Le syndicalisme, pilier des combats à venir pour l’environnement  ?

Un colloque vient de rappeler que le syndicalisme s’est souvent mobilisé – y compris avec la société civile -, contre les atteintes à la santé ou à l’environnement. Un apport plus que jamais indispensable.

Édition 043 de mi-janvier 2024 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
A la COP 28, quelques engagements ont été concédés, comme le triplement des énergies renouvelables. Mais sans contraintes ni contrôle. © Martin Divisek / EPA / MaxPPP

Les militants pour le climat n’attendaient pas grand-chose de la Cop 28. Certes, pour la première fois, le texte final, résultat d’âpres négociations multilatérales et d’un consensus a minima, acte la nécessité d’une «  transition hors des énergies fossiles  ». Pas question pour l’heure de parler de sortie, le gaz étant même évoqué parmi les ressources de transition garantes de la sécurité énergétique. Le charbon devra être supprimé, mais de façon progressive. Quant au pétrole, rien n’entrave la poursuite de sa prospection ou de son exploitation, puisque malgré de sérieux doutes sur leur efficacité et leur coût, la captation ou le stockage du CO2 sont plébiscités parmi les «  technologies vertes  » assurant à un capitalisme tout aussi vert de poursuivre sa marche aux profits… Quelques engagements intéressés ont par ailleurs été concédés  : le triplement de la production d’énergies renouvelables, le doublement de l’efficacité énergétique d’ici 2030. Insuffisant, sans contraintes, ni contrôle.

Au-delà des catastrophes prévisibles et des menaces à court terme sur l’habitabilité de certaines régions de la planète, un tel cynisme pourrait décourager les citoyens qui se mobilisent individuellement ou collectivement pour donner un autre avenir à l’humanité et au vivant. Mais comme l’a rappelé la secrétaire générale de la Cgt Sophie Binet, en clôture des Rencontres d’Options sur le rôle central que le travail peut jouer dans la transition climatique, «  il ne faut pas attendre du capital qu’il résolve la question environnementale  ».

Il faudra donc compter sur les forces sociales, les agréger pour peser et imposer des normes, des contraintes, d’autres façons de produire. En anticipant pour éviter leur coût social, c’est tout le défi. Un colloque organisé les 30 novembre et 1er décembre par l’Institut d’histoire sociale Cgt à l’Université de Paris Campus Condorcet, sur le thème «  Syndicalisme et environnement  » a rappelé fort à propos ces problématiques, invitant de nombreux universitaires et chercheurs à témoigner par leurs travaux du fait que les actions pour la défense de l’environnement ne sont pas nouvelles au sein du monde du travail, et existent même depuis qu’il est organisé. L’historien Renaud Bécot, qui animait la première journée de débat, le détaille dans la revue Options parue en décembre dernier, «  Choisir entre emploi et environnement est un faux dilemme  » entretenu par un système mortifère.

Sociologues et historiens ont expliqué que les salariés mobilisés pour leur santé ou contre les pollutions se sont toujours heurtés aux employeurs, qui outre le déni, leur ont toujours opposé la compétitivité ou le chantage à l’emploi, faisant peser la fermeture d’une usine ou sa délocalisation à la moindre entrave règlementaire, arguments toujours avancés aujourd’hui. Participant à la table ronde sur les enjeux actuels, Sébastien Menesplier, en charge du dossier environnement au Bureau confédéral de la Cgt, a d’ailleurs évoqué les réticences persistantes de certains militants, qui voient dans la protection de l’environnement un prétexte à régression sociale. «  Nous devons prendre le temps de débattre en interne de nos contradictions, dépasser les fausses oppositions entre enjeux environnementaux et sociaux, expliquer notre démarche. Il ne s’agit pas de s’isoler, mais d’impliquer nos militants. La Cgt continue de travailler avec les associations environnementales sur de nombreux dossiers, au niveau national ou international, et nous déploierons cette année un grand plan d’action syndicale sur l’environnement pour mieux former nos militants sur ces enjeux  ».

Le plan de planification écologique du gouvernement qui n’en est pas un

Les forces de blocages s’avèrent en fait bien plus importantes du côté des entreprises, dans bien des cas très proches des intérêts des États. Même au niveau de l’Europe, qui affiche de grandes ambitions par rapport à d’autres puissances économiques avec son «  Green Deal  » (Pacte vert) mais se plie comme Emmanuel Macron à l’idée d’une «  pause règlementaire ». La Cop 28 a par exemple mis en garde les pays qui instaureraient une «  taxe carbone  » à l’importation. Dans le viseur notamment, le «  mécanisme d’ajustement carbone aux frontières  » mis en œuvre progressivement depuis octobre 2023 par l’Europe, pensé pour contraindre les importateurs ne respectant pas les normes environnementales – ce qui leur permet des prix plus compétitifs. Il pourrait ainsi faire l’objet de contentieux commerciaux ou de représailles susceptibles de peser sur l’économie européenne.

