Sport populaire : « plus vite, plus haut, plus fort » que les JO !
« Citius, altius, fortius », c’est la devise des JO.
À deux pas des futures compétitions, sur le campus d’Aubervilliers, une exposition rappelle l’action de militantes et militantes engagés pour des pratiques sportives égalitaires et accessibles à toutes et à tous.
Le sport, c’est parfois une affaire collective, et pas que sur le terrain. En témoigne l’exposition « Figures militantes du sport populaire », qui jusqu’au 26 avril était proposée aux visiteurs de l’Humathèque du campus Condorcet, à Aubervilliers. Alors que les compétitions des Jeux olympiques et paralympiques (Jop) de Paris auront en grande partie lieu sur ces terres populaires du 9-3, le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (Chs), lié au Cnrs et à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, a voulu célébrer l’événement à sa manière, en rappelant que le sport de haut niveau se nourrit aussi d’un vivier populaire.
L’exposition témoigne de l’investissement du mouvement ouvrier, syndical et associatif dans la pratique sportive, à travers notamment des portraits de femmes et d’hommes méconnus ou oubliés qui se sont distingués par leur engagement militant.
Motivations hygiénistes du XIXe siècle
La démocratisation du sport accompagne ces parcours de vie. La pratique a d’abord été encouragée par l’hygiénisme qui, au XIXe siècle, imprégnait le mouvement ouvrier, mais aussi des courants conservateurs et eugénistes. La « bonne santé » était un impératif – elle l’est toujours – mais, à l’époque, on était loin du culte de la performance sportive et du sport-spectacle.
Autre motivation : la volonté d’encadrer, de « protéger » les classes populaires d’elles-mêmes, en proposant aux jeunes ouvriers une activité « saine », loin de l’oisiveté, de l’alcool… ou de l’agitation politique et syndicale ! Une dimension morale qui fait écho au souci du patronat de contrôler un « corps ouvrier » inquiétant, qu’il souhaite voir se fortifier dans le sport, pour rester productif.
Un « délégué aux exercices physiques » en 1871
Parmi les figures présentées : Paschal Grousset (1844-1909), journaliste engagé contre Napoléon III, et que la Commune de Paris nomma « délégué aux exercices physiques », soit le premier « portefeuille » au sport de l’histoire contemporaine ; Henri Kleynhoff (1878-1916), journaliste qui créa la Fédération sportive athlétique socialiste en 1909 ; Cécile Grunebaum-Ballin (1882-1983), infirmière, militante du logement social et de la laïcité, fondatrice du Centre laïque des auberges de jeunesse en 1933.
Autant d’hommes que de femmes qui, dans différentes disciplines, auront soit créé de nouvelles règles, soit abattu des barrières morales ou légales pour rendre la pratique sportive accessible au monde ouvrier.
Action de la Fédération sportive LGBT+
L’exposition revient sur des enjeux toujours actuels, comme la démocratisation et la féminisation des clubs et des fédérations, revendiquées depuis l’après-Mai 68, ou le développement du mouvement homosexuel. À partir de 1986, des Gay Games imitant les Jeux olympiques sont organisés à Paris, assumant d’être ouvert à toutes et à tous, y compris aux sportifs amateurs, et luttant explicitement contre l’homophobie.
La Fédération sportive LGBT+ est un des soutiens de l’exposition : elle regroupe des clubs garantissant une pratique sereine à des sportives et sportifs se sentant discriminés dans un milieu sportif encore trop empreint de préjugés patriarcaux.
Rappelant que les Jop de 2024 ont fait l’objet d’une charte sociale et environnementale, mais qu’ils sont aussi un facteur de gentrification et de spéculation foncière, l’exposition rappelle que le sport reste plus que jamais « un terrain de lutte pour l’égalité et un espace d’affrontement politique ».
Alice Milliat (1884-1957)
Cette féministe découvre l’engagement sportif par la pratique de l’aviron et du football en Angleterre, où elle est préceptrice. Après son retour à Paris, elle adhère à un club sportif féminin, le Fémina sport, fondé en 1912. Elle en devient présidente en 1915. À ce poste, elle propose de nouvelles disciplines comme l’athlétisme, le basketball et le rugby, jusqu’alors inaccessibles aux femmes. Deux ans plus tard, en 1917, elle organise le premier championnat d’athlétisme féminin en France et crée, à cette occasion, la Fédération des sociétés féminines et sportives de France.
