Retraites  : des jeunes qui «  ont des choses à dire  »

On les dit individualistes ; ils ont manifesté pour la retraite de leurs parents. On les dit distants vis-à-vis du travail ; ils ont fait grève et se sont mobilisés pour un meilleur avenir professionnel. Au moment où va entrer en vigueur la réforme des retraites, rencontre avec quatre jeunes qui se sont investis dans le mouvement social.

Édition 035 de mi septembre 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 7 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Timide au début, la participation des jeunes à la mobilisation contre la réforme des retraites s’est accélérée avec le recours au 49.3 © MaxPPP

« Le 19 janvier 2023 a été la première journée de grève de notre vie. » À ceux qui croyaient que les jeunes allaient se désintéresser du passage de la retraite à 64 ans, celles et ceux du collectif jeunes diplômés de l’Ugict-Cgt ont répondu par l’expression publique de leur mobilisation. Dans une tribune publiée par L’Humanité, le 20 avril, ils en ont ainsi témoigné : « Pour la première fois, nous avons cherché le préavis de grève déposé par la Cgt de nos secteurs (bureaux d’études, collectivités territoriales, métallurgie, etc.), nous avons annoncé à nos employeurs que nous étions en grève et nous avons rejoint les grandes manifestations organisées partout en France. »

Dans les cortèges, leur présence a pu interroger : timide au début du mouvement pour certains, déjà remarquable pour d’autres, la lecture des événements ayant pu être contrastée selon les territoires. Mais, le 16 mars, le recours au 49.3 pour faire passer la réforme sans vote a marqué un tournant. Lors de la journée de mobilisation interprofessionnelle du 23 mars, avec 400 lycées et 80 établissements d’enseignement supérieur bloqués ou perturbés, leur mobilisation a mis tout le monde d’accord. Selon les syndicats étudiants, 500 000 jeunes ont alors manifesté, dont 150 000 à Paris. Dans les cortèges : Rose, Olivier, Majdi et Clément. Encore étudiants ou déjà actifs, syndiqués ou non, ils ont entre 20 et 30 ans et témoignent des ressorts de leur mobilisation dans toute sa diversité, souvent à rebours des idées reçues sur leur individualisme ou leur distance vis-à-vis du travail. Ce n’était pas forcément prévu, surtout par le gouvernement.

Rose, 19 ans, étudiante en prépa littéraire

« Je n’ai pas manifesté en pensant à ce que deviendrait ma retraite personnelle, explique l’étudiante. À 19 ans, c’est loin, et pour ma génération, surtout quand on fait des études, la retraite à taux plein à 64 ans, c’est inimaginable ! Je l’ai fait pour ceux qui sont proches de la retraite. Comme ma mère qui, même en ayant élevé seule deux enfants, va devoir travailler jusqu’à cet âge. Et parce que ce gouvernement a agi avec des procédés légaux mais antidémocratiques, au mépris de la volonté de la population. Y compris de ceux qui ont voté Macron pour faire barrage à Le Pen, comme moi ! »

Avec de nombreux camarades, comme elle en 2e année de classe préparatoire littéraire dans un grand lycée parisien, Rose a même « séché » des cours pour aller manifester, malgré la pression inhérente à l’imminence des concours pour accéder à l’École normale supérieure ou aux grandes écoles de commerce, qu’elle espère intégrer « sans compromission ».

Elle poursuit : « J’ai déjà participé à des manifs, même si je ne suis membre d’aucune association. C’est stimulant de se retrouver avec les autres étudiants et avec des gens qui partagent une certaine vision du monde, dans une ambiance festive et optimiste. On a aussi envie de profiter de la vie, pas que de travailler pour travailler ! »

« Je n’ai pas manifesté en pensant à ce que deviendrait ma retraite personnelle. À 19 ans, c’est loin, et pour ma génération, surtout quand on fait des études, la retraite à taux plein à 64 ans, c’est inimaginable ! Je l’ai fait pour ceux qui sont proches de la retraite. Comme ma mère qui, même en ayant élevé seule deux enfants, va devoir travailler jusqu’à cet âge. »

Rose, 19 ans.

