Rencontres d’Options -  Rencontres d’Options (2/4) – la semaine de quatre jours : oasis ou mirage ?

C’est un plébiscite : selon un sondage du cabinet Robert Walters, 88 % des cadres souhaiteraient passer à la semaine de quatre jours. Si ce vœu est exprimé par toutes les générations, il est encore plus marqué chez les jeunes, avec un taux atteignant 92 % pour les 30-39 ans, contre 79 % au-delà de 50 ans. Mais de quelle semaine de quatre jours parle-t-on ?

Édition 033 de fin juin 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 5 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Dans l’idéal, la semaine de quatre jours fait rêver. La réalité peut virer au cauchemar… © Photopqr / Nice Matin / Maxppp

Dans un contexte où le sujet prend de l’ampleur, la table ronde organisée lors des Rencontres d’Options, le 21 juin 2023, a permis de débattre de la semaine de quatre jours dans la diversité de ses pratiques et de ses approches. Avec, d’abord, ce constat  : l’appétence pour la semaine de quatre jours, confirmée par de nombreuses enquêtes, semble a priori éloignée du vécu des ingénieurs, cadres et techniciens (Ict). Comme en atteste notamment le dernier baromètre cadres Ugict-Cgt/Sécafi/Viavoice  : 42 % disent travailler en effet plus de quarante-cinq heures par semaine et 20 % au-delà de quarante-neuf heures.

Cette situation est essentiellement la conséquence de l’instauration par la loi Aubry II, début 2000, du forfait-jours pour les cadres autonomes, rappelle Agathe Le Berder, en introduction des débats. La nouvelle secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt livre quelques chiffres pour en donner la mesure  : alors que les salariés étaient à peine 4  % « au forfait » au début du dispositif, ils sont 15  % aujourd’hui. En moyenne, les cadres au forfait effectuent deux cents heures de plus par an que ceux qui n’y sont pas soumis. C’est l’équivalent de cinq semaines de travail d’un salarié «  aux heures  ». Ce « surplus  » suffirait à résorber le chômage de cette catégorie de travailleurs… Questions  : pourquoi revendiquer les trente-deux heures quand les trente-cinq heures ne sont déjà pas respectées ? Comment déjouer le risque d’exclusion des Ict de la semaine de quatre jours, par les entreprises ou par la loi  ?

Pas une, mais des semaines de quatre jours

Une nouvelle phase de réduction du temps de travail à trente-deux heures hebdomadaires – et leur traduction en semaine de quatre jours – est un objectif revendiqué par l’Ugict-Cgt, une opportunité pour (re)penser le travail et son organisation concrète. En assumant de tenir «  les deux bouts de la corde », souligne Agathe Le Berder  : droit nouveau pour la réduction du temps de travail et respect des heures légales de travail avec une mise à niveau des rémunérations en lien avec les qualifications.

Invité de ces Rencontres, Jean-Pierre Decool, sénateur du Nord (groupe Les Indépendants-République et territoires), présente sa proposition de loi « de témoignage » sur la semaine de quatre jours et l’esprit qui l’anime. S’il faut, pour lui, éviter les calculs mathématiques, la réduction du nombre de jours de travail doit d’abord alléger la pénibilité, en réduisant le trajet pendulaire vers l’entreprise. Mais il ne s’agit pas pour autant d’une réduction du temps de travail. Il propose ainsi quatre jours de neuf heures, avec un temps de récupération « lorsque c’est possible », et des salles de repos dans les entreprises « pour améliorer la réponse cognitive des salariés ».

Contre l’idée de quatre journées de neuf heures

Par la voix d’Agathe Le Berder, la réponse de l’Ugict-Cgt est directe  : « Ce n’est pas une réponse aux revendications de la Cgt sur les trente-deux heures en quatre jours. » Les clés de la réussite restent l’effectivité de la baisse du temps de travail, faute de quoi l’intensification du travail entraînerait une explosion des risques psychosociaux.

