Polars – Les flics pleurent aussi

Une équipe d’enquêteurs est confrontée à une triple affaire de suicide suspect, de momie incongrue et de disparition de l’épouse de son commandant dans une compétition de handisport au Japon. Intrigue complexe, écriture fluide, forte empathie pour ses personnages : tout séduit chez Benoît Séverac.

Édition 063 de mi-janvier 2025 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT

À la brigade criminelle de Versailles, l’aguerri commandant Jean-Pierre Cérisol conduit, d’une main de fer ganté de velours, un trio de flics disparates. D’abord, il y a Nicodemo. L’adjoint parfait. Et un véritable ami. Au seuil de la retraite et fier de ses racines portugaises, armé de son air faussement bravache et d’une humeur uniformément ronchonne, il gère avec la même efficace rigueur ses dossiers professionnels et les aléas intrinsèques à une famille nombreuse.

Il y a aussi Grospierre, le jeunot. D’une certaine façon, le fils que Cérisol n’a jamais eu. Un petit gars téméraire et intuitif, dont le tempérament navigue parfois à contre-courant des collègues, mais qui porte en germe la promesse d’une carrière édifiante. Signes particuliers  : s’est converti au judaïsme pour pouvoir épouser la femme qu’il aime, et adepte du taekwondo.

Et puis il y a la petite nouvelle, l’impertinente et fougueuse lieutenante Krzyzaniak. Ne demandez à personne de prononcer (correctement) son nom. Alors, on l’appelle K. Elle s’en accommode avec dérision, soucieuse avant tout de briguer sa place dans cet univers de mecs.

Un cadavre sous cellophane dans le caveau familial

Ainsi brimbale ce petit monde, somme toute indéfectiblement soudé par ses discordances complémentaires, et à la complicité à toute épreuve. Justement, deux affaires accaparent la troupe d’enquêteurs. La première gravite autour de la mort d’une jeune femme. Les indices confortent la thèse du suicide. Mais, pour Cérisol, deux détails clochent  : la vie souriait effrontément à la victime, et elle était enceinte. La seconde sort des sentiers battus. Pas courant, en effet, de découvrir, dans un caveau familial huppé, un cadavre qui n’a aucune place légitime dans cette sépulture. Celui d’un homme, de type africain, emballé, telle une momie, dans un film cellophane.

En filigrane de ces deux intrigues, un tiers fil narratif nous entraîne dans le sillage d’Amos, un réfugié tchadien qui traverse la Méditerranée et se heurte à l’inhospitalité de l’Italie, avant d’échouer sur les incertitudes territoriales françaises… Tandis que Cérisol se mure de plus en plus dans une sombre inquiétude. Il est sans nouvelle de Sylvia, son épouse, dont la trace se perd brutalement quelque part au Japon. Athlète de haut niveau atteinte de cécité, elle avait rejoint le pays du Soleil-Levant en tant que capitaine d’une équipe de torball (discipline handisport de ballon sonore) pour une compétition internationale. Pourquoi, en sus d’être aveugle, est-elle devenue subitement muette  ?

Mélange de noirceur et d’humanité teintée d’humour

Avec Le Bruit de nos pas perdus, Benoît Séverac ne se contente pas de nous gratifier d’un des plus beaux titre de l’année, il signe aussi son meilleur roman à ce jour. 

On a fait la connaissance de Cérisol et de sa conjointe, de Nicodemo et de Grospierre dans un précédent opus, Tuer le fils, en 2020. On avait été séduit par le mélange de noirceur et d’humanité teintée d’humour qui émanait de cette histoire oppressante de meurtre autour d’une relation père-fils, ambiguë et profonde, sur fond de misère sociale. Et, bien plus encore, par l’étoffe des antihéros qui menaient l’enquête…

Quatre ans plus tard, le romancier a décidé qu’il n’en avait pas fini avec ses personnages, dont il nous décrit l’évolution et accentue les contours. Benoît Séverac est le chantre de l’émotion et des cicatrices à l’âme. Fourmis ouvrières qui doutent sur le long chemin de la vérité, ses flics questionnent autant des coupables potentiels qu’ils s’interrogent eux-mêmes sur leur vocation professionnelle, le sens de leur vie intime… Dans une intrigue particulièrement dense – mais à la construction fluide et habile –, ils acquièrent un relief saisissant, qui révèle leur fragilité. S’agrègent des seconds rôles eux aussi dessinés avec saveur et tendresse.

Un scribe de la face sombre du réel

Cette empathie, Benoît Séverac la délivre au fil de son écriture simple et directe, toujours juste. Parce qu’il est aussi un scribe de la face sombre du réel, ses mots fustigent nos maux. Ici, entre autres, l’esclavagisme moderne, la détresse des uns et son exploitation sordide par d’autres… Parfois, nous dit l’auteur, le désespoir pousse à des extrémités. Mais si, derrière toute infortune, se nichait une voie vers le renouveau  ? On retiendra un final épatant qui, en sus de dénouer les deux enquêtes, éclaire autrement Cérisol et son couple.

À bas bruit, les pas perdus de Benoît Séverac s’impriment en nous. Ils résonnent longuement. On sait gré au romancier de nous faire partager son infatigable bienveillance à l’égard du monde. 

  • Benoît Séverac, Le Bruit de nos pas perdus, La Manufacture de Livres, 2024, 288 pages, 18,90 euros.
  • Tuer le fils, Pocket, 2021, 368 pages, 8,30 euros.