Cela ne l’empêche pas de se poser beaucoup de questions angoissantes sur son orientation et sur son avenir professionnel. « J’ai été admissible à plusieurs écoles de commerce, et j’ai dû laisser de côté mes a priori négatifs sur le monde de l’entreprise pour aller aux oraux présenter un projet professionnel compatible avec leurs enseignements. Ces écoles coûtent extrêmement cher, même pour les boursiers comme moi. Mais c’est sûr que les perspectives de séjours ou de stages à l’étranger sont vraiment motivantes. J’espère en tout cas qu’elles évoluent dans leur état d’esprit, leur vision d’une carrière réussie ou de l’économie, sinon on va continuer de courir à la catastrophe. De toute façon, je veux travailler dans la culture. Il faudra que je trouve ma voie en dehors du management classique en entreprise : être un petit soldat, ne pas être en accord avec ce que je fais, je ne crois pas que je pourrai ! »

Rose risque sous peu de faire l’expérience de la « dissonance cognitive », mais elle se rassure en se disant que dans toutes les grandes écoles d’ingénieur et de commerce, même les plus prestigieuses, il y a des étudiants, comme elle, qui veulent renverser les certitudes et changer les comportements.

Majdi, 27 ans, collaborateur parlementaire

Comme collaborateur parlementaire aux côtés du député écologiste Aurélien Taché, Majdi, 27 ans, a été aux premières loges de la contestation de la réforme des retraites. Depuis un an et demi, il se partage entre le bureau où il travaille sur les amendements, fait le lien avec la circonscription, gère l’agenda du député et les salles de réunion. À partir du mois de janvier, son quotidien a été rythmé par les journées de mobilisation contre la réforme des retraites, pour protester contre l’« injustice sociale » et le « déni démocratique », singulièrement après le recours au 49.3.

Titulaire d’un master de droit public, Majdi est syndiqué à la Cgt des collaborateurs parlementaires (130 adhérents), et est aujourd’hui membre de sa direction exécutive. Son engagement syndical puise ses racines dans un long parcours militant, qui l’a vu manifester contre la tenue du G20 dans les Alpes-Maritimes en 2011. Il avait alors rejoint le syndicat lycéen Unl. Arrivé en fac de droit à Lyon, il s’était syndiqué à l’Unef, alors que syndicat étudiant menait campagne sur la précarité : un sujet important pour Majdi, issu d’une famille modeste et contraint de travailler l’été pour financer ses études. C’est en grande partie ce qui a motivé son engagement dans le mouvement social : à presque 60 ans, son père, maçon, est abîmé par son travail. « Je veux sauver la santé de ceux qui travaillent comme lui, précaires et sans possibilités de se mobiliser », témoigne-t-il

Olivier, 27 ans, contractuel de la recherche publique.

Titulaire d’un master, aujourd’hui contractuel dans la recherche publique, Oliver, 27 ans, est pour le moins éloigné des bureaux de l’Assemblée nationale : syndiqué au Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (Sntrs) après avoir quitté Solidaires, il milite dans l’union locale d’une ville moyenne, dans un département à fort vote Rn. C’est cet engagement intense, lors de la mobilisation contre la réforme des retraites, qu’il retient. Avec des syndicalistes d’une petite ville voisine, ils ont « tourné » dans des Pme dépourvues de syndicats. Il raconte : « La plupart des gens avaient connaissance de la réforme des retraites et y étaient opposés. Mais il y avait une crispation dès qu’on parlait de grève. Beaucoup pensaient que ce n’était pas possible pour eux. Parfois ils posaient la question à leur chef, qui leur répondait : “OK, vous pouvez faire grève pendant la pause de midi, mais ensuite vous devrez retourner au travail.” Ils étaient très contents de voir des syndicalistes et d’apprendre leurs droits. »

« La plupart des gens avaient connaissance de la réforme des retraites et y étaient opposés. Mais il y avait une crispation dès qu’on parlait de grève. Beaucoup pensaient que ce n’était pas possible pour eux. »

Olivier, 27 ans

Le travail syndical courant de l’union locale ne s’est pas arrêté pour autant. Des salariés continuaient par exemple d’arriver à la permanence juridique et il fallait conduire de front leur accueil et la mobilisation. « Beaucoup de syndicats avec des militants formés consacrent peu de temps à l’UL, alors que les structures territoriales et interprofessionnelles sont essentielles à la construction d’une mobilisation comme celle contre la réforme des retraites, qu’on ne peut pas gagner à l’échelle d’une entreprise », assure-t-il.