« Au sein des instances européennes aussi, les responsables politiques cèdent aisément aux lobbyistes ou au chantage à l’emploi, bloquant les avancées en faveur de l’environnement » confirme Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres mandatée par l’Ugict. Pourtant le manque d’anticipation sur les mutations indispensables à opérer pourrait s’avérer dramatique pour des millions de salariés européens ». Les entreprises rebondissent en licenciant, en fermant des sites, en délocalisant. Le défi pour les syndicats, c’est de garantir l’emploi aujourd’hui comme demain. «  Nous devons gagner de nouveaux outils pour nous former, nous préparer aux évolutions du travail, redéfinir les métiers et les compétences, mais aussi pour avoir un regard sur les pratiques de nos entreprises. La règlementation européenne y contribue parfois, et des financements sont prévus dans le cadre du Green deal, qui doivent être contrôlés et donner lieu à des actions effectives. On estime que les entreprises ont reçu 146 milliards d’euros de l’Europe pour opérer leur transition numérique, mais n’ont formé que 20 % de leurs salariés  ! Nous n’avons pas d’autre choix que d’être les acteurs de la transition climatique. Nous devons nous réapproprier notre travail, nous appuyer sur l’expertise des salariés, revendiquer de nouveaux droits, comme le propose le radar environnemental de l’Ugict par exemple ».

Engager réellement la responsabilité des entreprises vis-à-vis de leur empreinte climatique serait un levier d’action important. Pour l’heure, elles ne prennent pas en compte les prospectives qui montrent que la transition leur coûtera moins cher que l’inaction. Les nouvelles normes de comptabilisation de l’impact environnemental des entreprises prévues par la Cop 28, ou la mise en œuvre de la directive européenne concernant les rapports sur le développement durable des entreprises, devraient à terme imposer plus de transparence sur leurs pratiques, mais toujours et encore, sans contrôle ni contrainte.

Les salariés devront donc compter sur leur vigilance et sur des mobilisations les plus larges possibles. Jean-François Naton, conseiller confédéral Cgt, vice-président du Conseil économique social et environnemental et rapporteur d’un avis du Cese voté à l’unanimité en avril 2023 (*), insiste sur l’importance du travail en commun de tous les acteurs sociaux, de consensus ambitieux et d’actions convergentes. «  Mon expérience au sein de cette chambre de la société civile organisée me convainc qu’une action politique efficace devrait s’appuyer plus souvent sur nos réflexions et propositions. Le Cese place le travail et la prévention au cœur des enjeux économiques, sociaux, environnementaux. Quant à la Cgt, elle valorise la notion de développement humain durable, au cœur de son action, depuis des années. La bataille pour le climat et pour le travail y contribue et impose un nouvel âge de la démocratie  ».

«  Nous avons besoin de la Cgt, pour être plus pertinents, plus légitimes et plus efficaces  »

Le colloque a évoqué de nombreuses luttes contre la pollution, pour la santé des salariés et des populations, menées avec les populations et tous les acteurs sociaux, en particulier les associations de défense de l’environnement. Pour Valérie Sipahimalani, dirigeante de la Fsu, membre de l’Alliance écologique et sociale (ex Plus jamais ça), le rassemblement est la seule issue pour garder espoir quand les grandes manifestations ou les forums internationaux peinent à faire bouger les lignes. De même que les actions concrètes là où les marges de manœuvre sont plus tangibles, sur le terrain du travail en particulier  : «  Nous avons besoin de la Cgt  ! lance-t-elle. La présence de la Cgt, en particulier dans l’industrie, facteur majeur de la pollution, est indispensable. Sans la Cgt a nos côtés, nous sommes moins pertinents, moins légitimes, moins efficaces. On a besoin de réfléchir ensemble aux besoins sociaux futurs, aux financements, aux services publics, à l’agriculture et à l’alimentation, de concevoir les formations et les actions qui permettront de construire des alternatives. Elargir et structurer nos alliances, c’est urgent  !  »

Le syndicalisme est déjà dépositaire d’une longue histoire, d’une mémoire des luttes et pratiques en matière de défense de l’environnement, qui, comme l’a prouvé ce colloque très fréquenté par les étudiants et les jeunes chercheurs, fait  l’objet d’un intérêt renouvelé et croissant. Ces expériences ne demandent qu’à fructifier et à s’enrichir de celles des associations environnementales, qui elles aussi, apprennent de leurs échanges et combats partagés avec les syndicats. Une histoire de luttes communes va continuer de se tisser. Pas d’autre choix que d’y croire.

Valérie Géraud

  •  * «  Travail, santé-environnement  : quels défis à relever face au dérèglement climatique  ?  » (avril 2023).