Revue de presse -  Les hauts et les bas du salaire décent…

Alors que les rémunérations des patrons du CAC 40 atteignent des montants stratosphériques, Michelin appelle à la décence, mais juste à propos de celles de ses salariés. Et les primes JO dans tout ça ?

Édition 051 de fin mai 2024 [Sommaire]

Temps de lecture : 5 minutes

Ceinture une année de plus. Malgré une poursuite de l’inflation en 2023 (4,9 %), l’augmentation générale des salaires (4 à 4,5 % en moyenne prévus) devrait comme l’an dernier s’avérer insuffisante pour assurer ne serait ce qu’un maintien du pouvoir d’achat de la plupart des salariés. L’Ong Oxfam, dans son rapport annuel sur les revenus des patrons du Cac 40, constate qu’en revanche ces derniers se protègent contre de tels désagréments. En 2022, ils ont gagné en moyenne 130 fois plus que le salaire moyen dans leur entreprise, alors qu’en 1979, la moyenne de leur salaire ne dépassait pas 40 fois le Smic. Le HuffPost (30 avril) ne prend pas de pincettes pour qualifier «  d’indécent  » l’écart de rémunération qui s’est encore creusé avec leurs salariés. Le record à Téléperformance, son Pdg gagnant 1453 fois le salaire moyen de son entreprise, ou Carrefour (426 fois), le salaire ne constituant qu’une partie de leurs revenus. Troisième de ce classement, le Pdg de Stellantis, Carlos Tavares, qui n’a touché que 341 fois plus que le salaire moyen au sein du constructeur automobile, s’est toutefois doublement distingué, en obtenant des actionnaires une augmentation … de 21,9 millions à 36,5 millions d’euros. Libération (29 avril), qui surtitre «  Rendez l’argent  » souligne la «  lassitude devant les salaires monstrueux des patrons du Cac 40  ». «  Ces chiffres choquent toujours rappelait déjà le quotidien dans son édition du 16 avril. Les 40 entreprises françaises les mieux cotées en bourse sont loin d’être en difficulté. Au contraire, elles enchaînent les bénéfices record. Entre 2019 et 2022, ils sont passés de 94, 7 à 142 milliards d’euros. Toujours sans redistribution équitable à l’horizon  ». 

Quand est-ce qu’on redistribue les richesses, ne serait-ce qu’un peu  ?

Rémunérations «  démesurées  », «  déconnectées  », «  stratosphériques  »  : Oxfam réclame l’instauration d’un salaire maximum bloqué à 20 fois le salaire médian de chaque entreprise (comme chez Orange ou au Crédit agricole) et l’augmentation générale des salaires dans les entreprises bénéficiaires. Sur BFM Business (16 avril), Carlos Tavares ne se dégonfle pas pour autant : «  Si vous estimez que ce n’est pas acceptable, faites une loi, modifiez la loi et je la respecterai  ». Le Pdg de Stellantis devrait dormir sur ses deux oreilles encore un certain temps, car comme le rappelle L’Humanité (30 avril), les actionnaires et le Pdg partagent les mêmes objectifs  : «  En 2020, 76 % des bénéfices des entreprises du Cac 40 ont été reversés à leurs actionnaires. (…) Et plus des deux tiers (69 %) des rémunérations des Pdg sont constitués de primes variables ou d’actions et sont sujets à des critères de performance, autrement dit (…) à l’atteinte d’objectifs définis par les actionnaires  ». CQFD…

Un petit «  salaire décent  » pour se remonter le moral ?

