien d’Elon Musk aux partis d’extrême droite européens en dit long sur son projet de prédation des conditions de vie des salariés : mettre en place des États policiers devient indispensable quand on entend réduire toujours plus les moyens d’existence des populations.

Diviser le monde du travail, pour mieux l’exploiter

Mais la colère, depuis les gilets jaunes, n’est pas retombée. Ouvriers et employés sont réduits à l’indigence  ; ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise sont confrontés à un déclassement sans précédent  : leurs qualifications ne sont plus ni reconnues ni rémunérées, leur professionnalisme est méprisé, leur créativité découragée par des firmes dont la seule obsession est la maximisation immédiate de la rente actionnariale, aux dépens de la réponse aux besoins économiques et sociaux du monde du travail.

Le trouble jeté dans notre société est immense et vient provoquer de dangereux clivages dans notre quotidien : au travail, les relations entre collègues se tendent, au regard des conflits internationaux, sur les questions de libertés cultuelles, sur l’évolution du pouvoir d’achat des uns et des autres. Le métier de manager devient une telle épreuve que bien des cadres et agents de maîtrise ne veulent plus l’exercer.

François Bayrou contourne la question du pouvoir d’achat

Des collectifs de travail se distendent alors que c’est précisément à partir du travail et, pour ce qui concerne l’Ugict-Cgt, de l’implication des ingénieurs, cadres, techniciens, chercheurs et agents de maîtrise que les solutions sont susceptibles d’émerger : pour que l’IA devienne un outil d’émancipation et non pas de flicage et d’aliénation, pour restaurer un outil industriel tourné vers le développement durable, pour reconstruire une société apaisée et tolérante.

Malheureusement, le discours de politique générale du Premier ministre, François Bayrou, n’adopte pas ces orientations. La question de l’augmentation du pouvoir d’achat a été purement ignorée tandis que nombre d’employeurs publics et privés gèlent les augmentations des personnels d’encadrement pour consentir quelques aumônes aux ouvriers et employés. Diviser le monde du travail pour mieux l’exploiter…

Retraite à 60 ans  : les financements existent

Les retraites : encore un sujet escamoté par le nouveau gouvernement ! La Cour des comptes se voit chargée d’un bilan financier aux conclusions déjà prescrites : « le déficit est encore plus abyssal que prévu », lirons-nous sous peu sans surprise.  Pourtant, aucune voix ne s’élève pour remettre en cause les dividendes abyssaux distribués par les entreprises françaises à leurs actionnaires. Car l’argent ne manque pas. Selon la Lettre Vernimmen.net, les entreprises françaises ont, en 2024, reversé plus de 98 milliards d’euros à leurs actionnaires : un tiers suffirait pour rétablir le droit à la retraite dès 60 ans.

La réouverture de négociations sur les retraites, quels qu’en soient le contexte et les modalités, est cependant une occasion donnée à chaque salarié de faire entendre ses exigences  auprès des délégués syndicaux. Car lors des prochaines élections professionnelles, il appartiendra à chacun et chacune de définir la représentativité des organisations syndicales en donnant son suffrage à celles et ceux qui ont réellement défendu leurs revendications dans cette négociation fondamentale.  C’est d’ailleurs pour cela que la Cgt demande, de longue date, sa retransmission en direct : les salariés ont droit à la transparence des discussions !  Malheureusement, la proposition n’est à ce jour soutenue par aucune autre organisation syndicale.

Ingénieurs, cadres, techniciens, agents de maîtrises, chercheurs : à l’heure où l’encéphalogramme gouvernemental est plat, nous sommes dépositaires de notre avenir, au travers des idées et des projets professionnels que nous avons la liberté de promouvoir. C’est dire si le plus grand bien à sécuriser est notre liberté de conscience.