Chronique juridique -  Harcèlement moral au travail : nouvelles données

Dans un contexte d’individualisation, d’éclatement des collectifs de travail, d’intensification et de compétition entre salariés, les affaires de « harcèlement moral » au travail se multiplient. La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts importants précisant ou modifiant sa jurisprudence.

Édition 030 de mi-mai 2023 [Sommaire]

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Protection en cas de dénonciation d’un harcèlement moral : «  Le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. »

Pour la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre sociale, 19 avril 2023, n° 21-21.053, Association institution familiale Sainte-Thérèse, Aifst) :

« 6. Aux termes de l’article L. 1152-2 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

7. Aux termes de l’article L. 1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

8. La Cour de cassation en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, et que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits de harcèlement moral emporte à lui seul la nullité du licenciement (Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.035, Bull. 2012, V, n° 55 ; Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 13-25.554, Bull. V, n° 115).

9. La Cour de cassation a également jugé que le salarié ne pouvait bénéficier de la protection légale contre le licenciement tiré d’un grief de dénonciation de faits de harcèlement moral que s’il avait lui-même qualifié les faits d’agissements de harcèlement moral (Soc., 13 septembre 2017, pourvoi n° 15-23.045, Bull. 2017, V, n° 134).

10. Postérieurement, la Cour de cassation a énoncé que l’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge (Soc., 16 septembre 2020, pourvoi n° 18-26.696, publié).

11. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu’il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et que le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul (Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, publié).

12. Dès lors, au regard, d’une part de la faculté pour l’employeur d’invoquer devant le juge, sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, d’autre part de la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif à l’instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement, il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce.

13. D’abord, ayant constaté, hors toute dénaturation, que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé à des membres du conseil d’administration de l’Aifst, le 26 février 2018, une lettre pour dénoncer le comportement du directeur du foyer du [4] en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d’appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral.

14. Ensuite, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée, la cour d’appel en a déduit à bon droit que le grief tiré de la relation par l’intéressée d’agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement.  »

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur contre l’arrêt de la Cour d’appel qui a donné gaine cause à la salariée.

Obligation de prévention des risques professionnels et prohibition des agissements de harcèlement moral : deux préjudices distincts à réparer

Pour la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre sociale, 19 avril 2023, n° 22-14.778, M. Y. c/ RATP) :

« Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail :

13. L’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du Code du travail et ne se confond pas avec elle. »

Obligation pour le juge de vérifier en premier lieu l’existence d’un harcèlement moral avant de se prononcer sur les préjudices subis par le salarié

Pour la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre sociale, 15 février 2023, n° 21-20.572, M. B. c/ SAS Serviclean) :

« Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du Code du travail :

11. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail, et, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

12. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un harcèlement moral, l’arrêt retient que celui-ci ne donne aucun élément sur le préjudice qui en serait résulté, alors qu’aucun préjudice n’est automatique.

13. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas présumer l’existence d’un harcèlement moral et si, dans l’affirmative, l’employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d’appel a violé les textes susvisés.  »

Le salarié qui avait perdu devant la Cour d’appel a obtenu gain de cause devant la Cour de cassation.

Manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

Pour la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre sociale, 22 mars 2023, n° 21-23.455, Mutuelle Unéo), « le salarié a alerté ses supérieurs hiérarchiques à propos de la situation de souffrance dans laquelle il se trouvait à la suite de la diffusion par sa supérieure hiérarchique directe d’un état des lieux humiliant et de l’absence de suite donnée à son courriel de contestation du 14 novembre 2016, que l’employeur ne justifie d’aucune réaction à réception du message du 21 novembre 2016 et n’établit même pas y avoir répondu.

10. La cour d’appel a pu en déduire l’existence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. »

Le salarié a obtenu un arrêt de la Cour appel décidant que « le licenciement est nul » et condamnas l’entreprise « à payer au salarié certaines sommes au titre du harcèlement moral, du manquement à l’obligation de sécurité, de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et du licenciement nul ».

Le pourvoi de l’employeur est rejeté.