Cet épisode n’en a pas moins relancé le «  débat sur les salaires  », comme l’assure Le Figaro (19 avril) en commentant les déclarations du Pdg d’un autre groupe du Cac 40, Michelin. «  Le Smic n’est pas un salaire décent  » a ainsi affirmé Florent Menegaux, dont l’entreprise ne rémunère aucun de ses salariés à un niveau aussi bas. Plus précisément, Michelin applique à ses 132000 salariés dans le monde une définition retenue par l’Organisation internationale du travail (Oit) selon laquelle un «  salaire décent  » doit permettre à chaque salarié de subvenir aux besoins de sa famille (deux adultes, deux enfants), notamment en alimentation, logement, transport, éducation des enfants, frais de santé, mais également de constituer une épargne de précaution et d’acquérir des biens de consommation. «  Michelin a adapté la grille de rémunérations aux coûts de la vie locale  » précise cependant le quotidien. En Chine, un peu moins de 9000 euros par an. Au Etats-Unis, 40000 euros. En France selon les régions, 39638 euros à Paris et 25356 euros à Clermont Ferrand… Le Figaro estime ainsi que «  les travailleurs français sont loin d’être les plus mal lotis  », et que Michelin lance un «  pavé dans la mare  »  : «  dans une période où les entreprises industrielles se battent pour attirer de la main d’œuvre, ce virage de Michelin va rapidement obliger d’autres industriels à se positionner sur le sujet  ». Un pavé dans la mare qui pourtant n’éclabousse guère d’autres entreprises.

Libération (19 avril) se félicite également de « la leçon de salaire décent de Michelin au patronat et au gouvernement  », d’autant qu’il s’accompagne d’un socle de «  protection sociale universel  » (droits sociaux élargis, congés paternités et maternité rémunérés, droits en cas de décès y compris pour les enfants). Le quotidien tempère cependant sur ce «  coup de com  » de Michelin, dont le patron, qui s’estime «  extrêmement bien payé  », a tout de même touché 2,7 millions en 2023. Le «  paternalisme  » du groupe assure un «  ordre social  » et garantit des «  profits allant en priorité aux actionnaires  ». «  Le groupe n’a d’ailleurs pas hésité à supprimer des milliers d’emplois en France, au nom de sa compétitivité  ». Donnant la parole à un syndicaliste de l’entreprise, France info (18 avril) précise aussi que si les salariés reconnaissent qu’un certain partage existe,  « il ne comble absolument pas la différence de salaires entre les plus basses et le plus hautes rémunérations  ». De plus, la part variable des rémunérations (les primes) n’est pas la même selon la position dans la hiérarchie…

Et pour les « mobilisés » des JO, primes ou déprimes ?

On l’aura donc compris, le plafond de la décence ne s’applique qu’au plancher. L’idée que tout le monde ne mérite pas le même salaire persiste, y compris contre toute logique – par exemple, entre une femme et un homme avec les mêmes qualifications et qui effectuent le même travail. Et que dire des primes, ces sortes de «  lots de consolations  » qui permettent aux travailleurs de gagner exceptionnellement des revenus supplémentaires  ? Là encore pas de règle.

L’imminence des Jeux olympiques et paralympiques, qui s’accompagne de la mobilisation plus ou moins contrainte cet été de nombreuses catégories de salariés, ne s’est pas du tout traduite par une politique salariale commune aux employeurs, y compris quand ce dernier se trouve être l’Etat, un services public ou une collectivité locale. D’où une multitude de préavis de grève d’ores et déjà enregistrés, et des mouvements de grèves en perspective, dont celui du 21 mai, qui s’est avéré particulièrement suivi. Le principe affiché par les pouvoirs publics est que seuls les personnels «  mobilisés  » toucheraient des primes  : alors ils se mobilisent, mais à leur manière  ! Derniers en date, les pompiers prennent le relais de la flamme olympique. Mobilisés le 16 mai à l’appel de l’ensemble de leurs organisations syndicales, ils demandent, comme le liste Le Parisien (16 mai)  : «  Des financements pour faire face à tous les défis et enjeux, un engagement de l’État en matière de santé et de qualité de vie au travail, une révision des mesures de fin de carrière, ainsi que des mesures sociales fortes pour accompagner l’engagement des agents pour les jeux olympiques  ». Pour l’égalité de traitement des fonctionnaires sur la brèche, va y avoir le feu…

Valérie Géraud