L’irruption de syndicalistes sur les plateaux de télévision permet parfois de faire tomber les masques. Ce 8 mars, c’est sidérée que j’ai entendu Elie Cohen m’interpeller sur le fait que faire l’égalité salariale reviendrait « à vivre au-dessus de nos moyens » et à « creuser la dette de l’économie française ».
Un 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, il fallait oser. Ce d’autant qu’il s’est permis pour ce faire de m’interrompre avec un interrogatoire en règle sur les chiffres de l’économie française. Quand on a son rond de serviette dans toutes les émissions de télévision et que l’on peut se targuer d’être directeur de recherche au CNRS, pourquoi se priver de faire la leçon à une femme, syndicaliste CGT qui plus est. Patriarcat, mandarinat et mépris de classe, le combo gagnant. Et comme pour M. Cohen les affaires sont au-dessus des lois, il ignore délibérément ces dernières. L’égalité salariale n’est pas une option. C’est une obligation depuis 50 ans, non appliquée faute de sanction. L’égalité salariale est surtout indispensable pour garantir l’indépendance économique des femmes, pour leur permettre de faire leurs choix de vie sans dépendre de leurs pères, de leurs frères ou de leurs conjoints. Alors oui, l’égalité salariale doit évidemment être financée par le patronat, car tout travail mérite salaire, même celui des femmes ! Incroyable mais vrai !
Et comme il ne s’agit évidemment pas de baisser les salaires des hommes, ce financement doit être assuré en prenant sur le coût du capital, qui nuit à l’investissement et au dynamisme de notre économie. M. Cohen est bien placé pour connaitre le poids des dividendes dans l’économie française, puisqu’il a longtemps été administrateur d’EDF, de Sopra Steria et de Pages jaunes notamment avec de généreux jetons de présence. Il sait qu’à Sopra Steria par exemple, les dividendes ont augmenté de 34 % en 2022 après avoir augmenté de 60 % en 2021. Il sait aussi que les dividendes versés aux actionnaires des entreprises du Cac 40 ne cessent de battre des records pour atteindre 80 milliards en 2022 et représentent plus du quart de la masse salariale de ces entreprises. Soit exactement ce qu’il faudrait pour mettre fin au « quart en moins »(1) qui pénalise les femmes. De nombreuses études ont démontré qu’en outre, contrairement à l’augmentation astronomiques des 500 plus grandes fortunes françaises (passées de 200 milliards à 1000 milliards en 10 ans !), l’augmentation des salaires des femmes aurait un bénéfice immédiat pour l’économie française. L’égalité salariale augmenterait les cotisations versées à la sécurité sociale et résoudrait l’intégralité du déficit invoqué par le gouvernement pour justifier sa réforme des retraites. Elle génèrerait davantage de consommation, moteur de l’économie française. Et elle permettrait à la collectivité de limiter l’enveloppe des aides sociales (aides au logement, prime pour l’emploi…) qui viennent compenser les salaires trop faibles de nombreuses femmes. L’égalité salariale se heurte aujourd’hui à un violent blocage patronal, qui a besoin de continuer à surexploiter les femmes pour préserver les profits. Et à la démission des dirigeants politiques qui cèdent à tous les chantages patronaux et n’ont jamais le courage de leur imposer aucune obligation, en matière d’égalité femmes/hommes comme sur les autres sujets d’ailleurs. Loin d’être anecdotique, cette sortie confirme que contrairement à ce que l’on entend parfois, l’égalité entre les femmes et les hommes est tout sauf une question « tarte à la crème ». C’est un sujet central dans l’opposition avec le capital.
1 Rachel Silvera
Chronique initialement publiée dans L’Humanité Magazine du 16 mars 2023
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