Il en tire de nombreux enseignements : « Nous nous sommes questionnés sur la notion de secteurs bloquants. Chez nous, la grève n’était pas impulsée par des bastions très organisés, comme les cheminots, ou les électriciens-gaziers, qui n’avaient aucun mandaté à la commission exécutive de l’UL. Et, à la suite à la mobilisation de 2019, les secteurs concernés ne voulaient pas risquer une grève par procuration. » Ils ont aussi remarqué qu’au sein des entreprises et des administrations, certains n’allaient pas travailler parce qu’ils devaient garder leurs enfants. « On a fait un petit travail syndical sur les crèches, où on est moins implantés que dans les écoles. Il y a eu des grèves s’appuyant sur les préavis déposés contre la réforme des retraites notamment pour protester contre l’inégale attribution du Ségur. » Une manière de répondre à « une vraie demande d’appui syndical ».

Clément, 25 ans, inspecteur des finances publiques

Direction Lille à la rencontre de Clément Leblond, 25 ans à peine et déjà inspecteur des finances publiques. Le militantisme est presque dans ses gènes. À l’université Lille-II, il avait rejoint Solidaires et fait ses premières armes dans le syndicalisme étudiant. Il s’est syndiqué à la Cgt une fois entré dans le monde professionnel, car « c’est son déploiement qui fait sa force » : des territoires aux professions, en concernant tous les âges et en irriguant tous les champs… l’adhésion est évidente à ses yeux, tout comme l’a été sa mobilisation contre la réforme des retraites tout au long du mouvement.

Après un master 2 de finances et fiscalité publiques, il a poursuivi sa scolarité à l’École nationale des finances publiques de Clermont-Ferrand. C’est à ce moment-là qu’il a découvert le syndicalisme spécifique, et décidé de rejoindre l’Ugict. Il est aujourd’hui membre du collectif jeunes diplômés du Nord : « Sur les théories du néomanagement qu’on nous apprenait, l’Ugict proposait de regarder plus précisément la relation entre les cadres et les agents. » Envisager la question du travail à partir des problématiques des cadres ou des ingénieurs et de leur place dans les organisations, c’est « utiliser le spécifique pour aller vers un syndicalisme de classe ». Selon lui, son école enseigne à maltraiter ses futurs collègues, même à son corps défendant. Clément, qui entend bien changer la donne, y est devenu référent pour la Cgt. À son image, des élèves questionnent l’enseignement, les théories non sourcées ou l’introduction, dans le public, de méthodes issues du privé.

Il fallait permettre à ces interrogations informelles, à ces discussions dans les couloirs, de trouver un débouché. « Or, se poser des questions, c’est déjà revendiquer et commencer à militer », explique-t-il, tout en reconnaissant que « l’Ugict est parfois mal connue ». Lui-même, au début, se méfiait d’une forme de corporatisme : « C’est tout le contraire. Ça casse l’isolement chez les cadres. »

Depuis les manifestations anti-Cpe, en 2006, la jeunesse manifeste une forte sensibilité revendicative. Celle de 2023 n’est pas différente de ce point de vue. Dans la tribune qu’il a rédigée, le collectif jeunes diplômés de l’Ugict plante ainsi le décor : « Dans la mobilisation, nous avons tou·tes appris très rapidement à convaincre et à organiser nos collègues. Nous avons appris à faire grève, à manifester.  Ces savoir-faire seront transmis de génération en génération à la Cgt. Nous en ferons bon usage. »

La rédaction d’Options