Fonction publique : compétition ou mise en retrait, le dilemme des cadres séniores
Une enquête qualitative montre comment l’allongement de la vie active, combinée à la réforme de la carrière publique, creuse les inégalités de genre et d’âge.
Fonctionnaires, soyez mobiles ! Alors que le report de l’âge de la retraite promet une allongement de la vie active, les femmes fonctionnaires séniores sont sommées de redoubler d’efforts pour réussir leur fin de carrière. Comment et quel en est le prix ?
Dans une récente étude, Marion Demonteil, chercheuse post-doctorante au Centre d’étude sur l’emploi et le travail (Ceet-Cnam) s’intéresse à la situation singulière des femmes cadres du secteur public, désormais confrontées à des enjeux exacerbés une fois passée la cinquantaine : « tenir son poste le plus longtemps possible, occuper un emploi élevé dans la hiérarchie, accéder à un échelon, voire à un corps, plus rémunérateur ». Toutes, pourtant, n’ont pas les mêmes ressources pour y faire face, dans un contexte marqué par l’intensification du travail et la mise en concurrence des fonctionnaires.
La persistance d’un plafond de verre
Les femmes représentaient, fin 2020, 63 % des effectifs de la fonction publique, contre 46 % de ceux du secteur privé. En dix ans, montre le dernier rapport de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique, la part des femmes a augmenté de 4 points parmi les agents de catégorie A, et baissé d’autant dans ceux de la catégorie B. Elles restent pourtant relativement peu nombreuses à occuper des postes de catégorie A+ (43 %), ce qui atteste de la persistance d’un plafond de verre. Dans cette catégorie, et quels que soient les versants concernés, les agents et agentes ont 50 ans en moyenne, contre 43 ans pour les catégories A et B, des données qui invitent à questionner la place des seniors, femmes et hommes, contraints de se maintenir plus longtemps en activité.
Cette contrainte, montre Marion Demonteil, s’inscrit dans un contexte particulier : d’une part, l’intensification, depuis les années 2000, de la compétition pour l’accès aux postes supérieurs, alimentée par la contraction du nombre d’emplois de direction sous l’effet de la Révision générale des politiques publiques (Rgpp) adoptée en 2008 ; la « professionnalisation », d’autre part, du recrutement de l’encadrement des dirigeants de l’État.
Accéder à un « emploi refuge »
Dans ce mouvement, ce sont les qualités individuelles qui priment et déterminent les perspectives de progression, dans une quête permanente de mobilité : pour être promu, il faut donc bouger. Les effets de cette stratégie ont notamment été documentées dans La Valeur du service public (La découverte, 2021). Extrait : « Les carrières dépendent de plus en plus des supérieurs hiérarchiques avec, entre autres, la généralisation des entretiens d’évaluation, des primes de “résultat”, des emplois du temps individualisés, parfois des “rémunérations à la performance” », dont une note de l’Institut syndical européen (Etui) a montré l’impact négatif sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Dans les dernières années de travail, toutes et tous se trouvent face à une alternative, ainsi décrite par la sociologue : « Rester engagé·es dans la compétition et la succession des postes, ou se soustraire à cette logique en accédant à un emploi refuge, c’est-à-dire stable, sans limitation de durée et permettant de connaître des conditions de travail plus soutenables. » Dans tous les cas, cela suppose de pouvoir mobiliser un certain nombre de ressources « très inégalement réparties ».
Enquête dans les affaires culturelles
Pour construire son argumentation, la chercheuse s’appuie sur trois enquêtes réalisées, entre 2013 et 2023, dans l’administration culturelle, représentative des transformations de la carrière des agents et agentes. Comme dans le privé, ces derniers sont soumis à une intensification du travail, mise en évidence notamment par Serge Volkoff et Corinne Gaudart dans Le Travail pressé. Pour une écologie des temps du travail (Les petits matins, 2022). Difficilement soutenable avec l’âge, cette intensification n’est pas neutre : « Dans la population des conseillères et conseillers des directions générales des affaires culturelles (Drac), si une majorité écrasante des enquêté·es dit aimer son métier, moins de la moitié déclare se sentir capable de l’exercer jusqu’à la retraite », souligne Marion Demonteil.
Problèmes : les emplois « refuges », moins exigeants en termes de rythmes de travail, se font de plus en plus rares dans l’administration ; les emplois supérieurs, de leur côté, sont également en tension et moins accessibles aux cadres qui n’ont pas, en première partie de carrière, répondu aux exigences de mobilité. Sans surprise, les mères et les femmes cadres sont davantage pénalisées. En théorie, pourtant, prévaut le principe d’égalité de traitement. Mais, préviennent les auteurs de La Valeur du service public, « une règle identique pour les hommes et les femmes n’est pas égalitaire si elle est fondée sur le principe du masculin neutre – un principe qui prend l’homme pour modèle, sans égard pour les conditions spécifiques dans lesquelles de nombreuses femmes doivent mener leur carrière » (pages 184-189).
Dans les emplois supérieurs de l’administration culturelle de l’État, les fins de carrière sont de fait tourmentées, singulièrement pour les femmes : « À rebours de la représentation unifiante de haut·es fonctionnaires circulant sans heurts entre les postes de direction, les cabinets ministériels et le secteur privé, écrit la chercheuse, l’observation qualitative des trajectoires montre que l’allongement de la vie professionnelle, couplée à la réforme de la carrière publique, creuse les inégalités. » D’âge et de genre.
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