Revue de presse -
Intelligence artificielle : donner sa langue au « Chat » ?
Avec l’arrivée fulgurante du robot ChatGpt, la fin du travail, notamment qualifié, est à nouveau envisagée. Une prédiction qui ignore le terrain de jeu sur lequel prospèrent ces nouveaux outils technologiques…
Et si l’on écrivait la revue de presse « à la manière de… » ? Le jeu qui, il y a peu encore, aurait prêté à sourire est devenu très sérieux. La faute – ou le mérite – à un robot initié par une start-up californienne et accessible à tous gratuitement. Baptisé ChatGpt, il a fait une entrée fracassante dans nos vies voici un mois. Dans Libération, Dov Alfon laisse planer le doute sur la véritable identité de l’auteur du texte qu’il publie : un édito rédigé par un robot ? Allez savoir…
L’éditorialiste liste ce que le robot sait déjà faire : « raconter des histoires passionnantes, des blagues inconnues, des parodies hilarantes ; écrire en vingt secondes des essais universitaires dont il est impossible, même par des spécialistes, de détecter qu’ils n’ont pas été écrits par des étudiants particulièrement doués ». De quoi, écrit-il, « rendre caduques nombre de professions intellectuelles et créatives ».
Le travail : une denrée de plus en plus rare ?
À tel point que la question posée semble déplacée : menace pour l’économie ou bienfait pour l’humanité ? Comme il y a une décennie avec l’essor des outils numériques, le débat divise les économistes… autant qu’il angoisse les travailleurs. « Menace », répond sans hésitation l’économiste Daniel Susskind qui prédit « un monde sans travail ». Dans Le Monde, François Desnoyers chronique le livre du chercheur britannique (Flammarion, 2022) pour qui les progrès technologiques actuels à venir préparaient en effet des ruptures sans précédent : « Dans les cent années qui nous attendent, [ces] progrès vont nous rendre plus riches que jamais, alors même qu’ils nous entraînent vers un monde où le travail sera une denrée rare. »
Plusieurs études nuancent pourtant ces prédictions catastrophiques, quand d’autres voix s’élèvent pour mettre en doute le questionnement même. Libérationdonne ainsi la parole à Antonio Casilli, professeur de sociologie à l’Institut polytechnique de Paris et auteur d’En attendant les Robots (Seuil, 2019). Il y affirme : « Ce n’est pas l’intelligence artificielle qui menace l’emploi, c’est le capitalisme et la course effrénée aux hyperprofits. » Et argumente : « Les investisseurs cherchent à réduire le coût de la masse salariale par différentes méthodes […]. On assiste aussi à la fragmentation des métiers qui, avant, étaient professionnalisants et liés à des compétences fortes. Désormais, il s’agit de microtâches séparées. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est moins du chômage de masse qu’une situation de précarisation généralisée. »
Des digues dressées contre la vague de l’IA
Cela ne rassure pas pour autant. Droits d’auteur, crainte d’un « chômage technologique »… les premiers à manifester leur inquiétude sont les artistes, dessinateurs, illustrateurs, photographes… Franceinfo, qui leur consacre une enquête, montre pourtant l’amorce d’une résistance après une phase de sidération, puis de tâtonnements. « Mais face aux IA, les artistes n’ont que leurs plumes et crayons, et manquent d’armes juridiques. » Frédéric Maupomé, secrétaire général de la Ligue des auteurs professionnels, plante le décor : « C’est le Far West pour le moment. Les règles sont trop compliquées pour que les logiciels les appliquent. En attendant, ils engrangent de la valeur et vont bientôt devenir trop gros pour qu’on puisse les atteindre, même juridiquement. »
Outre-Atlantique, trois illustrateurs et signatures reconnues de la Bd ont franchi le pas en déposant une plainte collective à l’encontre de trois sociétés d’IA qu’ils accusent d’enfreindre le droit d’auteur. Dans l’enseignement supérieur, Sciences Po fait face à l’urgence et tente de dresser une digue contre la vague de l’IA en interdisant aux étudiants l’usage de ChatGpt, en invoquant risques de fraude et de plagiat : une première en France.
Mais comme la plupart des digues, elles finiront inévitablement par céder. Partout dans le monde, la question fait débat. « L’interdiction ne marchera pas », prévient ainsi le New York Times, dans un reportage sur l’introduction de ChatGpt dans les écoles de la ville : « Plutôt que de jouer au jeu sans fin du chat et de la souris contre une armée de robots IA en constante expansion […], enseignez avec »,titre le quotidien, qui invite plutôt à une réflexion sur les usages et la transformation des pratiques de travail.
Entre menaces et opportunités, Dov Alfon, dans Libération, ne tranche pas : « Cela dépend essentiellement de notre capacité à nous préparer » : face à d’autres vagues à venir.
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