Sylvain Memet, élu Cgt au Cse d’Accenture, présente le dispositif mis en place par son entreprise. Les salariés ont pu choisir de travailler sur quatre, quatre et demi ou cinq jours, mais sans aucun changement ni dans la durée du travail, ni dans la charge de travail. Si cette organisation peut, selon les postes, répondre à une aspiration de ceux qui télétravaillent, en évitant par exemple du temps de transport, elle n’est pas compatible, pour le syndicaliste, avec le travail de consultants en lien avec les entreprises clientes.

« Le patronat s’est emparé de sujets d’innovation sociale »

Ces semaines flexibles ont, en outre, percuté la vie familiale de salariés travaillant davantage chaque jour et se retrouvant dans l’incapacité de gérer le quotidien de leurs enfants. Ce qui a été proposé – et qui ne réduit nullement le temps de travail – est ainsi un leurre, insiste Sylvain Memet  : « En réalité, le patronat s’est emparé de sujets d’innovation sociale, pour lesquels la Cgt a lutté depuis longtemps et en fait autre chose, cette “autre chose” étant contraire à nos revendications. »

Ce témoignage est corroboré par Céline Marty, professeure agrégée de philosophie et chercheuse en philosophie du travail et écologie politique, autrice de Travailler moins pour vivre mieux. Entre réduction effective du temps de travail, dans la continuité historique du combat syndical, et perspectives patronales de densification du travail, Il y a bien différentes configurations de la semaine de quatre jours

Penser le temps de travail à partir du temps libéré

Tout l’enjeu est, selon la philosophe, de définir l’argument à partir duquel le raisonnement peut se déployer. Charge aux syndicats d’affirmer la nécessité de temps libre pour les salariés. Ce temps libre, elle le distingue de celui de la récupération après le travail d’une part, et de celui des « loisirs capitalistes  », d’autre part. C’est un temps, durant lequel un salarié « n’a de compte à rendre ni à l’État ni au patron », explique-t-elle en rappelant la réalité historique du contrôle du temps des masses laborieuses, véritable enjeu pour les pouvoirs étatique, religieux ou patronal.

La semaine de quatre jours, à trente-deux heures hebdomadaires, doit donc « interroger notre rapport au temps et notre relation à l’urgence », poursuit Céline Marty. Cette nouvelle durée de travail réorganise les tâches, ce qui peut être l’occasion de leur refonte. Réduire le temps de travail, est aussi l’occasion de réfléchir à l’impact du travail sur les corps, soumis notamment à des épisodes caniculaires à répétition. Que ce soit dans le contexte du changement climatique ou de la dégradation des conditions de travail, la réflexion doit s’engager dès maintenant et pour les vingt prochaines années, alors que sont questionnés notre rapport au travail et la place qu’il tient dans nos vies. Céline Marty évoque enfin le cliché du salarié qui serait un «  vacancier permanent »… pour le balayer  : la réduction du temps de travail ne fait pas des pauvres des pollueurs, affirme-t-elle en écho à la table-ronde «  Le temps libéré, une solution pour la planète  ?  »  : « Ce ne sont pas eux qui vont à Ibiza, c’est Jean-Michel Blanquer. »

Gagner une loi de protection de tous les salariés

Avec la semaine de quatre jours, l’enjeu est de gagner une loi de protection de tous les salariés, notamment les ingénieurs, cadres et techniciens, avec embauches et maintien du salaire. La bataille syndicale que décrit Agathe Le Berder comporte plusieurs axes  : d’abord prendre appui sur les retours d’expérience positifs de structures où les salariés ne souhaitent pas revenir en arrière lorsque la réduction du temps de travail y est testée. Ensuite, refuser les pièges patronaux qui utilisent la semaine de quatre jours pour intensifier du travail.

Des échanges avec la salle rappellent que la France est classée dans les premiers rangs mondiaux pour les cas de burn-out au travail  ; depuis plusieurs années également, la productivité dans le pays stagne, voire diminue au fur et à mesure de l’intensification du travail. La campagne que lance l’Ugict portera, conclut Agathe Le Berder, sur le refus du court-termisme qui caractérise le Wall Street management, et offrira des outils aux salariés pour une approche collective du travail.


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