Chronique invitée -  Industrie française  : définanciariser ou disparaître !

La France vient d’annoncer pour 2022 un déficit commercial record depuis… 1945. Nous sommes donc désormais le pays européen qui importe le plus… et celui dans lequel on distribue le plus de dividendes !

Édition 025 de mi-février 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Options - Le journal de l'Ugict-CGT

Par Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt

L’explosion des prix de l’énergie en est la première cause. Pour la première fois, nous avons été obligés d’importer de l’électricité, du fait de l’absence d’anticipation et d’investissement dans les filières nucléaire et renouvelable. Mais ce mauvais chiffre est structurellement lié à la destruction de notre tissu industriel.

Comme le relève France Stratégie, la France est, parmi les pays riches, celui qui a subi la plus forte désindustrialisation durant les dernières décennies. Pourquoi ? Parce que nos élites politiques et économiques se sont illustrées par un discours vantant la spécialisation mondiale  : « aux pays en développement les industries polluantes, aux pays riches, les services et le tertiaire ».

Contraint de constater que cette stratégie était dans l’impasse, notamment à travers le décrochage économique de la France par rapport à l’Allemagne, le patronat a ensuite posé comme condition au maintien de l’emploi en France la baisse du « coût » du travail. Résultat  : les aides publiques aux entreprises ont été multipliées par 15 en quarante ans, passant de 10 milliards en 1980 à 157 milliards en 2019 et… l’emploi industriel continue à baisser  : en 2021, malgré un contexte global de création d’emplois, ce sont près de 40 000 emplois industriels qui ont été détruits ! Pourtant, le gouvernement persiste et signe en offrant 15 milliards d’euros de baisse d’impôts de production avec la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (Cvae) !

Les solutions sont donc à chercher ailleurs. Face à des enjeux de transformation rapides et inédits, nous avons besoin d’un État stratège, indépendant des grands groupes et des lobbys. Alors que les aides publiques sont captées par les multinationales qui continuent à délocaliser sans vergogne, il faut les conditionner à des critères sociaux et environnementaux, donner aux représentants du personnel un droit de veto et des pouvoirs d’intervention sur les stratégies industrielles.

Pour permettre aux Pme et entreprises de taille intermédiaire d’accéder au financement de moyen et long terme, il faut remettre les banques au service de l’économie en commençant par créer un pôle financier public. Après des décennies d’austérité, il y a urgence à investir dans la recherche et l’enseignement supérieur, car nous manquons cruellement de qualifications clés !

L’accès à une énergie décarbonée et bon marché est central  : en ce sens, le vote par l’Assemblée nationale, contre l’avis du gouvernement, d’une loi pour empêcher le démantèlement d’Edf est une première victoire à concrétiser au Sénat ! Notre industrie souffre également de sa spécialisation sur quelques secteurs – l’aéronautique, la défense, le luxe – en déconnexion totale avec les besoins de la population. Elle doit être transformée en profondeur pour répondre à l’enjeu environnemental  : il s’agit de rompre avec la spécialisation internationale et de relocaliser les chaînes de valeur. Plus possible de faire le tour du monde pour fabriquer une voiture !

L’enjeu n’est pas de produire toujours plus, mais de produire mieux et durable en développant les filières de réparation et de recyclage et en limitant l’empreinte environnementale des produits dès leur conception. Alors que les investissements environnementaux à réaliser sont colossaux et que les dividendes atteignent des records, la question du partage des richesses entre le capital et le travail est centrale. Pour réindustrialiser, il faut définanciariser !

Chronique initialement publiée dans L’Humanité Magazine du 16 février 2023