Elle participe ensuite à la mise sur pied de la Fédération sportive féminine internationale (Fsfi) qui, en 1922, organise les premiers Jeux olympiques féminins, en réponse à l’ostracisme du Comité international olympique (Cio) du baron Coubertin. Ces jeux sont un succès et cinq nouvelles éditions seront organisées jusqu’en 1934, sous le nom de Jeux mondiaux féminins. C’est grâce à cette pression qu’à partir de 1928 le Cio ouvre progressivement certaines disciplines aux femmes. La Fsfi continuera à promouvoir les femmes dans le cadre olympique jusqu’au départ d’Alice Milliard en 1938.
Léo Lagrange (1900-1940)
Étudiant en philosophie, puis en droit, socialiste, il est inscrit comme avocat en 1923 et élu député du Nord en 1932. En 1936, la victoire du Front populaire le propulse au gouvernement. Léo Lagrange devient alors le tout premier sous-secrétaire d’État aux Sports et à l’Organisation des loisirs. La droite et l’extrême droite l’accuseront d’orchestrer le laxisme et l’oisiveté en France.
En fait, il encourage la pratique sportive, puisque la semaine de quarante heures et les congés payés libère du temps pour les travailleuses et travailleurs. De nombreux équipements sportifs sont alors bâtis, en même temps que se développent les campings et les auberges de jeunesse. On doit aussi à Léo Lagrange le tarif réduit ferroviaire, afin que les Françaises et les Français voyagent plus facilement, découvrent la nature, pratiquent la randonnée, le ski ou le canoë.
En 1936, il s’oppose à la participation de la France aux Jeux olympiques de Berlin, instrumentalisés par Hitler, et soutient le projet alternatif des Olympiades populaires de Barcelone. En 1937, l’éducation physique scolaire est ajoutée à ses prérogatives ministérielles, et il institue le « brevet sportif populaire », qui existera jusqu’en 1970.
Carmen Crespo (1916-1937)
Immigrée espagnole, elle s’installe avec sa famille à Paris. Basketteuse de très bon niveau, elle rejoint un club du quartier de la Bastille, et intègre la Fédération sportive du travail (Fst) en 1934. En 1936, la Fst sélectionne près de 1 200 athlètes pour les Olympiades populaires de Barcelone. Cette alternative aux Jeux olympiques de Berlin, instrumentalisés par le régime nazi, accueillera au total 6 000 athlètes de vingt pays. La basketteuse est présente en Catalogne, où elle fait office de traductrice. Mais trois jours avant les premières épreuves, c’est le coup d’État nationaliste et le début de la guerre civile.
Évacuée à Paris avec les athlètes, Carmen Crespo revient illégalement pour s’engager dans la colonne Ortiz de la CNT. Ayant refusé un poste de secrétaire, elle prend part aux combats sur le front de Saragosse, d’où elle écrit à ses coéquipières basketteuses. Une grenade la fauche en janvier 1937.
Maurice Vidal (1919-2011)
Résistant, membre du Parti communiste, Maurice Vidal a été responsable syndical dans le secteur de la presse. Au sortir de la guerre, il entre au journal Sport, créé en 1946 par des communistes. La publication se place dans l’esprit des revues sportives ouvrières du début du XXe siècle, comme Sport et socialisme, Sport ouvrier ou Sport libre. Militant en faveur d’aides publiques aux clubs amateurs, il défend aussi le sport féminin. Sa revue compte une rubrique, « Nous, les sportives », rédigée par des championnes.
En 1949 il lance une nouvelle revue, Sprint, faisant la part belle aux photographies d’exploits sportifs, et notamment au cyclisme dont il est passionné. Au début des années 1970, il milite ardemment pour le développement des pistes cyclables en France.
Politique et géopolitique du sport
« Olympisme, une histoire du monde », exposition au palais de la Porte-Dorée, à Paris, jusqu’au 8 septembre. On y examine les 33 olympiades tenues depuis 1896, et celles de cet été, au miroir des évolutions sociales et culturelles. Le sport a aussi une histoire politique !
Un hors série de Politis : « Terrains de sport, terrains de luttes ». Le magazine ausculte le sport business, toujours vivace dans l’« esprit olympique », revient sur les luttes sociales, le handisport, la place des athlètes trans dans les compétitions, les aspects sécuritaires de l’événement et son impact sur la Seine-Saint-Denis. (6 euros papier, 4,90 euros numérique)
Mise à jour le 24 mai à 14 h 24 : rajout de la photo du timbre d’Alice Milliat.
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